Editeur de site Internet : Un métier dangereux ?

De Zola au producteur de "Slumdog millionnaire", la diffamation est un concept qui a traversé les âges et les modes de communication et qui ne cesse de prospérer. Or, le dialogue entre Internet et diffamation ne va pas nécessairement de soi...

Le dialogue entre Internet et diffamation ne va pas nécessairement de soi, en particulier s'il est fait référence, au-delà du traditionnel et bien connu article 29 de la loi du 29 juillet 1881 fondatrice en matière de diffamation, à l'article 42 de cette dernière. Aux termes de celui-ci en effet "seront passibles, comme auteurs principaux, des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse dans l'ordre ci-après, savoir :
1. les directeurs de la publication ou éditeurs, quelles que soient leurs professions ou leurs dénominations et, dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article 6, les codirecteurs de la publication, 2. A leur défaut les auteurs". 
 
"Directeur de la publication ou éditeur" : si ces mots avaient un sens matériel évident pour le législateur du XIXème siècle tenant dans l'hémicycle  l'édition "papie" de son journal, des zones d'ombres ne manquent pas  de se dessiner aujourd'hui dès lors que l'écrit se dématérialise et que l'éditeur disparaît derrière des connexions réseaux.
Des textes récents comme la Loi pour la Confiance dans l'économie numérique (LCEN, 21 juin 2004) ou des initiatives nouvelles, comme la volonté du Sénat d'adapter le délai de prescription de la diffamation à Internet, n'aident pas à clarifier l'ensemble.   
  
L'éditeur de site : qui est-il ? 
Bien qu'une loi lui ait été spécialement consacrée, la communication au public en ligne recèle toujours des imprécisions, dès lors que le législateur, en votant la LCEN, s'est bien gardé de définir ce qu'était un "éditeur", mais seulement d'indiquer qu'elles étaient ses obligations (Article 6.III-1).
 
Ainsi, on peut tenter de définir l'éditeur par ses obligations.
 
Cette définition -et donc l'identification du responsable potentiel du délit de diffamation qui en découle- va être plus ou moins facile, selon que l'infraction est commise sur le site d'un particulier ou sur celui d'un professionnel.
 
En effet, si dans le second cas, la LCEN (Article 6, III-1) impose aux «éditeurs de services en ligne», de tenir à disposition du public, sur leur site et dans un standard ouvert "le nom du directeur ou du co-directeur de la publication et, le cas échéant, celui du responsable de la rédaction", rendant leur identification plus facile, cette même loi prévoit une exception pour les particuliers qui, pour préserver leur anonymat, peuvent ne dévoiler que le nom, la dénomination ou la raison sociale et l'adresse de leur hébergeur.
 
Il n'est pas difficile d'imaginer dans ce dernier cadre, qu'en cas de propos diffamatoires diffusés sur le site internet d'un particulier, il sera bien plus délicat d'identifier l'auteur des propos.
 
Deux notions d'éditeurs se distinguent ainsi : 
-l'éditeur "institutionnel", qui exploite un site internet, dont l'activité est de mettre en ligne du contenu, soit qu'il s'agisse d'un site commercial ou d'entreprise, soit que le but même de son site soit la communication d'opinions (ex : le titulaire d'un blog). Cet éditeur sera indifféremment un particulier ou un professionnel, l'identification de ce dernier étant, comme on l'a vu, facilitée et sa responsabilité, comme on va le voir, présumée.

-l'éditeur "occasionnel", dont l'activité n'est pas à proprement parler de mettre du contenu en ligne mais qui, lors de son parcours sur le réseau Internet, exprime son opinion et devient dès lors "éditeur".
 
A ce propos, il ne fait effectivement pas de doute qu'un simple internaute peut être qualifié d'éditeur quand bien même il n'aurait pas "construit" le site mais n'en serait qu'un simple contributeur (en ce sens, CA Paris 14 novembre 2008, affaire "fuzz.fr"), les hébergeurs, c'est-à-dire les titulaires des sites sur lesquels ces propos sont tenus, ayant alors un devoir de collecter les données suffisantes pour permettre une identification précise de l'internaute-éditeur, ce qu'ils ne parviennent pas toujours à faire complètement aux yeux de la jurisprudence, et dans l'attente d'un décret précisant clairement leurs obligations dans ce domaine. (Ainsi, anticipant sur ce décret, TGI Paris 14 novembre 2008, affaire "youtube", émettant l'idée que la collecte des noms, adresses, emails et adresses IP des internautes postant des vidéos sur la plateforme n'était pas suffisante).
 
Une tendance assez nette se dégage ainsi des textes et de la jurisprudence rendue en la matière : la personne élaborant en pratique le contenu en ligne se trouve avoir la qualité d'éditeur avec, dans l'hypothèse où l'éditeur n'est pas le titulaire du site internet, une obligation de traçabilité du premier par le second.  
 
A cet égard, cette vision doit être rapprochée de la situation des forums de discussion pour lesquels il faut considérer que leur modérateur n'a pas le statut d'éditeur per se.  En effet, s'il ne fait qu'exercer son rôle de modérateur, c'est-à-dire, s'assurer de la conformité des messages aux règles du forum et à la loi après leur publication, il n'exerce aucun choix éditorial et ne peut en conséquence subir l'application de la loi de 1881  (ainsi, CA Versailles 12 décembre 2007, Sté Les arnaques.com et a. / Sté Editions régionales de France). En revanche et comme précédemment indiqué, la responsabilité d'identification des contributeurs pèsera sur ce gestionnaire de forum. 
  
L'éditeur de site : que risque-t-il ? 
Reprenant les dispositions de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle (et en particulier son article 93-3), tout en les élargissant aux services de communication par voie électronique, la LCEN fait peser sur le directeur du site, s'il est identifié, sur l'éditeur "institutionnel" en général, la responsabilité d'un message diffamatoire "ayant fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public".
 
Il s'agit donc d'une véritable présomption de responsabilité à l'égard de ce dernier, dont il pourra toutefois se libérer, tout en restant débiteur du respect de certaines obligations.
 
La preuve par l'éditeur de son innocence :
L'éditeur pourra échapper à cette responsabilité dès lors qu'il pourra prouver qu'il n'est pas à l'origine des propos diffamatoires mais qu'il est en fait un simple hébergeur (bénéficiant ainsi de l'exonération prévue à l'article 6-I.8 de la LCEN) et qu'il ne fait en réalité que mettre à disposition de l'internaute des fonctionnalités permettant à ce dernier de diffuser ses propos.
 
Le maintien d'obligations :
En tout état de cause, et comme il a été rappelé, le "présumé éditeur", le directeur de la publication au sens de la loi de 1881, qui ne satisferait pas à l'obligation de fourniture de renseignements sur les personnes connectées à son site serait passible d'une peine de 75 000 euros d'amende et de une année d'emprisonnement.
 
Quant au diffamateur lui-même, à supposer qu'il s'agisse d'une personne différente de l'éditeur, le réseau ne le protégerait pas des 12 000 euros d'amende -pour une diffamation envers en particulier- ou 45 000 € et un an d'emprisonnement pour les diffamations à caractère raciale (Art.32 de la loi de 1881).
 
Il faut noter enfin que l'éditeur «institutionnel», bien qu'innocenté par la fourniture des données de connexion de l'internaute indélicat, aura tout de même une obligation de collaboration dans le cadre de la publication d'un droit de réponse. Ce dernier, très encadré et débarrassé, pour Internet, des exigences désuètes de la loi de 1881 par un décret du 24 octobre 2007, impose la publication dans les 3 jours de sa réception par l'éditeur, d'un texte d'une longueur maximale de 200 lignes, en indiquant clairement qu'il s'agit d'un droit de réponse et en le liant aux propos concernés. Si la page contenant les propos litigieux avait été entre temps supprimée -sage mesure...-, la page du droit de réponse mentionnerait les références (date, durée de l'affichage) des propos incriminés.
 
La distinction énoncée plus haut apparaît donc, à nouveau, différenciant (i) l' «éditeur institutionnel» au sens de titulaire du site internet -devant supporter l'obligation légale du droit de réponse- de (ii) l' «éditeur occasionnel», entendu comme la personne ayant mis en ligne les propos, qui n'aura pas à supporter cette contrainte, n'ayant pas matériellement la maîtrise de la gestion du site.
Quoi qu'il en soit, à défaut du respect de ses obligations, l'éditeur titulaire du site internet serait passible d'une peine d'une amende de 3 750 euros, sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts auxquels la publication litigieuse en ligne pourrait donner lieu.

La prescription à bref délai, un saufconduit classique du droit de la presse peut-être remis en cause  En raison de leur nature même, les infractions de presse, au premier rang desquelles figure la diffamation, se prescrivent par 3 mois à compter de leur première publication ou mise en ligne (sauf diffamation à caractère racial ou négationniste, 1 an).
 
C'est là une voie classique, mais très efficace pour l'éditeur, d'échapper à ses responsabilités éventuelles et ce, d'autant plus que la prescription n'est arrêtée que par l'accomplissement d'actes précis, un simple dépôt de plainte ne suffisant par exemple pas.
 
Or, le 4 novembre 2008, le Sénat a adopté une proposition de loi destinée à adapter le régime de la prescription des délits de presse à internet, en le portant à un an à compter de la date de la publication (pour les publications en ligne uniquement). Cette proposition est actuellement soumise à la Commission des Lois de l'Assemblée Nationale. 

Cette nouvelle tentative, après la censure du conseil constitutionnel en 2004 pour des dispositions voisines, vient en tous cas démontrer, si besoin était, que diffamation et internet sont deux concepts qui n'ont pas fini de dialoguer et entre lesquels les éditeurs doivent consciencieusement se placer dans l'exercice de leurs tâches et afin de s'exonérer de toute responsabilité.