La justice peut-elle arrêter le buzz ?
Depuis la diffusion de la "sextape" de Pamela Anderson il y a dix ans, la question se pose toujours : quand on cherche à empêcher la circulation d’une information sur Internet, les mesures judiciaires sont-elles efficaces ?
Le haut-débit n'existait pas encore que déjà les vidéos intimes de célébrités circulaient sur Internet. Pamela Anderson fut peut-être la première victime de la diffusion virale d'images privées. Pour la faire stopper, elle s'était adressée à la justice californienne. Le juge avait estimé qu'il n'était pas nécessaire de prendre des mesures : selon lui, les images avaient tellement été diffusées que leur dissémination avait fait perdre à l'actrice son droit à la vie privée ! C'était en 1998...Depuis dix ans, les choses ont-elles changé ? Les moyens d'enregistrement se sont miniaturisés et se sont répandus. Parallèlement, le nombre de célébrités piégées dans leur vie privée a progressé. Le dernier à en avoir fait les frais est le président de la Fédération Internationale Automobile. Après qu'un film le montrant en singulière posture fut diffusé, il a attaqué le journal britannique qui avait diffusé les images. Il demandait l'interdiction de diffuser la vidéo, ou des extraits de celle-ci.
Le juge n'a pas accepté cette demande, au motif que les images avaient été tellement reprises et commentées dans le monde entier qu'aucune mesure ne serait efficace : "I have come to the conclusion that the material is so widely accessible that an order in the terms sought would make very little practical difference. (...) Mr M. no longer has any reasonable expectation of privacy in respect of this now widely familiar material or that, even if he has, it has entered the public domain to the extent that there is, in practical terms, no longer anything which the law can protect. (...) Anyone who wishes to access the footage can easily do so, and there is no point in barring the News of the World from showing what is already available".(1)
Dans la même affaire, le juge français s'est dit incompétent pour prononcer une injonction à l'encontre du site britannique.(2)
Dans ces affaires de vie privée, les juges anglo-saxons ont donc constaté que la boîte de Pandore était ouverte, et qu'ils ne pouvaient plus rien faire. Quelle est l'opinion du juge français ?
Dans la récente affaire "Univers Pharmacie contre Leclerc", il était demandé au juge qu'il interdise la campagne publicitaire du groupe de distribution. L'opération comprenait un volet marketing viral, et une vidéo s'était disséminée de site en site. Appelé à se prononcer, le juge a qualifié ce buzz de "propagation sauvage, voulue" qui "est difficilement arrêtée par une mesure judiciaire, fût-elle sous astreinte". Aussi n'a-t-il interdit que le spot télé et la publicité écrite sur panneaux et supports papier...(3)
Si le juge français se met à son tour à baisser les bras face à la dispersion virale d'un message illicite, cela veut-il dire que l'on peut oser prendre des risques en faisant du buzz ?
Non, car il est possible de sanctionner la faute commise par la personne qui a été à l'origine de la mise en ligne.(4)
Un célèbre animateur, dont le sosie avait été utilisé dans une campagne virale, s'était plaint de la large diffusion d'une vidéo, sur DailyMotion, YouTube et sur des dizaines de blogs. Le juge a condamné l'annonceur pour avoir porté atteinte aux droits dont disposait l'animateur sur son image, sa voix et son nom, en diffusant cette vidéo publicitaire.(5)
De la même façon qu'ils tiennent déjà compte de l'importance d'une campagne publicitaire pour sanctionner un annonceur indélicat, les juges pourront à l'avenir apprécier l'efficacité d'une campagne virale, pour donner une réponse judiciaire adaptée. Si la justice dit qu'elle ne peut arrêter le buzz, elle peut toujours condamner celui qui en est à l'origine !
(1) High Court of Justice de Londres, 9 avril 2008.
(2) Tribunal de Grande Instance de Paris (référé), 29 avril 2008.
(3) Tribunal de Grande Instance de Colmar (référé), 21 avril 2008 (décision réformée en appel : Colmar, 7 mai 2008).
(4) Voir toutefois Tribunal de Grande Instance de Paris (référé), 2 avril 2007 (pas de condamnation car il a été jugé que les sociétés poursuivies étaient « étrangères à la création et la diffusion sur le réseau internet des publicités »).
(5) Tribunal de Grande Instance de Paris (référé), 23 mars 2007 (à noter qu'il a été jugé que « la demande de diligences auprès de tiers n'est pas (...) fondée en l'absence de démonstration, avec l'évidence requise en référé, d'une participation directe de la défenderesse à la mise en ligne des spots litigieux sur les sites YouTube et DailyMotion relayant la diffusion litigieuse »).