Musique en ligne : la guerre ne fait que commencer

La diffusion de musique en ligne en France n'est plus le seul apanage d'Apple ou des vendeurs classiques. Depuis l'été, les FAI en ont fait un produit d'appel. Des initiatives qui posent de nouveaux problèmes juridiques.

L'été 2007 a été le cadre d'un nouveau bouleversement du marché français de la musique en ligne. Alors que celui-ci était jusqu'à présent principalement animé par Apple et son iTunes Store et les vendeurs classiques de musique tels que la FNAC ou Virgin, les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) ont débuté une bataille qui semble n'en être qu'à ses prémices.

Neuf Cegetel propose en effet à ses abonnés, depuis le 20 août dernier, de télécharger un nombre illimité de morceaux de musique puisés dans le catalogue d'Universal Music. La seule et unique restriction (apparente, tout du moins, comme nous allons le voir) est que l'utilisateur ne peut télécharger que la musique du genre qu'il aura désigné lors de son abonnement au service.

Alors que Neuf Cegetel vient déjà d'annoncer le millionième téléchargement sur ladite plate-forme, France Telecom Orange négocie actuellement avec des éditeurs de musique pour lancer une offre similaire au début de l'année 2008. De son côté, Free a très rapidement réagi en proposant à ses abonnés le 23 août dernier, soit 3 jours après Neuf Cegetel, un service non de téléchargement mais d'écoute en streaming de musique, en partenariat avec le site Deezer.com. Alice ne pouvant laisser à ses concurrents ce nouveau marché, l'opérateur italien a également annoncé être prêt à lancer sa propre offre de musique en ligne avant la fin de cette année.

Ce nouveau paysage n'est pas sans soulever plusieurs questions.

Un business model différent de celui des acteurs "historiques" du marché

Alors que l'activité de vendeurs de musique tels que la FNAC est précisément axée sur leur offre de musique, les nouveaux opérateurs de communications électroniques ne semblent que rechercher un quatrième pan à leurs offres triple play (Internet + Téléphone + Télévision). La musique ne serait donc plus qu'un produit d'appel parmi d'autres permettant à Neuf Cegetel ou France Telecom Orange d'attirer plus d'abonnés vers leurs offres.

Des offres illimitées en réalité très limitées

Comme tout produit d'appel, les offres de musique en ligne des FAI ne sont pas des offres équivalentes à celles des vendeurs spécialisés. Ainsi, les morceaux téléchargés sur la plate-forme de Neuf Cegetel ne peuvent être lus que sur une minorité de lecteurs, l'opérateur ayant choisi une mesure technique de protection, en l'occurrence le DRM produit par Microsoft, incompatible avec de nombreux lecteurs, à commencer par les iPods d'Apple, qui représentent pourtant plus de 40 % du marché. De plus, le DRM embarqué dans les morceaux téléchargés rend ces derniers inutilisables dès lors que l'abonné se désabonne de l'opérateur Neuf Cegetel.

La question des mesures techniques de protection, validées par la loi DADVSI en 2006, est bien trop vaste pour pouvoir être réglée ici, mais il est possible de résumer ainsi le choix que devront faire les vendeurs de musique en ligne dans un avenir proche : abandonner les DRM ou assumer auprès du public une offre ne pouvant être comparée à celles des opérateurs classiques de ce marché, sauf à ce que les fournisseurs de DRM s'accordent sur un standard universel. Ce choix sera très certainement imposé par les consommateurs qui, par l'intérêt qu'ils accorderont à ces offres nouvelles, valideront une stratégie ou une autre.

On voit poindre derrière cette situation la volonté des ayants droits d'attirer les consommateurs vers le téléchargement légal à moindres frais, dans l'espoir de les amener vers des solutions plus "complètes" telles que celles proposées par les vendeurs classiques de musique en ligne.

Le non respect des droits d'auteur et droits voisins

La légèreté avec laquelle est ainsi traitée la musique en ligne, et la rapidité avec laquelle ces différentes offres ont été lancées (il fallait être le "premier sur la ligne"...) ne sont pas compatibles avec le respect nécessaire de la législation, notamment au regard des droits d'auteur.

Alors que Neuf Cegetel se targue d'avoir lancé son offre avec Universal Music pour partenaire, il est surprenant de constater que les auteurs, les compositeurs et les éditeurs de musique, par l'intermédiaire de la SACEM, n'ont à aucun moment consenti à la cession de leurs droits à l'opérateur français. En effet, proposer de la musique téléchargeable en ligne suppose non seulement d'obtenir l'accord des titulaires des droits voisins, à savoir les producteurs (tels Universal), mais également d'obtenir celui des auteurs et de leurs éditeurs. L'offre de Neuf Cegetel est donc, pour le moment, contrefaisante des droits des auteurs vendus sur sa plate-forme de téléchargement.

Ici surgit une difficulté liée au fait que les sociétés de gestion collective, telles que la SACEM, ne peuvent jouer pleinement leur rôle car si la SACEM a en effet le pouvoir de liciter la totalité d'un répertoire (comprenant des auteurs français et étrangers), cette capacité ne s'étend pas, bien souvent, à la musique en ligne. Ceci oblige les opérateurs comme Neuf Cegetel et France Telecom Orange à se rapprocher de l'ensemble de ces organismes, pays par pays, avant de pouvoir proposer en ligne légalement un répertoire complet.

Si Neuf Cegetel a mis en ligne son offre sans respecter ses obligations vis-à-vis des auteurs, en revanche, Deezer.com, partenaire de Free, propose des morceaux de musique en ligne avec l'aval de la SACEM, mais pour le moment sans le moindre contrat avec un producteur de musique tels qu'Universal. Deezer.com n'agit donc pas plus légalement que les offres concurrentes en France.


Au regard de tout ce qui précède, il apparaît que le cadre légal des offres de musique en ligne reste encore très largement à délimiter. Le rapport qui sera publié fin novembre à l'issue de la mission de réflexion confiée à Denis Olivennes, PDG de la FNAC, sur le développement de l'offre culturelle légale sur Internet, et qui se donne pour objectif de définir un périmètre légal au téléchargement, est très attendu à cet égard.

Tribune écrite par Patrick Boiron et Nicolas Moreau.