Arnaud Montebourg a-t-il le droit de bloquer la cession par Orange de DailyMotion à Yahoo ?
Santé "vacillante" de Yahoo, stratégie de protection du patrimoine, prédilection pour un investisseur français ou européen, décision politique... Bien des motifs ont été avancés pour expliquer l'annonce d'Arnaud Montebourg. Prise sur quel fondement juridique ?
Voici les éléments juridiques à prendre en compte pour jauger la légitimité juridique de la décision du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg :
1. Selon le Rapport Financier Annuel 2012, France Télécom-Orange est détenu par le Secteur public pour près de 27 %.
Aux
termes de ce Rapport « Au 31
décembre 2012, l’Etat détient directement 13,4 % des actions et 13,5 % des
droits de vote de France Télécom, et le Fonds Stratégique d’Investissement
(FSI) 13,5 % des actions et 13,6 % des droits de vote. L’Etat et le FSI ont
conclu le 24 décembre 2012 un pacte d’actionnaires constitutif d’une action de
concert (…). Le Secteur public dispose de trois représentants au Conseil
d’administration sur un total de 15 membres. » (Rapport, p. 19).
C’est
au regard de ces éléments que France Télécom-Orange prévenait que « Le Secteur public pourrait, en pratique,
compte tenu de l’absence d’autres blocs d’actionnaires significatifs,
déterminer l’issue du vote des actionnaires dans les questions requérant une
majorité simple dans leurs Assemblées. » Elle précisait que « Toutefois, l’Etat ne bénéficie ni d’action
de préférence (golden share) ni d’aucun autre avantage particulier, hormis le
droit de disposer de représentants au Conseil d’administration au prorata de sa
participation dans le capital » (Rapport, p. 19).
Au
plan juridique, l’Etat est donc un actionnaire comme les autres. Il ne dispose
pas d’un avantage particulier ou d’un pouvoir de direction qui lui permettrait
d’arrêter les décisions à la place de l’entreprise (au travers de ses organes
de direction).
Néanmoins,
l’Etat et le FSI sont les seuls actionnaires de l’entreprise à posséder
directement ou indirectement plus de 5 % du capital et des droits de vote. Ils
sont d’autre part liés par un pacte d’actionnaire constitutif d’une action de
concert (dont les principales caractéristiques sont détaillées dans le Rapport
annuel – voir. pp. 326 à 328).
Toujours selon ce même Rapport le Groupe détient Dailymotion à 100 % (p. 168).
2- C’est dans ce contexte que les médias se sont fait le relais de la décision que le Ministre du Redressement
Productif aurait signifié aux représentants d’Orange de s’opposer à
la cession de Dailymotion.
Indépendamment
du fait qu’il n’existe pas d’information officielle permettant de savoir
comment et à quel titre cette décision a été prise par le Ministre du
Redressement Productif – et donc, on suppose, de l’Etat – on peut s’interroger
sur les outils qui existeraient pour la contester.
3- Cependant et au préalable, on
est bien obligé de constater que le droit applicable à l’Etat et aux personnes
publiques actionnaires n’est pas d’une très grande clarté et qu’il est, en
réalité, quasiment inaccessible à l’électeur-administré.
Rappelons
en effet que ce secteur trouble qu’est celui de « l’Etat
actionnaire » fait l’objet de diverses réglementations, assez complexes (voir
notamment les décrets Décret-loi du 30 octobre 1935 organisant le contrôle de l'Etat sur les sociétés, syndicats et
associations ou entreprises de toute nature ayant fait appel au concours
financier de l'Etat et du 9 septembre 2004 n° 2004-963 portant création de l’Agence des participations de l’Etat) ?
Il
fait également et surtout de nombreuses interrogations, contributions et
controverses qui attestent d’une réelle opacité (voir notamment : Le régime juridique des prises de
participation des personnes publiques dans le capital des entreprises, M.
Bazex Droit administratif n° 10, octobre 2010, comm. 126 et ses nombreuses
références).
Rappelons
encore que ce secteur des « personnes publiques actionnaires » n’est,
en outre, pas inconnu de notre actuel Ministre du Redressement Productif qui s’était
déjà en son temps, ès-qualité de Président du Conseil Général de
Saône-et-Loire, opposé à un projet de cession forcée des actions du Département
dans une société d’autoroutes (voir : Une
collectivité territoriales est-elle un actionnaire ordinaire ? G.
Eckert, Revue Juridique de l’Economie Publique, n° 704, Janvier 2013, comm. 4 –
à propos de l’arrêt du Conseil d'Etat Département
de Saône-et-Loire, 4 juillet 2012, req. n° 356168).
4- De cette situation juridique
pour le moins complexe et en réalité opaque (en tout état de cause contraire à l'objectif
de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi), on
retiendra que l’électeur-administré est bien en peine de déterminer comment il
peut contrôler les décisions de l’Etat actionnaire, voire le cas échéant
rechercher d’éventuelles responsabilités.
Cette
difficulté est d’autant plus grande qu’en l’espèce on ne sait pas s’il s’agit
d’une décision de l’Etat actionnaire prise au sein de l’organe de décision
interne à France Télécom-Orange ?
Ou bien s’il s’agit d’une décision prise
par l’Etat puissance publique, mais alors pour un motif et sur un fondement
juridique qui n’ont pas été énoncés à ce jour ?
Une des façons de tenter de réponse à diverses interrogations pourrait consister à saisir le juge administratif afin de l’interroger sur la légalité de la décision étatique de s’opposer, voire de faire échec, à la décision interne d’une entreprise …