Communication au public d’une œuvre protégée par lien hypertexte : la CJUE se prononce

Dans son arrêt Svensson, la CJUE considère que la fourniture d’un lien hypertexte vers une œuvre librement disponible sur un autre site Internet n’est pas un acte de communication au public au sens de la Directive 2001/29/CE.

Ce n’est que lorsque le lien hypertexte entraîne une communication à un « public nouveau » qu’il constitue une communication au public nécessitant l’autorisation du titulaire du droit d’auteur.

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE reconnaît le droit aux auteurs « d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres ». Cette interdiction est reprise et sanctionnée en France par trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende en vertu de l’application L.335-4 du Code de la Propriété Intellectuelle.
La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), comme la jurisprudence française, s’interroge depuis plusieurs années sur la question de la licéité d’un lien hypertexte renvoyant l’internaute vers une œuvre protégée sans l’autorisation de l’auteur et par-là même sur le fait de savoir si la fourniture d’un lien hypertexte, élément fondamental du fonctionnement d’Internet, puisse être, en tant que tel, répréhensible.
Plusieurs fondements juridiques ont permis aux juges français de retenir une telle responsabilité. Un des fondements classiques, sur lequel porte le présent arrêt est celui de la « communication ou mise à disposition au public » au sens de la directive 2001/29/CE et de l’article L.335-4 du Code la Propriété Intellectuelle. Il existe néanmoins d’autres fondements juridiques envisageables, comme notamment celui de la concurrence déloyale ou parasitaire[1]. Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation à propos de Google Vidéo [2], la Cour de cassation a caractérisé la contrefaçon en raison d’un acte de représentation directe [3] lorsque le fait de cliquer sur le lien permet de visionner directement l’œuvre protégée sur le site ou se trouve le lien hypertexte, ce que l’on désigne notamment comme un lien par incorporation. C’est cependant sur la question de la communication ou mise à disposition au public que porte l’arrêt qui vient d’être rendu par la CJUE.
Auparavant, un nombre important de décisions se sont penchées sur la question de la nature du lien pour déterminer si celui-ci pouvait constituer ou non un acte de communication au public. Une distinction s’est alors créée entre les liens renvoyant clairement vers un autre site et les liens par incorporation ou l’internaute a l’impression de rester sur le site où se trouve le lien hypertexte [4].
Ainsi, dans l’arrêt Google Vidéo, certes rendu sur le fondement d’un acte de contrefaçon, la Cour de cassation condamne le lien par incorporation qui revient à « s’accaparer le contenu stocké sur des sites tiers ». Dans une autre affaire[5] en revanche, la Cour de cassation n’avait pas retenu la responsabilité d’un site internet incorporant à travers ses liens hypertextes des flux de télévision appartenant aux sites de plusieurs chaînes TV françaises.
Cependant et dans cette espèce, les chaînes de télévision n’étaient pas parvenues à prouver leurs droits sur les œuvres protégées. Relevons toutefois que les juges de première instance avaient reconnu que le site hébergeant le lien hypertexte ne communique nullement lui-même les œuvres, mais ne fait qu’aider l’internaute en lui indiquant un lien permettant de les visionner directement sur les sites m6replay.fr et w9replay.fr, lesquels sites effectuant alors l’acte de représentation au sens de ce texte [6]. C’est également en ce sens que le tribunal de grande instance de Nancy avait refusé de voir dans un lien hypertexte donnant accès directement à des articles de presse une forme de communication au public [7]. En réalité, il semble que la jurisprudence française est moins encline à sanctionner l’auteur d’un lien hypertexte quand ce lien ne renvoie pas vers un contenu illicite.
La CJUE [8], avait quant à elle considéré que la retransmission au moyen d’un « flux internet » d’œuvres diffusées légalement à la télévision constituait bien un acte de communication au public au sens de la Directive. Pour autant, la CJUE n’avait jamais encore eu à répondre à la question de savoir si la fourniture d’un lien hypertexte vers un site internet hébergeant une œuvre protégée constituait ou non une communication au public au sens de la Directive 2001/29/CE.
C’est chose faite dans son arrêt Svensson du 14 février 2013. Dans cette affaire, Monsieur Svensson, journaliste suédois, avait accepté la publication de l’un de ses articles sur la version électronique et papier d’un journal suédois, le « Göetborgs-Posten ». Ce que Monsieur Svensson n’avait pas accepté en revanche, c’est que son article soit accessible via un autre site que le site du journal en question.
Or, il se trouve que son article était bien consultable via un autre site, le « Retriever Sverige », ce qui conduit Monsieur Svensson a lancé une action en violation de ses droits d’auteurs. En défense, le site tiers s’abrita derrière le fait que la consultation de l’article n’était en fait possible qu’à travers un lien hypertexte, qu’il n’avait effectué aucune transmission de l’œuvre protégée, et que dès lors, il ne pouvait se voir reprocher aucun acte de représentation ou de communication au public. Par ailleurs, le défendant arguait du fait que l’article était librement accessible par tout le monde sur le site du journal, et que dès lors il était libre d’insérer un lien hypertexte vers ce site dans son propre site. C’est à la suite d’une question préjudicielle posée par la Cour Suédoise que la CJUE rend le présent arrêt.

L’arrêt Svensson pose en principe, dès ses premières lignes, que la fourniture d’un lien hypertexte constitue bien un acte de communication au public, notion devant être entendue de manière large [9], au sens de la Directive 2001/29/CE. Le fait que le lien soit un lien hypertexte simple ou par incorporation est évacué par la CJUE qui rappelle dans son considérant 30 que « cette circonstance supplémentaire ne modifie en rien la conclusion selon laquelle la fourniture sur un site d’un lien cliquable vers une œuvre protégée […] a pour effet de mettre à la disposition des utilisateurs du premier site ladite œuvre et constitue donc une communication au public ». L’arrêt aura donc pour mérite de mettre fin au débat technique sur la nature du lien dans la caractérisation du délit.

La solution et portée de l’arrêt se situe avant tout sur la seconde condition requise pour sanctionner un acte de communication au public, celle du « public ». Pour la CJUE, pour qu’un acte soit qualifié de « communication au public », encore faut-il que le lien hypertexte s’adresse à un public nouveau, différent du public visé par le site ou l’œuvre a été initialement communiquée [10]. Or, dans le présent arrêt, la Cour constate que le site du journal suédois comme le site fournissant le lien s’adressent au même public : l’ensemble des internautes. Dès lors, faute de nouveau public, la communication au public via la fourniture d’un lien hypertexte n’est pas caractérisée.
La Cour prend également le soin de donner des exemples de situation dans lesquelles la fourniture d’un lien hypertexte pourra être qualifiée de communication à un « nouveau  public ». C’est notamment le cas lorsque le site ou a été initialement communiqué l’œuvre protégée restreint l’accès à l’œuvre à ses seuls abonnés et que le lien permet alors de contourner les mesures de restriction mises en places. Ce serait également le cas lorsque l’œuvre ne serait plus à la disposition du public sur le site ou elle a été communiquée initialement et que lien hypertexte permettrait de la rendre toujours disponible.

Enfin, la Cour précise dans une seconde partie que les Etats membres ne peuvent étendre la notion de communication au public pour y inclure d’autres opérations, comme par exemple celle qu’aurait souhaitée interdire Monsieur Svensson.

Si l’arrêt a pour mérite de mettre fin aux débats, parfois très techniques, sur la nature du lien hypertexte, on peut s’interroger sur les conséquences pratiques d’une telle décision. En ce sens, quelle portée donner à des conditions d’utilisation d’un site qui interdirait toute exploitation commerciale de son contenu, au regard d’un lien hypertexte sur une autre site, payant ou générant des revenus publicitaires ?  A n’en pas douter, le débat de demain sera celui des « mesures restrictives » mises en place pour contrecarrer toute velléité d’autres sites à procéder par lien hypertexte, en arguant d’une identité du public visé.

Chronique rédigée par MM. Marc Schuler et Benjamin Znaty, Avocats à la Cour, Bird&Bird

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[1] T.com., ref., 26 déc.2000, SNC Havas Numérique et SA Cadres on Line / SA Keljob
[2] Cass. 1ère civ ., 12 juill. 2012, n°11-13666, Sté Bac Films a.c/ Sté Google In c Google France
[3] Jean-Michel Bruguière, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n°42, 18 octobre 2012, 1627
[4] RLDI 2013, n°89, Créations Immatérielles, « Les liens hypertexte et la communication au public » ; Asim Singh et Baptiste Chareyre
[5] Cass. 1ère civ., 31 oct. 2012, n°11-20.480
[6] TGI Paris 3ème chambre, 18 juin 2010, M6 Web, Metropole Television et autres / SBDS
[7] RTD Com. 2011 p.346, “Site Internet.  Liens hypertexte profonds. Revue de presse » Fréderic Pollaud-Dulian
[8] CJUE, 7 mars 2013, C-607/11, ITV Broadcasting Ltd,
[9] En ce sens, CJUE, 4 oct. 2011, Football Association Premier League e.a., C-403/08 et C-429/08
[10] En ce sens l’arrêt Broadcasting Ltd précité ainsi que CJUE, 7 déc. 2006, SGAE, C-306/05