Design et gestion des droits de propriété intellectuelle au sein des Fab Labs

Le 2 mars 2017 a eu lieu la première journée mondiale du design lancée par le Ministère italien des Affaires étrangères et la Coopération internationale. Lors d'une conférence organisée à Paris par l'Institut culturel italien, le designer italien Denis Santachiara est intervenu pour évoquer son travail avec les imprimantes 3D.

Dans les années 90,  les Fab Labs[1] sont nés aux Etats-Unis au sein du Massachussetts Institute of Technology[2]. Elles regroupent des laboratoires locaux qui ont la volonté d’innover. Ils sont signataires d’une charte[3] afin de partager leurs connaissances et leurs outils de fabrication numérique avec les autres. Ils utilisent du matériel et des outils, dont les imprimantes 3D, des logiciels (solutions libres et open-sources), ce qui soulève des questions juridiques importantes car les régimes juridiques applicables sont différents. Aujourd’hui, la France est leader dans le nombre de Fab Labs créé en Europe. Ce phénomène français est sans doute la raison pour laquelle le Congrès mondial des Fab Labs aura lieu en 2018 en France en partenariat avec le MIT.

Dans ce courant, s’est développé l’Open design. Certains designers vont venir dans ces Fab Labs pour utiliser gratuitement les machines et ensuite partager avec les autres. Le partage est le principe sur lequel repose les Fab Labs. Il y aura des jours où des créneaux horaires seront réservés à la création personnelle d’un designer. Le designer va louer la ou les machine(s) afin de fabriquer produire une série pour réaliser une projet personnel ou pour répondre à une commande d’un client. Les machines seront parfois utilisées pour la formation des designers. Certains Fab Labs n’ont aucune vocation éducative ni associative en France. Elles fonctionnent comme des entreprises privées. Les membres sont des start ups qui souhaitent accéder aux machines à un moindre coût voire des petites ou grosses entreprises qui souhaitent accélérer le processus de création. Le designer  utilise, et utilisera de plus en plus, un mode de création transversal en étant à la fois un artisan 2.0 reprenant un savoir faire, souvent ancien, et en utilisant les technologies qu’il aura pu acquérir notamment au sein de ces Fab Labs. 

Le conseil juridique doit lui aussi avoir une approche transversale pour protéger le projet du designer, commandé ou non, à tous les stades de la conception, à la fabrication et à la distribution.

Ainsi, il devra prendre en compte plusieurs réglementations récentes pour la rédaction des contrats, par exemple:

- la réforme du droit des contrats en France qui a modifié le Code civil depuis l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016;

- le nouveau règlement européen n°2016/679 du 27 avril 2016 abrogeant la directive 95/46/CE sur la protection des données "Privacy by design" (protection des données dès la conception des produits) qui devra être appliqué dès le 25 mai 2018 par les entreprises;
- la directive n°2016/943 du 8 juin 2016 sur la protection des secrets d'affaires (savoir-faire et informations commerciales);

- la loi fédérale  "Defend Trade Secrets Act" qui est entrée en vigueur le 11 mai 2016 aux Etats-Unis.

1- La stratégie de protection du secret et la protection des données

Bien qu’une partie de la doctrine française considère que les secrets d’affaires soient distincts des droits de propriété intellectuelle, une partie les assimile. Le droit américain partage la seconde conception. En pratique, les droits de la propriété intellectuelle et les secrets d’affaires sont liés. Ainsi, un designer ne va pas diffuser les premiers croquis de son nouveau modèle de produit sans prendre des précautions pour les protéger. Il ne va pas non plus communiquer les résultats de ses expériences technologiques, qui pourront faire l’objet d’un brevet.  Le secret est donc le premier élément de la création qui doit bénéficier d’une protection afin que les informations aient une valeur économique réelle. Elles devront rester confidentielles. Des accords de confidentialité (« Non -Disclosure Agreement ») seront signés.

Les textes européens ont prévu une articulation entre droits de la propriété intellectuelle et secrets d’affaires sans exclure l’application de toute autre législation pertinente dans d’autres domaines tels que les droits de propriété intellectuelle, le droit des contrats, le respect de la vie privée et l’accès aux documents. Depuis le nouveau règlement européen « Privacy by design », les entreprises sont tenues d’anticiper les questions relatives aux traitements des données dès les premières étapes de leurs projets informatiques.  Le responsable du traitement devra « implémenter les mesures techniques et organisationnelles appropriées, telles que l’anonymisation, qui sont conçues pour mettre en œuvre les principes de protection des données, d’une manière effective et d’intégrer les protections nécessaires dans les traitements de manière à respecter les exigences du règlement et à protéger les droits des intéressés».

2- La  stratégie de protection des brevets, dessins et modèles
 
Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) ne parle pas de « Design » mais de dessin et  modèle. L’article L.511-1 du CPI définit le dessin ou modèle comme « l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit, caractérisée en particulier par ses lignes, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux. Ces caractéristiques peuvent être celles du produit lui-même ou de celui de son ornementation ».
 

Le produit lui-même pourra être protégé par un brevet s’il s’agit d’une invention, c’est-à-dire d’une création technique, durant 20 années.

 L’apparence du produit, à savoir l’esthétique ou l’ornementation, sera protégé par le dessin ou le modèle à condition qu’il soit, tout d’abord, nouveau. 

L’article L.511-3 du CPI précise qu’ « un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué ». 

Ensuite, pour bénéficier d’une protection, il doit avoir un caractère propre c’est-à-dire différent des autres produits ou dessins. 

Enfin, le dessin ou le modèle doit être apparent. Si ces critères sont réunis, le dessin ou le modèle pourra bénéficier d’une protection maximale de 25 ans. Il est, en effet, possible de renouveler la protection quinquennale quatre fois au maximum. Il faudra donc faire un premier dépôt à l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) en payant une redevance. Le montant de la redevance est indépendant du nombre de reproductions qui sera fait.

3- La stratégie de défense contentieuse des droits de propriété intellectuelle

Les contentieux pour les fabricants de produits protégés par le droit des marques, le droit des dessins et modèles et le droit de la propriété intellectuelle risquent de se multiplier avec l’utilisation de la 3D au sein de ces Fab Labs.En effet, les utilisateurs des imprimantes 3D qui y sont mises à disposition ne sont pas nécessairement des designers avertis quant au respect des droits de la propriété industrielle. Bien qu'il existe un code de bonne conduite et des chartes d'utilisation, les poursuites pour contrefaçon risquent de se multiplier. Il y a déjà plusieurs affaires aux Etats-Unis.

Par ailleurs, n’oublions pas que de nombreux consommateurs peuvent créer leurs propres objets en utilisant les imprimantes 3D au sein de ces incubateurs, comme le font les designers. Ils deviennent alors de véritables producteurs. Si des logiciels libres de droits sont fréquemment utilisés, il arrive que certains produits créés au sein de ces Fab Labs reproduisent des éléments protégés. Ils ne seront pas pour autant inquiétés par d'éventuelles poursuites en contrefaçon ou concurrence déloyale si l'usage  des objets est fait dans le cercle privé.

En effet, l'article L.613-5 du CPI prévoit que "les droits conférés par le brevet ne s'étendent pas: a) aux actes accomplis dans un cadre privé et à des fins non commerciales; b) aux actes accomplis à titre expérimental qui portent sur l'objet de l'invention brevetée(...)".En matière de droit d'auteur, l'article L.122-5 du CPI stipule "lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire: (...) les copies ou reproductions réalisées à partir d'une source licite et strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, à l'exception des copies des oeuvres d'art destinées à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l'oeuvre originale a été créée et des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde établie dans les conditions prévues au II de l'article L. 122-6-1 ainsi que des copies ou des reproductions d'une base de données électroniques". 

L'un des enjeu sera donc de déterminer dans quel cadre se situe la création. Différents cadres sont envisageables:-  expérimentation;- création à des fins privées;- création pour une commande privée ou publique; - création pour une petite série  à des fins commerciales;- création pour une distribution importante en France voire à l'étranger.Un audit du projet devra être fait dans le cadre d'une consultation juridique afin de garantir une bonne gestion des droits dès le début du processus de création.

 Anne-Katel MARTINEAU, Avocate au Barreau de Paris  akmartineau@medias-tic.com 

www.medias-tic.com

[1] Les Fab Las résultent de la contraction de Fabrication Laboratory (Laboratoire de fabrication). Les Fab Labs utilisent des logiciels et solutions libres et open-sources.  Ils sont réunis en un réseau mondial très actif.

[2] M.I.T.