Marque contre nom de domaine : les limites de la contrefaçon

Contrairement à certaines idées reçues, ce n’est pas parce que l’on a déposé une marque que l’on peut engager une action en contrefaçon contre un tiers qui réserve un nom de domaine correspondant. C’est ce qu’a récemment rappelé la Cour d’appel de Rennes.

Une marque peut être contrefaite de deux manières : en étant reproduite soit à l’identique soit par imitation. Il est généralement admis qu’un nom de domaine ne peut constituer la contrefaçon d’une marque par reproduction à l’identique, puisqu’il y a adjonction d’un suffixe (.com, .fr, .org…) (Cass. Com., 26 novembre 2003).

C’est donc sur le terrain de la contrefaçon par imitation qu’il faut se placer. L’imitation doit entraîner un "risque de confusion dans l’esprit du public" et s’appliquer "pour des produits ou services identiques ou similaires" (art. L.713-3 b. du Code de la propriété intellectuelle). La similitude s’apprécie à un double niveau : entre les signes eux-mêmes et entre les produits et les services visés.

La protection de la classe 38
La protection de la marque obéit à un principe de spécialité : le signe n’est protégé à titre de marque que pour les produits ou services désignés dans l’enregistrement. L’exploitation d’un même signe par un tiers reste donc possible pour des produits ou services différents, dès lors qu’il n’y a pas de risque de confusion pour la clientèle. C’est ce qui explique par exemple la coexistence en France des marques Mont Blanc pour les stylos et pour les crèmes dessert.

L’application de ce principe de spécialité a ainsi incité bon nombre de sociétés à procéder au dépôt de leur marque en classe 38 (services de communication électronique), afin de bloquer les enregistrements ultérieurs de noms de domaine correspondant par des tiers. Ces sociétés considéraient en effet que la simple exploitation de leur marque sur Internet, quel que soit la nature du site, justifiait l’enregistrement en classe 38.

Une protection qui ne suffit pas
C’est cette interprétation extensive du principe de spécialité que défendait devant la Cour d’appel de Rennes la société Acreat, titulaire de la marque "@creat" déposée notamment en classe 38, afin d’obtenir sur le fondement de la contrefaçon de sa marque la condamnation du titulaire du nom de domaine www.acreat.com.

Reprenant les termes d’un arrêt de la Cour de cassation de 2005, les magistrats rennais ont rappelé dans leur décision du 10 octobre 2006 que "un nom de domaine ne peut contrefaire par reproduction ou par imitation une marque antérieure, peu important que celle-ci soit déposée en classe 38, pour désigner des services de communication télématique, que si les produits et services offerts sur ce site sont soit identiques soit similaires à ceux visés pour l’enregistrement de la marque et de nature à entraîner un risque de confusion dans l’esprit du public". La contrefaçon s’apprécie donc par comparaison entre les produits et services visés par la marque initiale et les produits et services offerts sur le site rattaché au nom de domaine litigieux. L’intérêt du dépôt en classe 38 s’amoindrit.

L'existence d'un site Web comme prérequis
Bien plus, l’application stricte du principe de spécialité fait naitre une autre condition : pour être contrefaisant, un nom de domaine doit nécessairement correspondre à un site Web actif, afin que puissent être analysés le caractère similaire ou identique des produits ou services. C’est ainsi que la Cour de cassation avait estimé en 2005 que "la réservation d’un nom de domaine en soi, sans utilisation réelle de ce nom de domaine, ne constitue pas un acte de contrefaçon".

Face aux cybersquatteurs, qui bloquent les noms de domaine sans pour autant les exploiter, une action en contrefaçon a ainsi peu de chance d'aboutir. Toutefois, peut être mise en œuvre une action en responsabilité civile fondée notamment sur l’abus de droit. Peut également être engagée une action extrajudiciaire, dont les règles accordent une grande importance à la mauvaise foi de celui qui enregistre un nom de domaine similaire à une marque antérieure. Et le fait de réserver un tel nom de domaine sans pour autant l’exploiter contribue largement à manifester la mauvaise foi. Le titulaire de la marque n’est donc pas désarmé, même si bien souvent ce n’est pas sur le terrain du droit des marques qu’il est le mieux armé.

Sylvain Staub & Claire Hameau