Pourquoi le passage au "1st price auction" divise le marché du programmatique

Pourquoi le passage au "1st price auction" divise le marché du programmatique Les principaux SSP veulent mettre un terme au système où l'acheteur le plus offrant paie le prix proposé par le second plus offrant. Les annonceurs craignent de voir l'addition gonfler et les DSP ont peur de devoir réviser leurs algorithmes d'enchère.

Le système d'enchères au second-prix (système où le plus offrant paie le prix proposé par le second plus offrant) semble vivre ses dernières heures au sein des places de marché programmatique. Les principaux SSP du marché, Appnexus, Index Echange ou encore Rubicon Project, basculent progressivement vers une logique au premier prix où le plus offrant paie ce qu'il a enchéri.

Exemple concret. Dans une enchère au second prix (également appelée second-price auction), si trois acheteurs proposent respectivement 8, 5 et 3 euros, c'est le premier qui gagne et paie 5,01 euros. Dans le nouveau système, le premier gagne toujours, mais paie ce qu'il a proposé, soit 8 euros. Pour l'annonceur, cela signifie donc un coût d'acquisition qui gonfle mécaniquement. Pour l'éditeur, c'est un CPM moyen qui grimpe proportionnellement au coût d'acquisition de l'annonceur.

Combattre les magouilles des DSP

La bascule est loin d'être anecdotique alors que le marché du programmatique utilisait la mécanique du second prix depuis près de 10 ans, inspiré du fonctionnement de Google Adwords. Pour Sylvain Travers, le fondateur d'Hubvisor, spécialisé dans l'accompagnement des éditeurs sur tous les sujets relatifs à la monétisation de leur inventaire, cette évolution est d'abord la conséquence des abus en tous genres des DSP. "De plus en plus de DSP font le tri dans les enchères qu'ils reçoivent avant de les soumettre au SSP", explique-t-il. Dans l'exemple plus haut, un DSP aura tout intérêt à n'envoyer que l'enchère à 8 euros et celle à 3 euros. Car en ne prenant pas en compte l'enchère à 5 euros, il ne paie que 3,01 euros s'il gagne dans la logique d'enchère au second prix. Une pratique qui, à en croire Sylvain Travers, est de plus en plus monnaie courante.

Les annonceurs ont peur de voir leur coût d'acquisition exploser

Côté achat, on ne réserve pas forcément un bon accueil à cette bascule vers une logique de 1st price. Julien Gardès, responsable du développement de la plateforme programmatique danoise Adform en Europe du Sud, craint que ce changement n'ait pas que des effets vertueux. "L'annonceur qui dépensait 1 000 euros par jour dépensera toujours ce montant… mais plus rapidement car les mêmes emplacements coûteront plus cher." Son CPM moyen va augmenter mais pas les performances de l'éditeur chez lequel il achète, la qualité de l'inventaire restant la même. "C'est problématique car si la qualité du trafic n'augmente pas proportionnellement au CPM, le DSP risque d'arrêter d'enchérir chez l'éditeur concerné pour aller chez des éditeurs qui pratiquent eux du 2nd price", pointe Julien Gardès.

Autrement dit, à court terme, l'éditeur qui fait du 1st price est gagnant avec un bond de son RPM (revenu pour mille impressions). Sur le long terme, c'est moins sûr car "le quality score des bid requests des éditeurs qui font du 1st price sera impacté." Comprendre que la requête publicitaire sera moins bien valorisée par les acheteurs à cause d'un ratio coût – performance pas au niveau. L'argument ne convainc pas Sylvain Travers. "Les DSP qui ne s'adaptent pas et pénalisent les éditeurs qui basculent en 1st price vont surtout se couper des éditeurs premiums car ces derniers sont souvent les plus actifs en la matière", prévient-il. Au risque donc pour le DSP de tomber dans les bras d'éditeurs de bien moins bonne qualité.

Prime aux DSP sophistiqués

Julien Gardès reconnait d'ailleurs qu'un DSP ne pourra pas se couper des ad-exchanges qui font du 1st price auction, ceux-ci étant de plus en plus nombreux. "Les DSP vont sans doute devoir réapprendre à bidder sur une logique de 1st price", admet-il. Certains seront sans doute tentés d'aller au plus simple : en baissant le prix de leurs enchères pour diminuer les dépenses. Un calcul qui ne sera pas gagnant si l'enchère n'est pas assez haute pour remporter les impressions. C'est alors le "win share" du DSP, le nombre d'enchères qu'il emporte qui va tomber en flèche et sa capacité à diffuser la campagne de son client qui sera remise en question.

Une certitude, le passage à l'enchère au premier prix, s'il est acté par le marché, devrait favoriser les DSP équipés des bidders les plus sophistiqués. Car le second price est beaucoup plus simple : il suffit d'établir un prix plafond que l'on sait ne quasiment jamais payer puis voir ce que l'on paie vraiment. Lorsqu'on est en first price, il faut être beaucoup plus fin et faire évoluer constamment, au fil de la journée, le prix de son enchère car c'est celui effectivement payé. Une enchère trop élevée garantit de tout rafler mais plombe le coup d'acquisition. Une enchère trop basse à l'inverse coupe le DSP de l'accès à l'inventaire. L'achat en "first price" est une mécanique beaucoup plus subtile. Ce sont tous les algorithmes de machine learning et d'enchères des DSP qui vont devoir être recalibrés pour continuer à optimiser le win share tout en évitant de gonfler l'addition.

On n'en est encore pas là. Chez Index Exchange, un des gros SSP du marché, ce sont à peine 10% des éditeurs qui ont basculé dans cette logique de 1st price… "Car ils le faisaient déjà avec les autres SSP, avance Andrew Casale, le fondateur d'Index Exchange. Je pense que c'est le sens de l'histoire, il ne faut juste pas bousculer les acteurs et forcer la transition."

"Le marché a besoin d'un ONU du programmatique car il ne peut pas se contenter d'une situation où certains font du 1st price et d'autres non"

Andrew Casale assure privilégier le dialogue entre les éditeurs et les annonceurs pour arriver à une situation qui contente tout le monde. Pour Julien Gardès, c'est surtout l'IAB qui doit prendre position sur le sujet. "Le marché a besoin d'un ONU du programmatique. Il ne peut pas se contenter d'une situation où certains font du 1st price et d'autres non. Tout le monde doit être logé à la même enseigne et c'est à l'IAB, dont dépend le protocole Open RTB, de jouer les arbitres." Un vœu pieux à en croire Sylvain Travers. "Si les éditeurs veulent basculer dans une logique de 1st price auction, c'est leur droit le plus strict. Personne, pas même l'IAB, ne peut leur interdire de vouloir récupérer la marge dont on les prive."