Blockchain advertising, le contrat de confiance de la publicité digitale

Blockchain advertising, le contrat de confiance de la publicité digitale IBM, Appnexus ou encore le groupe Dow Jones, les poids lourds des médias investissent dans des projets blockchain visant à apporter plus de transparence et de sécurité au marché.

Pour le couple blockchain et publicité, 2017 fut l'année des premiers flirts. Le meilleur exemple est la plateforme Adchain lancée en beta par Meta X pour offrir une vue globale de toute la data associée à une impression pub et permettre de savoir qui a accès à quelle donnée. En 2018, l'idylle bat son plein. Selon Christophe Dané, fondateur du cabinet de conseil Digitall Makers, "une trentaine de projets blockchain relatifs à l'achat média, la gestion de la data et la lutte contre la fraude sur le marché anglo-saxon" ont vu le jour.

Toutes les conditions étaient réunies pour que le couple tienne. Avec d'un côté un marché de la publicité digitale gangrené par la fraude et confronté à une crise de confiance sans précédent et, de l'autre, une technologie qui assure la transparence et la traçabilité des échanges, et permettant à chacun de ses membres de voir l'intégralité des transactions qui s'y déroulent. Cette année, le marché de la fraude pèsera 52 millions de dollars par jour, selon les estimations de Juniper Research.

Deux projets chez IBM

Ce sont désormais les géants du marché qui s'emparent de la technologie. En premier lieu IBM, qui a annoncé à l'occasion des Cannes Lions le lancement d'IBM Blockchain Platform, un projet adossé à Ethereum et déployé au sein de la plateforme programmatique Mediaocean. Objectif annoncé : tracker l'intégralité des transactions digital media et ainsi déterminer le pourcentage des dépenses médias capté par chacun des intermédiaires de la chaîne de valeur. Ces fameux "middlemen" qui, selon un rapport de l'ANA publié en 2016, s'arrogent 40 centimes de chaque dollar investi par l'annonceur. Si le projet n'en est encore qu'à la phase de test, il emporte l'adhésion de quelques-uns des plus gros annonceurs américains dont Pfizer, Kellogg ou encore Unilever. Ce dernier a participé aux premiers tests réalisés début 2018 et compte prendre part au prochain pilote, prévu sur le marché américain, en juillet prochain. Un déploiement massif est espéré courant 2019. "Je pense que nous aurons une solution complètement opérationnelle et adoptée par la majorité de l'industrie d'ici la fin de l'année prochaine", a pronostiqué le PDG de Mediaocean, Bill Wise.

"Une trentaine de projets blockchain relatifs à l'achat média, la gestion de la data et la lutte contre la fraude sur le marché anglo-saxon ont vu le jour en 2018"

IBM n'en est pas à son coup d'essai. Le géant de l'informatique a annoncé quelques semaines plus tôt le lancement d'un proof of concept (POC) avec Salon Media. L'ambition est ici d'enregistrer tous les détails contractuels des accords noués entre les différents membres de la chaîne au sein d'un écosystème immuable et entièrement auditable. De quoi court-circuiter les pratiques d'un marché qui fonctionne encore beaucoup aux rabais négociés sous le manteau. Typiquement, un trading desk qui accepte de reverser une partie de sa rémunération à l'agence qui le choisit, en lui payant des prestations de conseil ou de formation fictifs. Le projet a été adoubé par le consortium Adledger, une organisation chargée de réfléchir aux moyens de déployer la blockchain au service du marché pub digital. A son bord, quelques-uns des plus gros acteurs du marché côté buy-side : Publicis Media, Group M, IPG Mediabrands ou encore Appnexus.

Ce dernier est également partenaire d'un autre projet d'envergure, Amino Payments, une plateforme blockchain elle aussi désireuse d'apporter une totale transparence au marché pub. Deux des plus gros annonceurs US lui ont annoncé son soutien : AT&T et Bayer. Christophe Dané note "un vrai consensus pour épurer le marché" et imagine certains de ces projets aller encore plus loin, en s'appuyant sur les smart contracts, ces contrats qui s'exécutent automatiquement en fonction de conditions choisies au préalable pour aller plus loin. "Ce serait par exemple un annonceur qui impose de ne payer que pour les publicités vues à plus de 30% et sous certaines conditions", illustre-t-il. Le contrat ne s'applique donc que si l'ensemble des règles sont respectées.

Les éditeurs aussi

Du côté des éditeurs, on est également décidé à faire bouger les choses. Et c'est le groupe Dow Jones Media Groupe qui a tiré le premier, en annonçant rejoindre le projet imaginé par Brave. Ce navigateur Internet ambitionne de ne proposer des publicités ciblées qu'auprès des internautes qui ont partagé leur consentement sur la base d'un opt-in. Autre spécificité : les internautes qui consulteront les sites MarketWatch et Barrons.com, depuis le navigateur de Brave, gagneront des tokens BAT à chaque fois qu'ils interagiront avec le contenu publicitaire.

Lancé par le fondateur de Mozilla, Brendan Eich, le navigateur n'est bien sûr pas aussi populaire que Chrome mais il compte tout de même 2 millions d'utilisateurs dans le monde. "L'ambition est de réduire les parties prenantes au trio annonceur, internaute et éditeur", analyse Christophe Dané. Une désintermédiation qui permet de gonfler la part captée par l'éditeur. Il touche près de 55% de la rémunération versée par l'annonceur, "bien plus que dans le circuit classique", note Christophe Dané. La mécanique est d'autant plus vertueuse que l'internaute peut décider d'encaisser sa crypto-monnaie ou… l'utiliser pour effectuer un achat payant chez l'éditeur.  Christophe Dané s'interroge tout de même sur la durée de vie des informations collectées. "Tout ce qui est inscrit dans une blockchain est immuable. Ça pose problème sur Internet où le droit à l'oubli existe et où je vois mal comment un utilisateur qui a donné son consentement peut faire marche-arrière et effacer toute trace."

Facebook et Google, les absents

Ce n'est bien sûr pas le seul frein à l'envol des projets de blockchain advertising. Si on met de côté la problématique de la rapidité d'encryptage des blocks "qui n'est pas aussi efficace que dans les opérations RTB", selon Christophe Dané , le principal écueil reste celui de l'adhésion des sociétés adtech. Ces fameux prestataires dont les pratiques seraient "outées" avec pour risque d'être carrément désintermédiés. Il faudra également attirer annonceurs et éditeurs. "Je ne suis pas sûr qu'ils soient tous convaincus par un modèle où il n'y a pas de demi-mesure en matière de transparence", ajoute Christophe Dané. Un éditeur a-t-il envie que les CPM qu'il négocie soient visibles de tous ? Même question côté annonceur ? Pas vraiment un souci à en croire le PDG d'Appnexus, Brian O'Kelley, qui expliquait au JDN qu'on "peut mettre en place au sein d'une blockchain des mécaniques de permissions qui font que tout le monde ne peut pas tout voir". Et c'est particulièrement vrai pour les DLT (distributed ledger technology, ou technologie de registre distribué) des blockchains privées ou des consortiums au sein desquels les participants décident en amont de qui pourra accéder à quelles informations.

Enfin, dans un secteur où Google et Facebook captent plus des deux tiers de la valeur, il parait difficile de voir la pratique se démocratiser sans l'adhésion du duopole. Et pour le moment, ni Facebook ni Google n'ont pris position. Certes, le premier a lancé une division blockchain et le second a annoncé travailler sur un projet de blockchain dans le cloud pour sécuriser la data des internautes. Mais rien concernant le marché publicitaire. Christophe Dané se veut cependant optimiste. "Je pense que Google comme Facebook ont intérêt à y aller pour faire taire les critiques concernant leur stratégie de walled gardens. S'ils cloisonnent ainsi l'utilisation de leurs services et de leur data, ce n'est pas parce qu'ils refusent de les partager, mais parce qu'ils sont bien placés pour savoir que les acteurs du secteur ne sont pas vraiment respectueux des politiques de confidentialité." Une blockchain où tout se voit leur permettrait de se prémunir contre ce risque.