Comment Amazon part à la chasse aux budgets branding

Comment Amazon part à la chasse aux budgets branding Le géant de l'e-commerce veut permettre aux marques, qu'elles vendent ou pas chez lui, d'accroître leur notoriété grâce à ses données. Une ambition qui passe sans doute par la mise en place d'une offre vidéo plus conséquente.

39,7% de croissance annuelle des revenus. C'est, dans un marché pub online dominé par Facebook et Youtube, le genre de performance qui en satisferait plus d'un. Mais pas Amazon qui, après avoir atteint les 14,1 milliards de dollars de recettes pubs en 2019, veut cette année passer la surmultipliée. Pour y arriver, le géant de l'e-commerce, qui a déjà prouvé son efficacité lorsqu'il s'agit de générer des ventes, n'a pas 36 solutions. Il doit étoffer sa palette publicitaire. "Le principal succès d'Amazon, ce sont ses Sponsored Posts présents dans les résultats de recherche, sur lesquels les retailers enchérissent pour afficher leur produit", rappelle le consultant en adtech Ratko Vidakovic. C'est, aux Etats-Unis, 80% de son chiffre d'affaires pub qui provient des liens sponsorisés selon eMarketer. "C'est un format orienté performance mais ce n'est pas vraiment un moyen de construire une marque, observe Ratko Vidakovic. Surtout, c'est un format qui est déjà très saturé et a donc des perspectives de croissance limitées."

"Les emplacements des liens sponsorisés sont déjà très saturés et offrent donc des perspectives de croissance limitées à Amazon"

Le marché du branding apparait dans ces conditions comme une cible de choix. Les dollars y affluent en même temps que les annonceurs historiques basculent une partie de leurs investissements TV vers le digital. D'autant qu'offrir aux marques des solutions leur permettant de travailler leur notoriété ou leur considération présente un autre avantage. Cela rend l'offre pub d'Amazon compatible avec tous les annonceurs, qu'ils vendent ou non au sein de sa plateforme. Une obsession pour l'e-commerçant. "Amazon se rapproche des annonceurs de tous bords – mode, luxe, cosmétique ou encore téléphonie. Même les annonceurs automobiles qui ne vendent pas en ligne sont concernés", observe Sylvain Le Borgne. Le head of media expertise et innovation au sein de l'agence fifty-five cite l'exemple de Renault qui a lancé en 2018 une opération de co-branding avec Amazon pour pousser les internautes à tester des véhicules. "Les abonnés de Prime Now pouvaient demander à effectuer un essai chez eux dans un délai de deux heures. On était plutôt dans une opération spéciale mais ça montre le pouvoir d'action de la plateforme sur ce terrain", observe Sylvain Le Borgne. Maîtriser le volet branding, c'est aussi être en capacité de gérer l'intégralité du tunnel de conversion, de la notoriété jusqu'à la vente. La stratégie d'Amazon s'inspire, en cela, de celle de Google qui a commencé avec le search et réussit à remonter vers du display classique, en mettant la main sur l'adserver Doubleclick et la plateforme vidéo Youtube. "C'est le jeu des grandes plateformes du Web que de vouloir offrir des solutions permettant d'accompagner le consommateur de bout en bout. Facebook et Instagram s'y essaient, eux aussi, dans l'autre sens", commente Anders Hjorth, auteur d'un rapport intitulé "Amazon marketing in 2020".

Une première incursion dans les formats branding

Amazon ne part pas de zéro dans ses nouvelles ambitions publicitaires. La plateforme a fait quelques (timides) incursions dans le branding. "Nous permettons déjà aux marques de construire une relation avec leurs consommateurs", rappelle l'une de ses porte-paroles à Adtech News. Le format Sponsored Brands permet en effet de mettre en avant une marque via un mini-site dédié sur lequel l'internaute atterrit après avoir cliqué sur la publicité. "Les annonceurs enchérissent toujours pour apparaître en haut des résultats de recherches mais ils le font sur des mots-clés beaucoup plus génériques que ceux associés à leurs Sponsored Posts", précise Anders Hjorth. On reste encore dans le bas du tunnel de conversion bien sûr. Mais on est plus dans la volonté de faire connaître la marque à un public large, que celle de générer des achats via des requêtes précises. Ce format s'est d'ailleurs ouvert à la vidéo dans le cadre de tests menés par Amazon aux Etats-Unis. "C'est une réponse à la bascule des usages vers le mobile, device sur lequel les publicités display sont beaucoup moins efficaces car plus difficile à déchiffrer", analyse Anders Hjorth. Egalement en beta aux Etats-Unis, le format Amazon Posts permet, lui, d'afficher un carrousel de produits shoppables dans le feed des utilisateurs. "C'est un format qui se rapproche de ce que l'on retrouve sur Pinterest ou Instagram", observe Sylvain Le Borgne. On est en effet dans la curation et la mise en avant de produits, comme cela se fait beaucoup sur les réseaux sociaux.

"Le format Amazon Posts se rapproche de ce que l'on retrouve sur Pinterest ou Instagram"

Mais du site e-commerce à l'écrin pensé pour la publicité, comme le sont la plupart des réseaux sociaux, il y a un gouffre qu'Amazon pourra difficilement combler. Avec un environnement déjà truffé de liens produits, le site e-commerce n'est en effet par le meilleur terrain de jeu pour aider une marque à sortir du lot. "Il faut que l'offre poussée via la publicité soit hyper attractive pour détourner internaute de son intention initiale", remarque Nabil Bekhti, head of consulting chez Havas Programmatic Hub. D'où des performances display plus décevantes. "Les taux de clics y sont généralement moins bons que chez un site média classique", rappelle le patron France d'Ecselis, Christophe Le Marchand. Forcément de quoi en refroidir certain. "Amazon est un environnement idéal pour faire de la performance, beaucoup moins pour construire une marque, estime Sylvain Le Borgne. Ce qui explique que certains annonceurs ont encore quelques difficultés à y voir une plateforme de diffusion publicitaire".

Pas grave, Amazon dispose d'un autre atout dans sa manche : son DSP, qui permet aux annonceurs d'acheter de la publicité display et vidéo en programmatique. Selon une étude de l'agence Tinuity, les annonceurs ont augmenté leurs investissements qui transitent par le DSP de 30% sur un an, au troisième trimestre. Si les trois-quarts de ces investissements étaient consacrés à de l'inventaire sur Amazon, le reste était dépensé hors de la plateforme, au sein de sites médias plus classiques. De quoi contenter les annonceurs pas à l'aise avec les performances de l'inventaire propriétaire du site e-commerce. Le groupe a pu muscler cette technologie en lui adjoignant, courant 2019, les briques d'adserving et de DCO de Sizmek, adtech indépendante au bord de la banqueroute. "La techno n'est pas extraordinaire mais elle permet d'accéder à une donnée de très bonne qualité : historique d'achat, préférence de produit, intentions d'achats", constate Anders Hjorth. "On recommande à nos clients qui sont dans une logique de branding de profiter des jeux de données d'Amazon, abonde Sylvain Le Borgne. Elles leur permettent d'identifier de nouvelles typologies de clients potentiels, grâce à des croisements de données de comportements d'achats ou de moments de vie." C'est ainsi qu'un fournisseur d'électricité ou de gaz peut toucher les clients qui sont en phase de déménagement (parce qu'ils recherchent des équipements type blanc ou bcp de nouveaux accessoires). De même l'offre d'abonnement d'Amazon pour des couches lui permet d'identifier l'arrivée d'un nouvel enfant dans le foyer… et donc un potentiel changement de véhicule.

"Amazon permet d'identifier de nouvelles typologies de clients potentiels, grâce à des croisements de données de comportements d'achats ou de moments de vie"

Pour attirer celles qui tiennent les cordons de la bourse quand on parle de branding, à savoir les agences médias, la plateforme a beaucoup travaillé sur son offre. Le support client est en effet primordial pour ces partenaires exigeants. Amazon s'est staffé en collaborateurs et a travaillé sur l'accessibilité de ses outils. "Il y a encore un peu de travail côté ergonomie mais rien d'insurmontable, estime Sylvain Le Borgne. Google y est bien arrivé avec DV 360." On a d'ailleursvu beaucoup d'agences dédiées se lancer sur la plateforme. "Les agences généralistes sont, elles, un peu rebutées car il y a peu de support et la prise en main n'est pas évidente. D'autant que le produit évolue vite", précise Anders Hjorth. Reste un dernier obstacle, et pas des moindres, la disparition des cookies tiers (annoncée pour d'ici deux ans par Google). "Amazon est un des grands perdants potentiels de cette annonce, estime Sylvain Le Borgne. Il va lui falloir augmenter son propre inventaire pour compenser le ralentissement du déploiement de son offre de DSP." La disparition des cookies tiers favorise, en effet, les plateformes de type walled garden. Elle ne changera rien pour l'achat de pub au sein d'Amazon… mais elle rend les choses plus difficiles pour son offre d'extension d'audience, le matching des cookies avec les sites externes étant considérablement compliqué.

"Pour espérer piocher dans des budgets branding plus importants, Amazon a besoin d'une offre complètement différente de ce qu'il propose au sein de son site"

"Pour espérer piocher dans des budgets branding plus importants, Amazon a besoin d'une offre complètement différente de ce qu'il propose au sein de son site. Elle doit être, dans l'idéal, basée sur des vidéos à fort impact", analyse Ratko Vidakovic. C'est un peu, déjà le cas. Amazon permet aux marques d'afficher leurs publicités vidéos auprès des utilisateurs de Fire TV, Twitch et Imdb TV. "En utilisant notre Video Creative Builder, les annonceurs peuvent créer des publicités vidéos pertinentes, qui captent l'oeil, et qui aident à augmenter la notoriété de leur marque et de leurs produits", explique-t-on du côté d'Amazon. "Ces inventaires leur permettent de toucher une audience incrémentale, car complémentaire de la télévision linéaire", complète Ratko Vidakovic. On est toutefois encore loin d'une solution "at scale". Ils sont aujourd'hui seulement 40 millions à utiliser chaque mois, dans le monde, un device Fire TV. C'est encore peu et il faudra sans doute passer par des acquisitions, ou des investissements dans des contenus exclusifs, pour doper cet inventaire. "Amazon a montré qu'il était capable de faire des acquisitions, il en a les moyens", rappelle Sylvain Le Borgne. La plateforme n'a pas hésité à débourser 1 milliard de dollars pour mettre la main sur Twitch. En France, il faudra composer avec les opérateurs. "L'omniprésence des boxes fait que le taux de pénétration des services OTT comme Fire TV y est beaucoup plus bas", observe Christophe Le Marchand.

Reste une dernière option : introduire de la publicité au sein de la plateforme de vidéo en ligne, Amazon Prime Video. Près de 82% des foyers américains y sont inscrits selon les estimations du Consumer Intelligence Research Partners (CIRP). L'accès est, en effet, offert à tous les abonnés de Prime, service de livraison made in Amazon très populaire outre-Atlantique. La plateforme n'a, pour l'instant, rien laissé filtrer quant à sa volonté d'introduire de la publicité. Mais ce serait, selon des analystes d'eMarketer, au vu de la taille du marché pub vidéo, pour bientôt. "Amazon permettrait aux marques de toucher leurs clients via des pré-rolls diffusés avant les programmes qu'ils consultent", explique Nabil Bekhti. Une telle offre serait de nature à attirer tous ces annonceurs qui, comme dans la grande conso, investissent beaucoup en télévision et peu en digital. L'e-commerçant, qui connait l'historique d'achat de ses clients et les requêtes formulées par ceux qui utilisent son assistant vocal, Amazon Echo, pourrait nourrir de telles campagnes avec des insights consommateurs comme tout directeur marketing en rêve…

Cet article a également été publié dans Adtech News, supplément papier du magazine CB News, dédié à l'adtech et au martech. Dans l'édition d'avril, un dossier sur l'offensive d'Amazon sur le marché de la pub vidéo, une interview de Pernod Ricard, le baromètre du programmatique, un focus sur le projet Rearc et sur Opti Digital.