Internalisation de l'achat média : où en sommes-nous 10 ans plus tard ?

Avec désormais assez de recul, nous sommes enfin en mesure de regarder ce qui marche et ce qui ne marche pas dans l'internalisation des fonctions médias par les annonceurs.

Il y a quelques années un de mes clients à décidé d’internaliser son agence média. A l’époque, cette démarche devait amener un gain de productivité de 10 à 20 % et une augmentation du ROI de 15 % ». Pourtant en échangeant récemment avec lui, il m’a dit: Fabien, on me demande d’augmenter mes leads de 9% pour 2020 ! C’est impossible, mes traders média partent les uns après les autres, mon manager social media vient de retourner en agence et les RH n’ont personne pour le remplacer ! Il faut vraiment que tu m’aides !”. Alors que s’est-il passé entre temps ? 

Lors de la vague d’internalisation des agences média et alors qu'on s’amusait à calculer les “business case” mirobolant pour les justifier, personne n’avait anticipé les problèmes que nous rencontrons actuellement. Les profils “digital marketing” et agence média n’ont jamais été autant courtisés. Si l’on regarde le rapport Hootsuite et We Are Social de 2019, presque 60% des français se connectent aux réseaux sociaux chaque mois, soit une augmentation de 2 millions de personnes par rapport à l’année précédente ! Ce constat a poussé les entreprises françaises à chasser massivement les profils digitaux. Ces profils, encore trop rare face à la demande d’expertise en matière de marketing digital, sont alors de plus en plus exigeant et se retrouve au coeur d’un marché de l’emploi très tendu.

"Les entreprises ont du mal à attirer et garder les talents sachant que les  'stars' du marketing digital peuvent gagner entre 20 et 30% de plus en agence"

Dès lors, les entreprises ont du mal à attirer et garder les talents pour les fonctions médias internalisées sachant que les “stars” du marketing digital” peuvent gagner entre 20 et 30% de plus en agence. Le choix de l’agence présente aussi l’avantage de pouvoir continuer à développer ses compétences à travers plusieurs industries et clients, tout en étant nourris et formés aux dernières innovations tech par les GAFA qui mènent des campagnes d’investissement massif dans les agences (workshops, journée de formation, support dédié etc…). L’autre point à prendre en compte concerne la gestion de carrière de ces profils ultra spécialisés. Les faire évoluer alors qu’ils ne cherchent pas à se diversifier mais plus à s’améliorer et à devenir expert dans leur niche est un challenge difficile à relever pour les annonceurs. Ce qui n’est pas le cas dans une agence qui leurs apportent une communauté, où ils changent de client et sont sollicité sur d’autres comptes etc..

Tel un copié-collé d’agence les départements internes ont été créés par pôle : pôle SEA, pôle SEO, pôle Social etc en occultant les fonctions multi-comptes et le besoin de recherche de valeur continuel. Contrairement au fonctionnement client-agence, dans un modèle interne, personne n’a besoin de renégocier le contrat, ni d’apporter du benchmark ni même simplement de se tenir au courant alors que l’essence de ce fonctionnement réside aussi dans la démonstration de la plus-value technique et de la connaissance marché. Les équipes sont donc beaucoup moins stimulées. Et à cela s’ajoute le fait que la relation avec les GAFA et les plateformes digitales en vogue s’étire drastiquement au regard du scope très limité de l’annonceur. En effet, ces derniers n’ont pas les ressources nécessaires pour former tous les annonceurs du pays.  

"L'internalisation a provoqué une rupture entre l'impact business et le côté métier"

L’internalisation a provoqué une rupture entre l’impact business et le côté métier. Aujourd’hui, la machine corporate des annonceurs qui ont essayé de reproduire en interne le modèle de l’agence a créé des silos entre les actes et les résultats. Ainsi alors qu’on ’ demandes aux fonctions de marketing digitales d’augmenter leurs chiffres les équipes n’ont pas de vision de l’impact business de leurs actions. On leur demande d’augmenter leur engagement, d’optimiser les dépenses, et d’augmenter leur ROAS (Return on Ads Spend) sans leur partager l’impact final de leur travail sur les résultats de l’entreprise, ou alors maladroitement. Avec cette organisation en silo, les équipes de l’agence intégrée sont montées les unes contre les autres SEA contre SEO et les équipes organisées par marque “bid” sont sur les mêmes “keywords” que leurs collègues du même groupe sacrifiant la collaboration et le travail en bonne intelligence.

Un potentiel pourtant éprouvé

Avec l’un de nos clients, un des leaders mondiaux du smartphone, nous avons démontré qu’en internalisant leur agence média il pouvait éviter jusqu'à 30% de déperdition en dépense média, grâce à un meilleur pilotage des budgets et une plus grande agilité. Preuve que l’idée même d’internalisation est prometteuse car pour n’importe quelle entreprise du CAC 40, cela représente plusieurs millions d'économies par an ! Mais c’est aussi un moyen significatif de retrouver le contrôle de ses dépenses médias, dans une période où un choix spécifique et temporaire du média mix peut augmenter le ROI et le faire passer du simple au double dans certains cas. 

"En pleine transformation d'un modèle B2C vers du C2B (Customer to Business), les équipes médias doivent pourvoir réagir presque instantanément"

A cela s’ajoute une meilleure connaissance client et l’agilité nécessaire pour gérer le buzz. Aujourd’hui, dans une démarche de transformation des annonceurs du B2C vers du C2B (Customer to Business), il est primordial que les équipes médias soient en capacité d’être réactif presque instantanément. Qui peut imaginer Glossier externaliser ses équipes média par exemple ? Mais surtout maintenant que le “newsjacking” est devenu le nouveau concept roi, les entreprises s'accaparent des sujets d'actualités à forte visibilité, pour décupler l'effet de leurs campagnes médias ! Difficile de ne pas se rappeler d'un des pionniers, Oreo, qui, avec son tweet sur la panne d'électricité du Super Bowl en 2013, avait réussi à générer près de 15.000 retweets. Une opération très rentable quand on sait que certaines pub TV lors de cet événement peuvent atteindre jusqu’à 4 millions de dollars. Typiquement c’est dans ce type de contexte que l'internalisation de l’agence permet aux équipes dédiées de scruter les moindres opportunités de “newsjacking”, par exemple. 

Enfin, l’internalisation de l’agence média ouvrait finalement la porte de la mobilité interne chez les annonceurs, en proposant aux profils digitaux d'évoluer vers des postes différents.Il venaient nourrir les entreprises de talents avec une vision nouvelle et digitale, dans des industries souvent vieillissantes et présentant une formidable opportunité de se réinventer digitalement. Faire évoluer les talents digitaux accélère la transformation digitale des annonceurs tout en infusant la culture du digital dans tous les métiers. Ce type de mobilité interne vient répondre à un véritable challenge pour les agences médias pour qui il est difficile de proposer des gestions de carrière dignes de ce nom (autre que la spécialisation pure et dure), et des perspectives de diversification séduisantes pour tous les profils, approchant pour la plupart à peine de la trentaine. 

Internaliser l’agence ou pas : quel est le bon modèle ?

Il n’y pas de bonne réponse à cette question car la grande majorité des annonceurs a déjà réfléchi au sujet. En revanche, voici quelques pistes pragmatiques pour améliorer le modèle actuel sans tout changer. Une entreprise ayant déjà internalisé son agence média pourrait restructurer son organisation selon une vision d'efficacité à long terme. Pour se faire, il faut repenser les équipes en centre d'excellence autour de 3 concepts clés :

- Les feature teams, pour reprendre le concept de Jeff Bezos : transformer l'organisation actuelle en “silo” ou en canaux vers des « feature teams » permettra de retrouver un dynamisme d'agence, et favorisera la collaboration des différentes compétences afin d’atteindre les objectifs business. Chaque partie prenante apprendra de nouvelles compétences des autres pôles, et va perfectionner son propre pôle pour aller chercher l’objectif business. De plus, elles vont développer une compétence métier dans le secteur de l'annonceur, faisant de ses talents digitaux des couteaux suisses capables de gérer des missions à 360 degrés. Un point clé pour la croissance de l'annonceur sur le long terme mais surtout pour la fidélisation de ses talents ! 

- Le concept de champion. Il consiste à mélanger les expertises verticales avec des objectifs et des responsabilités très horizontales au lieu d’attribuer des objectifs par canal aux équipes. Par exemple, pour l’un de nos clients, nous avons choisi un profil « web-tracking » comme Champion de l’optimisation du budget média digitale. Ainsi une partie de son rôle est devenue la “chasse à la dépense”, obligeant la collaboration avec ses collègues de tous les autres pôles afin d’atteindre ses objectifs. En à peine 6 mois, il a identifié plus de 400,000€ de dépenses inutiles (mauvais keywords, campagne sociale avec des ROI négatifs, etc.) au sein de 4 canaux.

- Reconnecter le business et l'agence média. Le champion de l’optimisation de la dépense est un très bon exemple de l’importance de remettre l'équipe média dans une logique business, c’est-à-dire l'amélioration de l'expérience client. Le but ultime est en effet de créer de la valeur pour le client final / l’utilisateur de l'annonceur. Se faisant, les équipes seront satisfaites et fières de ce qu’elles auront accompli au quotidien tout en s’appropriant de nouveau l’aspect business. Ce point stimulera leur loyauté et leur ambition en plus de représenter une opportunité en or de formation des futurs cadres, capables d'aller occuper une fonction managériale hors des équipes média plus tard ! 

Dans le cas d’une entreprise faisant appel à une ou plusieurs agences externes, il va être important de progresser sur deux aspects:

D’une part, la compréhension et l’expertise des équipes marketing autour du digital. Même si l’agence apporte son expertise et qu’elle gère les campagnes, il est important que les équipes de l’annonceur la/les comprennent et la/les challengent grâce à leur expérience métier. Par exemple, pour un client, la mise en place d’une équipe “Center of Excellence” globale formant les différentes équipes marketing locales à interagir avec les agences, a permis d’aller chercher de meilleures performances, une meilleure compréhension et communication entre agences & annonceurs et de remettre en question le statu quo. Résultats: augmentation de leur ROAS de plus de 60% en moins d’un an.

D’autre part, l’approche data driven. Là où les agences se chargent de faire appels aux dernières innovations en terme de SEA, SEO ou de Social media; l’annonceur est responsable de continuellement chercher à améliorer son infrastructure data, avec par exemple la mise en place de CDP (Customer data platform). Cela permet d’aller chercher toujours plus de données, de plus en plus granulaire. Ainsi, l’annonceur qui améliore sa capacité à mobiliser de la data de qualité pour mieux cibler et comprendre ses clients va permettre à son agence média de décupler l’impact de leurs campagnes. 

De la même façon qu’Anatole France disait “Rien n'est parfait : mais tout se tient, s'étaye, s'entrecroise." il n’y a que des modèles d’agences média imparfaites, à compléter et à améliorer. Ni l’externalisation, ni l’internalisation ne vont résoudre tous les problèmes. En conclusion: au lieu de remettre en question et de blâmer son organisation actuelle, il est préférable d'investir du temps pour plutôt la perfectionner et l'optimiser. Quelle que soit le type d’agence (interne ou externe) il existe une myriade d’opportunités pour aller chercher de la valeur!