TCFv2, le chemin de croix des médias français

TCFv2, le chemin de croix des médias français La bascule est devenue bien plus chronophage que prévue, à cause des difficultés que posent des environnements comme l'in-app et des choix arbitraires de certains vendors, Google en tête.

Le ton monte chez les médias français qui sont, depuis début août, sur tous les fronts du TCFv2, ce framework de transmission de consentement qui permet au marché publicitaire d'être en règle avec le RGPD. Il leur a d'abord fallu réaliser la bascule sur le Web puis faire de même pour l'applicatif. Et ce qui sur le papier devait être une simple formalité (en mettant à jour la liste de partenaires publicitaires et les finalités pour lesquelles ils ont besoin d'obtenir le consentement des utilisateurs) s'est transformé en véritable chemin de croix. "C'est un sujet bien plus chronophage que prévu, peste un patron de régie. Pas un jour ne se passe sans que l'on ne doive régler en urgence un problème." La bascule sur l'in-app, particulièrement compliquée car elle implique beaucoup d'intermédiaires, est notamment en cause. L'environnement AMP, pour lequel Google n'a pas mis à jour l'API qui permet aux vendors de remonter le signal de consentement, représente un autre casse-tête.

"C'est frustrant de devoir consacrer tout ce temps à un outil qui est un nouveau centre de coûts quand on pourrait le consacrer à des produits générant des revenus"

"Le temps consacré au TCFv2 est aujourd'hui bien plus important que ce qu'il devrait être", confirme Nicolas Pegoraro, directeur yield et adops à la régie du Point. Le sujet a accaparé une bonne partie des sprints de développement du site au cours des deux derniers mois. "C'est frustrant de devoir consacrer tout ce temps à un outil qui est un nouveau centre de coûts quand on pourrait le consacrer à des produits destinés à nos utilisateurs et abonnés, ou générant des revenus publicitaires." Et ça l'est d'autant plus que, chez la plupart des médias, les ressources techniques (développement, intégration et produit) sont côté éditeurs. Ce qui contraint donc la régie à quémander à longueur de journée un peu (beaucoup) du temps de ces développeurs. Des développeurs qui n'ont, en prime, pas toujours la fibre pub nécessaire pour comprendre les enjeux relatifs au TCF.

Les éditeurs peinent souvent aussi à y voir clair dans les finalités et les bases légales que les vendors demandent à leur partenaire média de récolter, en leur nom, auprès de l'internaute. "Prenons le cas de l'intérêt légitime. Ils sont nombreux à requérir cette base légale et les éditeurs ne savent pas toujours si elle est applicable aux finalités qu'on leur demande", illustre Sébastien Noël, directeur des activités numériques de la régie du Monde. Les services juridiques sont extrêmement sollicités… sans toutefois qu'ils soient capables d'apporter les réponses demandées.

Faute de certitude, l'éditeur est parfois amené à céder aux exigences d'un partenaire, sans même prendre conscience de ce qu'elles impliquent. Exemple avec ce responsable d'un grand site média qui confie au JDN avoir reçu une demande un peu particulière de l'un de ses vendors, Freewheel, et l'avoir transférée, "sans trop la comprendre", à son éditeur de CMP. Après enquête auprès de ce dernier, il s'avère que Freewheel demande à pouvoir lire une section du signal de consentement normalement réservée à l'éditeur. "Cela lui permet de voir quelles sont les finalités que l'éditeur utilise et les bases légales qu'il invoque afin de se caler dessus", explique Romain Gauthier, le fondateur de la solution de CMP Didomi. Une façon habile pour l'adtech de se positionner comme sous-traitant des éditeurs et de se retrancher derrière eux, en cas de problème, en disant qu'elle s'est contentée de répliquer leurs propres choix. Freewheel est la seule adtech à procéder ainsi… et c'est plutôt discutable, à en croire le patron de Sirdata, Benoît Oberlé. "Freewheel utilise son propre nom de domaine lorsqu'il dépose un cookie chez les éditeurs, ce qui en fait de facto un responsable de traitement plutôt qu'un simple sous-traitant."

"Le système est monté à l'envers, les gens qui sont en aval de la chaîne de valeur, les vendors, communiquent leurs règles à ceux qui sont en amont, les éditeurs"

"Les éditeurs ont tellement souffert du coronavirus qu'ils ne cherchent pas toujours à comprendre ce qu'on leur demande, la priorité étant de ne pas perdre d'argent au quatrième  trimestre", analyse le CTO de Moneytizer, Laurent Vaudoré. Certains sont néanmoins plus regardants… mais y perdent beaucoup d'énergie. "Pas mal de SSP avaient opté pour l'intérêt légitime comme base légale concernant des finalités qui relèvent, selon nous, du consentement", révèle le directeur des systèmes d'information de 20 Minutes, Winoc Coppens. Le site n'a pas eu d'autre choix que de faire des allers - retours incessants avec ses partenaires pour leur expliquer qu'ils allaient devoir faire les choses autrement. "Le système est monté à l'envers, les gens qui sont en aval de la chaîne de valeur, les vendors, communiquent leurs règles à ceux qui sont en amont, les éditeurs", déplore Winoc Coppens. Cela ne plait pas aux grands médias mais c'est bien pratique pour les plus petits, relativise Laurent Vaudoré. "Le Web, c'est des millions de sites qui se préoccupent peu de ces subtilités et veulent juste monétiser. C'est normal que les vendors, qui sont les premiers concernés, soient les instigateurs du mouvement."

Des rapports d'erreurs de Google par centaines

Reste que pas mal de médias français ont la désagréable l'impression d'être pris en otages. "On subit les règles fixées par les uns et les autres, qu'il s'agisse de l'IAB, de la Cnil ou de nos partenaires publicitaires qui ont parfois des interprétations très personnelles", s'agace Winoc Coppens. Le cas Google en est, sans doute, le meilleur exemple. Le géant de la publicité a annoncé aux éditeurs équipés de Google Ad Manager qu'il ne monétiserait plus le trafic pour lequel ils n'avaient pas obtenu le consentement. Un choix incompréhensible pour beaucoup d'entre eux. "Google va plus loin que ce que le RGPD demande. Refuser d'être tracké, ce n'est pas refuser la publicité", rappelle un éditeur. La deadline a été fixée au 15 novembre, Google accordant aux éditeurs une "période de grâce". Du 15 août au 15 septembre, il leur envoyait simplement une alerte à chaque impression ad-servée pour laquelle l'éditeur n'avait pas recueilli de consentement. Du 15 septembre au 15 novembre, il se contentera de n'afficher que des publicités non ciblées. A partir du 15 novembre, ce type d'inventaire ne sera plus monétisé.

"S'il n'obtient pas de réponse CMP passé 500 millisecondes, Google considère qu'il y a une erreur alors même que la CMP est correctement chargée"

En attendant, Google inonde les éditeurs de rapports d'erreurs. "On en reçoit des centaines par jour", témoigne l'un d'entre eux. Des rapports d'erreurs d'autant plus déconcertants que les éditeurs pensent avoir bien fait les choses. Mais pas selon Google qui, depuis l'implémentation de la v2 du TCF, a des exigences bien particulières. "Google vérifie désormais le signal de consentement avant l'appel de ses tags publicitaires car il conditionne l'affichage de publicités à l'obtention d'un consentement de l'utilisateur pour les cookies, explique Benoît Oberlé. Mais ses scripts n'accordent qu'un délai de 500 millisecondes à la CMP pour être chargée parmi les autres tags de la page." S'il n'obtient pas de réponse passé ce laps de temps, il considère qu'il y a une erreur alors même que la CMP est correctement chargée. Ce délai, dont beaucoup d'éditeurs ne comprennent pas la justification, pose des problèmes insolubles. "Certains éditeurs conditionnent correctement leurs tags et reçoivent, malgré tout, toujours ces rapports d'erreur", déplore Benoît Oberlé.

"Nous avons passé les quinze derniers jours à débugger des problèmes liés à des choix arbitraires de Google", confirme Romain Gauthier. Les account managers de Google ayant rarement les réponses espérées, les équipes de Didomi en étaient réduites, la plupart du temps, à "faire du retro-ingeneering des outils Google pour identifier l'origine du problème." Il faut dire que Google ne propose aucun tutoriel pour aiguiller les millions d'éditeurs de son réseau. D'où une marée de webmasters qui sont complètement perdus et partagent en ligne leur désarroi.

"Nous avons passé les quinze derniers jours à débugger des problèmes liés à des choix arbitraires de Google"

Comme si cela ne suffisait pas, certains éditeurs ont également eu la mauvaise surprise de découvrir que leurs partenaires n'étaient pas tous prêts à temps. C'est le cas d'un éditeur qui a fait la bascule vers le TCFv2 le 12 août. Le site a, à partir de cette date, transmis tous les consentements récoltés via un signal v2. Problème, l'un de ses partenaires, Amazon, n'était pas en mesure de les lire pendant 5 jours, n'ayant rejoint la v2 qu'à partir du 17 août. Tous les consentements récoltés durant cette période sont inutilisables. Le média se retrouve donc face à un dilemme : "Soit on continue comme ça, avec une partie non exploitable, soit on sollicite à nouveau les internautes, avec le risque de créer un peu d'agacement", résume le responsable du site.  La deuxième option a également un impact court terme sur les revenus de l'éditeur car il ne peut plus monétiser correctement les impressions générées lors de la première visite de chaque internaute. En "resetant" sa CMP, il perd en effet tous ses consentements et doit donc se contenter d'afficher des publicités non personnalisées, moins rémunératrices. "C'est une erreur de certains médias que de ne pas avoir pensé à s'assurer que leurs partenaires étaient prêts", estime Laurent Vaudoré.

Du côté de Moneytizer, on s'est évité tout problème de ce genre en attendant le 1er septembre pour rejoindre la V2. "Les signaux v1 étant exploitables jusqu'à cette date, on ne prenait aucun risque." C'est aussi le choix fait par un autre grand groupe média qui a, lui, carrément attendu la mi-septembre pour faire la bascule... et s'éviter pas mal de prises de tête.