Apple vs le marché pub français : l'Autorité de la concurrence rejette la demande de mesures conservatoires

Apple vs le marché pub français : l'Autorité de la concurrence rejette la demande de mesures conservatoires L'Autorité rejette la demande de l'IAB France, de la MMAF, du SRI et de l'Udecam qui reprochent à Apple de leur imposer l'affichage d'une pop-up de récolte de consentement au tracking. L'autorité continue toutefois d'instruire le dossier.

Dans le conflit qui oppose le marché publicitaire français à Apple, concernant la gestion de l'IDFA, cet identifiant publicitaire associé à chaque utilisateur d'iPhone, l'Autorité de la concurrence a finalement décidé de prendre son temps pour statuer. Elle vient en effet d'annoncer rejeter la demande de mesures conservatoires formulées par l'IAB France, la MMAF, le SRI et l'Udecam à la suite d'une plainte déposée à l'encontre d'Apple en octobre dernier. Cette plainte reprochait à Apple de vouloir imposer aux éditeurs d'application une nouvelle interface pour récolter le consentement de l'utilisateur avant d'exploiter l'IDFA qui lui est associé. L'Autorité estime qu'il n'est, à ce jour, pas possible de prouver l'existence d'une pratique anti-concurrentielle, comme le dénonce le marché publicitaire. Hors de question donc d'en suspendre le déploiement, annoncé pour la fin du 1er trimestre, estime-t-elle. L'Autorité précise néanmoins poursuivre l'instruction du dossier, le temps de vérifier que la mise en place par Apple de cette sollicitation ATT (Apple Tracking Transparency) peut être regardée ou non comme une forme de discrimination. Les anglo-saxons parlent de self preferencing. Consciente de la nécessité de trancher vite, la présidente de l'Autorité, Isabelle De Silva, a promis à Bloomberg qu'une décision serait prise d'ici début 2022, au plus tard.  

"La bonne nouvelle, c'est que l'Autorité a reconnu qu'Apple était bien en position dominante vis à vis des développeurs dont la société distribue les applications"

"La bonne nouvelle, c'est que l'Autorité a reconnu qu'Apple était bien en position dominante vis à vis des développeurs dont la société distribue les applications", retenait de son côté, lors d'une conférence de presse, Damien Géradin, l'avocat des plaignants. Ces derniers s'étonnent par ailleurs que la décision finale de l'Autorité ne s'aligne pas sur les recommandations de ses services d'instructions qui penchaient, eux, pour l'instauration de mesures conservatoires. Et de noter également que l'Autorité, qui avait sollicité la Cnil dans le cadre de la procédure, ne s'épanche pas plus sur l'avis rendu par le gendarme des données personnelles le 17 décembre dernier. "Dans sa version complète, l'avis de la Cnil se penche sur la conformité d'Apple avec eprivacy et la met sérieusement en doute", pointe Nicolas Rieul, le président de l'IAB France.

C'est évidemment une déception pour les associations qui avaient porté plainte. Sans leur donner tort sur le fond, l'Autorité estime ne pas disposer de suffisamment d'éléments pour qualifier les pratiques d'Apple d'abusives, ce qui justifierait l'application de mesures conservatoires. Pour rappel, les mesures conservatoires permettent à l'autorité de suspendre une pratique potentiellement anti-concurrentielle afin d'éviter que les victimes supposées ne "meurent" le temps de juger du fond de l'affaire, comme ce fut le cas des comparateurs de prix concurrents de Google Shopping par exemple. Le verdict était tombé 7 ans après la première plainte et la plupart des victimes portées au rang des disparus. 

A noter que la sollicitation ATT demandée par Apple n'est de toute façon pas obligatoire, à date. Le préjudice pour le marché est donc pour l'instant faible, ce qui a peut-être orienté la décision de l'Autorité. Mais la deadline est imminente, prévue pour d'ici la fin du 1er trimestre... Même si, à en croire un tweet de l'expert mobile Eric Seufert, elle pourrait être encore décalée. Apple est en effet attaqué de toute part sur ce sujet. Aux Etats-Unis, c'est Facebook qui ne ménage pas ses efforts en lobbying pour dénoncer une mesure qui pénalisera la centaine de milliers de chefs d'entreprises qui communiquent au sein de sa plateforme. En Chine, ce sont Tencent, Bytedance et des milliers d'acteurs de la tech qui ont mis sur pied un identifiant leur permettant de contourner les restrictions d'Apple. Un identifiant qui est construit à coup de fingerprinting, pratique complètement interdite par Apple. Mais les enjeux financiers associés à un marché qui pèse aujourd'hui pas loin d'un cinquième des revenus de la firme à la pomme pourraient prendre le pas sur son virage pro-privacy. Sanctionner les participants de l'initiative, c'est prendre le risque de s'attirer les mauvaises grâces d'un gouvernement qui les soutient de près. Avec à la clé, une possible éviction du marché chinois. Impensable...

Pour rappel, les associations françaises estiment, elles, que la mise en place du système qu'Apple veut imposer est superflue, les éditeurs s'appuyant déjà sur des CMP et un framework de transmission du consentement, le TCF, pour œuvrer en ce sens. Et même contreproductive, puisque l'initiative d'Apple ajoute de la complexité à un processus qui l'est déjà. "Apple veut imposer un système qui n'est même pas compatible avec le RGPD, le consentement de l'utilisateur n'étant pas libre et éclairé, et qui ferait doublon avec un système qui fonctionne déjà très bien", résumait le président de la MMAF, Pierre-Emmanuel Cros, au moment du dépôt de la plainte. C'est selon la coalition d'autant plus problématique qu'Apple ne prévoit pas de permettre aux éditeurs d'application de personnaliser l'interface qu'il veut leur imposer. "Apple nous vend ça comme un moyen de protéger la vie privée des utilisateurs mais c'est faux… C'est plutôt un moyen de profiter de sa position de force pour amoindrir la concurrence", assurait alors Pierre-Emmanuel Cros. Car les applications native d'Apple autorisent le ciblage publicitaire par défaut dans IOS 14. L'utilisateur doit en effet aller dans les paramètres de son iPhone pour y échapper dans une logique d'opt-out. Une pratique récemment dénoncée par l'association France Digitale qui a, elle, déposée plainte auprès de la Cnil. Tous les spécialistes de la promotion d'application seraient, dans cette configuration, clairement désavantagés par rapport à un service comme Search Ads, l'offre de promotion d'applications d'Apple. "On est, de par la force de frappe d'Apple, dans un abus de position dominante évident", résumait Pierre-Emmanuel Cros. C'était, à en juger l'annonce d'aujourd'hui, moins évident pour l'Autorité de la concurrence...