Avec le Covid, Amazon gagne même au rayon pub

Avec le Covid, Amazon gagne même au rayon pub La division publicitaire du géant de l'e-commerce a crû de près de 45% sur les neufs premiers mois de l'année. Un succès qui tient aussi bien à l'envol de l'e-commerce qu'à l'efficacité de ses produits sponsorisés.

Rares sont les acteurs publicitaires à avoir tenu tête au coronavirus en 2020. Après des années de croissance à deux chiffres, le marché du digital a chuté de 8% en France au premier semestre. Même Google et Facebook, que l'on pensait immunisés à tout, ont été amoindris par cette crise sans précédent. Les revenus mondiaux du premier ont baissé pour la première fois de son histoire au deuxième trimestre. Le second a certes déjoué les pronostics des analystes, qui anticipaient un fléchissement de ses revenus de 3%, mais a dû se contenter de la plus faible progression depuis son entrée en bourse : + 11%. Ces déboires ont fait le jeu d'un acteur : Amazon. Celui que l'on présente désormais comme la troisième force du marché publicitaire vient de clôturer deux trimestres étincelants. Son activité publicitaire, toujours cantonnée à une ligne de revenus "Autres" dans les bilans comptables, a crû de 41% et 51% sur un an au second et au troisième trimestre. De quoi lui permettre de générer près de 13,5 milliards de dollars de revenus sur les 9 premiers mois de l'année.

"Les annonceurs se tournent systématiquement vers les campagnes les plus ROIstes pour stimuler leurs ventes lorsque la conjoncture est difficile"

Ce n'est pas vraiment une surprise à en croire le fondateur du cabinet de conseil Make it Grow, Christophe Le Marchand. Déjà parce que, comme le rappelle cet expert du retail marketing qui a encore en tête les crises de 2003 et 2008, l'épisode est toujours favorable aux acteurs de la performance. "Les annonceurs se tournent systématiquement vers les campagnes les plus ROIstes pour stimuler leurs ventes lorsque la conjoncture est difficile." C'est d'autant plus vrai dans le cadre de la crise du coronavirus, pendant laquelle les sites médias ont, en prime, souffert d'un contexte particulièrement anxiogène. "Les annonceurs se sont détournés du display pour ne pas associer leur marque à des environnements où il n'était question que de coronavirus", observe Christophe Le Marchand. Le résultat ? Une chute de 17% pour le display et de 18% pour la vidéo au cours du premier semestre 2020 en France. L'offre publicitaire des sites e-commerce, qui échappent à ces considérations de brand safety, en a profité : + 20% pour le retail search (les liens sponsorisés affichés au sein des sites e-commerce) alors que le search classique chutait, lui, de 9% dans le même temps.

Les offres publicitaires des e-commerçants, celle d'Amazon en tête, s'en sont beaucoup mieux sorties que Google Shopping. Et ce n'est, là non plus, pas une surprise selon Christophe Le Marchand. "Les premières sont plus performantes d'un point de vue return on ad spend parce qu'elles permettent de toucher des utilisateurs en phase d'achat." Ceux qui se rendent sur le moteur de recherche de Google sont au début du tunnel de conversion. Alors que sur Amazon, il suffit d'un clic sur la publicité pour mettre le produit en panier. Le géant américain en a d'autant plus profité que, confinement oblige, l'audience et les ventes sur secteur de l'e-commerce ont explosé. Le coronavirus a entraîné à lui seul une hausse de 183 milliards de dollars des dépenses en e-commerce dans le monde, selon Warc. Le secteur va croître de 30,4% et 677 milliards dollars en 2020 pour atteindre 2 900 milliards de dollars de dépenses. La France, qui a recruté 2,5 millions de nouveaux cyber-acheteurs le temps du premier confinement selon Médiamétrie//Netratings, n'est pas en reste. Elle en recrutait en moyenne 800 000 par an jusque-là.

"L'ecommerce a gagné deux – trois ans de croissance en l'espace de deux mois"

"L'ecommerce a gagné deux – trois ans de croissance en l'espace de deux mois", estime Christophe Le Marchand. Amazon, qui réalise une vente sur deux aux Etats-Unis, en est un des premiers bénéficiaires. Même sa filiale française, où le géant de l'e-commerce a dû fermer ses entrepôts près d'un mois à la suite d'une décision judiciaire, a profité de cette révolution des usages. La semaine du 26 octobre, suite au nouveau confinement, la part de marché d'Amazon a grimpé de trois points par rapport au mois de septembre selon des données de FoxIntelligence. C'est, dans le monde, surtout son offre marketplace qui a profité de cette digitalisation des achats. Le géant de l'e-commerce a accueilli 1,1 million de nouveaux vendeurs, selon le site Marketplace Pulse. C'était, avant la crise, déjà près de 60% des ventes d'Amazon qui provenaient de vendeurs tiers (contre 34% en 2010). Une croissance qui a densifié la concurrence au sein de la plateforme. "C'est devenu plus compliqué d'être visible au sein de la première page, constate Christophe Le Marchand. Certains ont dû se résoudre à payer pour y figurer." Dans les secteurs les plus concurrentiels, il est devenu indispensable d'activer l'offre de Sponsored Products d'Amazon pour faire apparaitre son produit en haut des résultats de recherche.

Les marques ont été d'autant plus enclines à mettre la main au portefeuille qu'il ne s'agissait plus de communiquer pour ramener du monde en points de ventes (ceux-ci étant fermés) mais de tout miser sur l'e-commerce. "C'était pour certains retailers l'opportunité de vider des stocks qu'ils ne pouvaient plus écouler via leur réseau de distribution physique", observe Erwan Lohezic, cofondateur de l'agence de conseil en média digital, 3QTZ. Les marques vont dépenser 58,5 milliards de dollars en e-commerce advertising dans le monde en 2020, selon une récente étude de Warc. Une croissance de 18,3% qui tranche, ici aussi, avec la chute de 8,1% de l'industrie publicitaire au global.

"Tous les gros acteurs FMCG ont négocié de basculer une partie des budgets vers le digital, dont Amazon"

Le confinement a notamment contraint certains annonceurs à revoir leur stratégie de trade marketing. Ces accords noués entre marques et distributeurs, en début d'année, permettent aux seconds de valoriser la visibilité qu'ils offrent aux marques. Cette visibilité s'est longtemps cantonnée au offline, où il était question de tête de gondoles et publicités sur lieux de ventes (PLV). Mais le confinement a, avec la fermeture de la plupart des magasins physiques, rebattu les cartes. "Tous les gros acteurs FMCG (grande conso, ndlr) ont négocié de basculer une partie des budgets vers le digital dont Amazon", constate Christophe Le Marchand. Un patron d'agence confirme la frénésie. "Notre équipe de retail media digital est la seule à ne pas avoir dû recourir au chômage partiel. Nous étions énormément sollicités car toutes les marques voulaient communiquer chez les e-commerçants."

"En matière de retail marketing, il y a un leader, Amazon, et les autres"

Entamée en 2019, la digitalisation des investissements en trade marketing s'est vraiment accélérée cette année. "On est passé du test and learn à la démocratisation, décrypte Erwan Lohezic. Les marques réalisent que le digital leur permet de mesurer l'efficacité de ces opérations sur lesquelles elles avaient, jusque-là, peu d'informations." Du pain béni pour Amazon quand on sait que les investissements en trade marketing ont représenté près de 178 milliards de dollars aux Etats-Unis en 2019. Quasiment autant que les 200 milliards investis en publicité la même année, selon eMarketer. Le géant de l'e-commerce est celui qui profite le plus de cette bascule. "En matière de retail marketing, il y a un leader, Amazon, et les autres", constate Erwan Lohezic. Les équipes retail marketing France d'Amazon avaient, selon nos informations, déjà réalisé leurs objectifs annuels… en septembre. A tel point qu'elles sont parfois obligé de mettre le holà, à en croire notre patron d'agence anonyme. "On le voit avec un rendez-vous habituellement fort comme le Black Friday, Amazon fait profil bas." Le géant de l'e-commerce est, plus que ses concurrents français, dans le viseur de l'opinion publique depuis que le gouvernement a énoncé les conditions du second confinement, ouvrant la voie aux accusations de concurrence déloyale. "On sent aussi un élan général pour favoriser les marketplaces qui, elles, paient leurs impôts en France", analyse Erwan Lohezic.

Les retailers français à l'affut

RelevanC ou Carrefour plutôt qu'Amazon ? Difficile de croire que les marques françaises joindront les actes à la parole. La posture n'est pas sans rappeler celles des annonceurs qui ont longtemps juré leurs grands dieux qu'ils favoriseraient les médias français face à Google et Facebook. A une nuance près, estime Erwan Lohezic. "Google et Facebook ont des interfaces très performantes là où la suite d'outils d'Amazon n'a rien d'exceptionnel. Des plateformes comme Carrefour Experience ou RelevanC n'ont absolument rien à lui envier." Il est toutefois une chose que l'on ne peut pas enlever à Amazon, c'est la puissance de frappe de son réseau. Le géant de l'e-commerce, qui ouvre chaque année un peu plus d'entrepôts logistiques en France et ailleurs, multiplie les lancements de structures Amazon Advertising en Europe. "Amazon peut proposer aux marques des accords globaux, avec une équipe dédiée dans une quarantaine de pays… Ce que Carrefour ou RelevanC ne peuvent pas", analyse Erwan Lohezic. Une chose est sûre : tout ce petit monde devrait bien se porter l'année prochaine, à en croire Christophe Le Marchand. "L'incertitude qui plane sur le premier semestre 2021 va rendre les annonceurs encore plus frileux. On peut s'attendre à une baisse des budgets classiques au profit du retail media." Et surtout d'Amazon.