Brand safety : l'autre modération d'Internet ?

Et si la brand safety constituait le meilleur moyen de modérer Internet ? C'est peut-être ce qu'illustre la relation qui s'est tendue entre les annonceurs et Twitter depuis son rachat par Elon Musk.

La préoccupation des annonceurs de ne pas voir leur marque associée à des contenus offensants n’est pas nouvelle,  mais elle est en effet au cœur des tensions entre Twitter et ces derniers depuis qu’Elon Musk a procédé à une amnistie complète des comptes bannis du réseau. Des comptes supprimés pour avoir enfreint les règles de comportement de Twitter. Des comptes qui vont du soutien à l’Etat islamique au suprémacisme blanc, en passant par toutes les formes de complotisme ou de désinformation. 

Selon les observateurs, ce sont plus de 62 000 comptes qui seraient en cours de restauration. Une remise en question qui se double d’une réduction drastique des effectifs, qui a particulièrement affecté les équipes de modération du réseau ou les interlocuteurs des représentants des pouvoirs publics. 

Des annonceurs entre attentisme et scepticisme face au retour en arrière de Twitter

Un retour en arrière de la part du réseau social qui tout en étant fondé sur le principe même de  liberté d'expression, a été de fait le plus régulièrement pointé par les autorités ou régulateurs, pour son laxisme supposé en matière de modération des contenus et auquel on pourrait attribuer ironiquement la paternité -non désirée- de textes de régulation comme le DSA.

Mais si certains représentants politiques se sont publiquement offusqués de cette nouvelle donne sur le réseau, c’est des annonceurs qu’est venu le retour de bâton le plus direct…

 Plusieurs groupes d’agences, tels IPG Mediabrands ou Omnicom Media Group, ont ainsi conseillé aux marques d'éviter la plate-forme ou bien comme Group M, ont évalué la publicité sur Twitter comme étant "à haut risque". Media Matters a rapporté que 50 des 100 principaux annonceurs aux Etats-Unis auraient suspendu toute publicité sur Twitter. Parmi ces annonceurs on compte notamment VW, General Motors, Heineken, Nestlé, Coca-Cola, Mars et Ford mais également Apple, l’un des principaux budgets annonceurs de la plateforme. Une suspension qui a provoqué l’ire du nouveau propriétaire et dirigeant du réseau social qui y a opposé le principe de la liberté d'expression et défendu une stratégie de dés-amplification plutôt que de suppression des contenus.

Une attitude en cohérence avec les objectifs de publicité responsable

Il est quoi qu’il en soit pour le moins étonnant qu’une plateforme qui retire l’essentiel de ses revenus de la publicité, ait dans les faits, traité avec peu d’égards une préoccupation devenue si centrale pour des annonceurs qui ont conscience que leur réputation sociale est un enjeu majeur. Un enjeu crucial à l’heure où, toute pratique de “washing” fait systématiquement l’objet de critiques acerbes. 

D’autant qu'au-delà de la présence de bannières à proximité de contenus offensants, certaines marques ont déjà été confrontées à des faux comptes institutionnels distillant de la désinformation sur leurs produits... Une pratique parmi d’autres visant le patrimoine immatériel des marques qui avait d'ailleurs conduit les plateformes à développer des techniques de fingerprinting.  Nul n'ignore enfin aujourd’hui que la brand safety est une préoccupation au cœur de la dynamique plus globale de la publicité responsable, aux côtés d’autres engagements tels que la réduction de l'empreinte carbone de la publicité digitale. Pour les annonceurs, l’heure n'est plus aux débats sur le “pourquoi” mais sur le “comment” !

Décision opportune ou prise de conscience durable ?

Il est dès lors légitime de se demander si nous ne sommes pas face à un cas d’école : celui d’une autre forme de modération, qui sans se substituer au travail des équipes dédiées (2200 personnes chez Twitter avant les départs massifs), ni à l’action des algorithmes ou des “trusted flaggers”, fixe des lignes rouges. Quitte à suspendre, comme le permet effectivement le programmatique, une campagne de façon instantanée. Décision opportune ou signe d’une prise de conscience durable ? L’entreprise, acteur social à part entière, s'apprête ici à rejoindre un débat qui, au-delà des évidentes lignes rouges, connaît des frontières souvent plus subtiles à tracer, entre liberté d’expression et respect d’autrui. Mais c’est sans aucun doute l’une des contreparties nécessaires de l’avènement d’une véritable publicité responsable.