Henri Tcheng (BearingPoint) Henri Tcheng (BearingPoint) : "Free détient potentiellement la 1ère licence 4G en France"

Le vice président du cabinet de conseil en management et technologie analyse les deux grands enjeux actuels du secteurs des télécoms en France : la quatrième licence 3G et la consolidation du marché de l'Internet fixe.

 

L'Etat envisage-t-il réellement, comme cela a été révélé dans la presse française, d'abandonner la quatrième licence 3G ?

Je pense que l'information d'un abandon par l'Etat de la quatrième licence UMTS était une fuite organisée pour tester le marché. Même si le Conseil d'Etat a donné son aval, le fait d'étaler le paiement de cette licence pourrait être considéré comme une distorsion à la concurrence si les opérateurs entreprenaient une action devant les autorités européennes compétentes. Mais abandonner la quatrième licence 3G, ce serait pour l'Etat renoncer à une entrée de liquidités de 620 millions d'euros.

La solution de diviser en plusieurs lots les bandes de fréquences comprises dans cette licence me paraît donc la plus probable. Les bandes de fréquences étant plus étroite, le prix sera moins élevé. C'est moins douloureux pour le nouvel entrant, c'est bénéfique pour les finances de l'Etat et c'est bon pour le consommateur-électeur.

"Le nouvel entrant aura une couverture nationale en 2G dès le lancement de son service"

Que peut changer pour le marché de la téléphonie mobile l'arrivée d'un nouvel opérateur ?

L'entrée d'un nouvel opérateur de réseau sur le marché de la téléphonie mobile est une vraie problématique de politique industrielle. Cet acteur sera en mesure de créer une rupture, de changer l'équilibre du marché, sans pour cela posséder nécessairement l'intégralité des bandes de fréquences aujourd'hui comprises dans la licence. En effet, le nouvel entrant aura une obligation de couvrir au moins 25 % de la population en 3G, ce qui peut être fait assez rapidement. Dès lors, il bénéficiera d'accords d'itinérance avec les réseaux 2G d'au moins un des trois opérateurs actuels. En théorie donc, le quatrième opérateur mobile aura une couverture nationale en 2G dès le lancement de son service.

Mais le GSM ne permet pas d'accéder à l'Internet mobile. N'est-ce pas problématique aujourd'hui pour un nouvel opérateur ?

Les réseaux 2G supportent la technologie Edge, évolution du standard GSM qui permet de transporter des données à moyen débit, ce qui suffit aujourd'hui aux utilisateurs actuels de l'iPhone. Et n'oubliez pas que Free, qui est le candidat le plus probable pour la quatrième licence 3G, possède la seule licence nationale Wimax. Or le Wimax est une technologie capable de porter la quatrième génération de la téléphonie mobile. Free a donc potentiellement la première licence 4G en France.

"Neuf a joué le rôle de consolidateur du marché"

Le rachat de Neuf Cegetel par SFR met selon vous un terme à la consolidation du secteur de l'Internet fixe ?

Oui, dès que le sort d'Alice sera finalisé. Neuf a joué le rôle pendant trois ans de consolidateur du marché, avec les rachats successifs de Cegetel, AOL et Club Internet. L'Internet fixe est un marché qui exige de lourds investissements et supporte d'importants coûts importants. Il n'y a pas de place pour plus de cinq acteurs, voire quatre en France : Orange, Free, Neuf Cegetel et Numericable. Maintenant que le marché est consolidé, les stratégies de ces acteurs vont évoluer : les taux de conquête de nouveaux clients étant en décroissance, les FAI vont devoir mettre en place des stratégies de fidélisation pour retenir leur parc d'abonnés.

Et Alice ? La filiale française de Telecom Italia semble pourtant toujours dynamique en termes de nouveaux services et produits...

La seule façon de valoriser une entreprise, c'est de montrer qu'elle ne veut pas être vendue, qu'elle est dynamique, qu'elle continue à investir et à innover. C'est un jeu tactique en attendant d'intéressantes offres de rachat. Car le problème pour Alice est qu'il manque de repreneurs : Neuf est absorbé par sa fusion avec SFR, Free se déclare intéressé mais n'a pas une stratégie de croissance externe, et Orange n'est pas intéressé. Le candidat potentiellement le plus intéressé pourrait être selon moi Numericable qui a annoncé sa volonté de lancer une offre d'accès à l'Internet par l'ADSL. Mais la dernière proie sur le marché a visiblement envie de vendre chèrement sa peau !

"Le FTTH est un combat de rue qui rappelle celui du câble"

Dans tous ces enjeux de 2008, vous n'avez pas cité la fibre optique pour connecter à l'Internet très haut débit les foyers. Vous n'y croyez pas ?

Je suis en effet assez pessimiste sur le FTTH. Le raccordement d'un foyer en fibre optique est très coûteux. Pour rentabiliser cet investissement, l'opérateur doit avoir un taux de pénétration élevé dans les immeubles ou les zones pavillonnaires. Cela demande d'aller démarcher les clients avec des commerciaux qui passent de porte à porte. C'est un vrai combat de rue qui rappelle celui du câble dans les années 1980, à l'époque du plan gouvernemental de développement des réseaux câblés audiovisuels en France. Or le câble n'a jamais réussi à dépasser les 35 % de taux de pénétration à l'échelle nationale. Je pense que ce sera la même tendance pour la fibre optique, d'autant que la cible des offres de fibre optique est une cible CSP+, déjà fortement équipée en Internet haut débit via l'ADSL, ce qui est suffisant pour les usages actuels. Le deuxième problème est en effet qu'il manque aujourd'hui une "killer app" de la fibre optique.

 Parcours

Henri Tcheng, 41 ans, est vice président de BearingPoint France. Il a été nommé responsable EMEA de l'activité Communication & Content de BearingPoint.

Ancien élève de l'Ecole Polytechnique, Henri Tcheng a rejoint en 1989 Arthur Andersen. Dès 1994, il a participé à la création de l'activité conseil d'Arthur Andersen en France, qui deviendra BearingPoint en 2002.