Richard Broughton ((Screen Digest)) Richard Broughton : "La stratégie de contenus premium d'Orange sur l'IPTV va s'avérer payante"

Un service de TV par ADSL en tant qu'avantage gratuit n'augmente pas suffisamment le taux de recrutement ni le revenu par abonné pour être rentable, estime Richard Broughton, analyste chez Screen Digest.

 

Combien y a-t-il de clients à la TV sur ADSL en Europe aujourd'hui ?

Nous prévoyons plus de 12 millions d'abonnés à la télévision par ADSL d'ici la fin de l'année, plus de 22 millions d'abonnés d'ici fin 2012 et plus de 8 millions de foyers abonnés en France.

Quels sont les modèles économiques de télévision sur ADSL déployés par les opérateurs télécoms en Europe ?

La majorité des fournisseurs d'accès Internet européens ont introduit le service de télévision par ADSL en tant qu'avantage gratuit, dans le cadre d'offres triple play à prix unique. C'est notamment le cas en France.

A quelle stratégie répond le déploiement de ce modèle économique de TV sur DSL ?

La télévision par ADSL est généralement considérée comme un remède efficace au taux de désabonnement élevé constaté sur le secteur des fournisseurs d'accès à haut débit et comme un moyen d'acquérir de nouveaux abonnés.

Cette stratégie fonctionne-t-elle ?

Cela dépend du contexte du marché. Dans les marchés où les fournisseurs d'accès Internet par l'ADSL sont fortement concurrencés par le câble, comme en Belgique, en Suède ou en Allemagne, le lancement de la télévision par ADSL a permis aux opérateurs de redevenir compétitifs sur le marché de l'Internet haut débit. Pour autant, sur ces marchés européens spécifiques, la télévision par ADSL n'est pas tant un avantage concurrentiel qu'un moyen de rester dans la course.

Dans d'autres pays d'Europe, notamment au Royaume-Uni, en Italie et en France, où la télévision payante par câble connaît un moindre succès, l'effet est beaucoup moins perceptible. En France, le très concurrentiel marché de la télévision par ADSL a placé les opérateurs dans une situation intéressante : y proposer la télévision par ADSL ne suffit pas à augmenter le taux d'abonnement à l'Internet haut débit, car tous les grands opérateurs offrent déjà ce service.

"Certains FAI ont réduit de 50 % leur taux de désabonnement grâce à la TV sur ADSL"

Le lancement d'un service de TV sur ADSL n'a-t-il pas également comme ambition de réduire le taux de désabonnement et d'augmenter le revenu par abonné haut débit ?

Si en effet. Les FAI ADSL ont calqué leur modèle économique sur celui des bouquets de chaînes de télévision payants, dont le taux de désabonnement est deux fois moins élevé que celui des opérateurs d'Internet haut débit. Et cela a fonctionné. Certains FAI ont baissé de 20 à 50 % leur taux de désabonnement grâce aux services triple play. Toutefois, cela ne justifie pas les investissements consentis pour développer ce service.

La TV sur ADSL ne permet pas d'augmenter le revenu mensuel par abonné (ARPU) des FAI ?

Si, mais pas suffisamment. En France par exemple, l'augmentation moyenne de l'ARPU par les services payants d'IPTV (VoD, paiements à l'acte, chaînes premium) est de 5 euros par mois. Or, selon nos estimations, les revenus de la TV sur ADSL doivent s'élever au minimum 7 à 8 euros par mois pour les FAI. En dessous de cette valeur, en raison du coût des investissements technologiques (développement et financement de set-up box évoluées intégrant des PVR, développements logiciels, coûts d'infrastructure technique, coût de la bande passante, etc.), il devient très difficile pour un service de télévision par ADSL d'être rentable.

"Les revenus de l'IPTV devraient atteindre 660 millions d'euros en France en 2008"

A combien s'élèvent aujourd'hui les revenus générés par les services de TV sur ADSL en Europe ? En France ?

En 2007, les revenus de la TV sur ADSL ont représenté 900 millions d'euros en Europe, dont 400 millions en France, selon Screen Digest. Ces revenus devraient atteindre en 2008 1,5 milliard d'euros en Europe, 660 millions en France.

Quelles sont les solutions, selon vous, pour rentabiliser les services de TV sur ADSL ?

Passer ce service en option payante, de l'ordre de 5 euros par mois, comme le fait avec succès Telefonica en Espagne. En France, il n'est pas envisageable que les FAI fassent marche arrière sur leurs offres triple play actuelles. Une solution pour sortir de cette impasse consiste à accroître le revenu moyen par utilisateur en développant de nouveaux packages et contenus, notamment des contenus en propre comme le fait Orange qui a acquis les droits de diffusion des matches de la Ligue 1 de football.

Des droits acquis par Orange à hauteur de 200 millions d'euros par an. Or, jusqu'à présent, l'offre Orange Foot connaît un succès modéré auprès des consommateurs : elle n'a attiré que 50 000 abonnés en septembre 2008. Ce n'est pas vraiment rentable...

Orange doit positionner son service de télévision en haut de gamme afin d'augmenter le revenu par abonné au dessus de la zone de risque identifiée par Screen Digest à moins de 7-8 euros par mois. Néanmoins, en dépit des prix d'abonnement bas proposés par Orange Foot (6 euros par mois), France Télécom réussit tout de même à réaliser un faible taux de marge. A la différence de nombreux opérateurs de télécommunications européens, Orange bénéficie en effet de la base d'abonnés nécessaire pour passer à un contenu premium. Le groupe a atteint près de 1,4 millions d'abonnés IPTV en France à la fin du second trimestre 2008. Nous prévoyons qu'à la fin 2012, près d'un foyer sur 10, soit 2,3 millions d'abonnés, devrait souscrire à Orange TV en France.

Mais tous les FAI n'ont pas les moyens d'investir dans l'achat de contenus premium à hauteur de 200 millions d'euros par an. La solution d'offrir aux abonnés l'accès au plus grand nombre de contenus premium possibles, en passant des partenariats comme avec Canal+ pour Free et SFR-Neuf, ne peut-elle pas s'avérer rentable pour les FAI ?

Le désavantage de ces partenariats est, qu'au final, le FAI ne touche qu'une faible part des revenus générés par ces contenus. Selon moi, passer à un contenu haut de gamme plus coûteux, comme le fait France Télécom, peut être le meilleur moyen de se différencier pour les services de télévision par ADSL. Les fournisseurs de services se contentant de proposer gratuitement la télévision par ADSL se comportent comme la Reine Rouge dans "Alice au pays des merveilles" : ils courent pour rester simplement à la même place. S'ils souhaitent se placer en tête de la course, ils vont devoir courir deux fois plus vite.

Parcours :

Richard Broughton est spécialiste du marché de la pay-TV chez Screen Digest. Sur ce secteur d'activité, il s'intéresse notamment aux stratégies des grands acteurs et aux tendances du marché naissant de la télévision par ADSL. Richard Broughton est diplômé de l'Université de Cambridge. Il est l'auteur de l'étude: "Les modèles économique de la télévision par ADSL : profits et pertes pour le secteur des télécommunications".