Pourquoi le cours du bitcoin obsède-t-il tant ?

Le cours de la première crypto-monnaie en termes de valorisation obsède les foules depuis un an. Mais y pensons-nous tous de la même manière ?

Si le bitcoin existe depuis une dizaine d’années, ce n’est que très récemment que son cours a commencé à obséder tout le monde.  90% de la population a au moins une fois entendu parler de bitcoin. Pourtant, mis à part son extrême volatilité et les interviews successives des "millionnaires en bitcoin", seule une infime partie d’entre eux s’y intéressent suffisamment pour comprendre ne serait-ce que les bases de son fonctionnement. Alors, pourquoi le cours du bitcoin obsède-t-il tant les gens, y compris ceux qui n’y comprennent rien ou ceux qui ne souhaitent pas s’en procurer ?

Une longue histoire, un emballement récent

Le bitcoin a déjà connu un effet de bulle en 2014, mais personne ne s’en souvient. Et pour cause : à l’époque, le sujet reste globalement inintéressant aux yeux du grand public, car les seuls à posséder du bitcoin sont essentiellement des geeks investis dans l’idéologie de la décentralisation. Le réseau Bitcoin n’intéresse personne d’autre et le pays préfère se concentrer sur Julie Gayet, Nabilla, la Coupe du Monde, l’iPhone 6 et Dieudonné, qui sont les sujets les plus tendances de l’année selon Google.  En 2014, le cours du bitcoin peut bien faire des sauts périlleux s’il le souhaite, seule une minorité de journalistes s’intéressent de temps en temps au sujet pour combler une rubrique manquante, et rencontrent globalement peu de réactions auprès des lecteurs.

Si l’on devait retracer le début de l’emballement du grand public pour un produit qui leur était alors totalement inconnu, je dirais que la folie s’est amorcée en printemps/été 2017, alors que le cours du bitcoin passe d’environ 2 000 dollars en mai à plus de 4 000 fin septembre, avant de continuer son escalade. C’est aussi à ce moment là que des médias grand public comme Le Monde, Le Figaro, Forbes, et BFM TV commencent à communiquer sur le sujet, en ciblant précisément les angles d’attaques :

Jusque-là, l’immense majorité des Français n’a jamais entendu parler du bitcoin et des crypto-monnaies. Et la manière dont le sujet est abordé dans les médias a très vite fait de scinder en deux la population, entre une partie dont les yeux brillent à l’idée de devenir millionnaire en bitcoins en l’espace de quelques mois, et une partie à la fois méprisante des premiers et méfiante envers un réseau obscur et visiblement dangereux.

Une méfiance grandissante au fur et à mesure que le bitcoin est de plus en plus associé au terme de "bulle" - y compris par des chroniqueurs n’ayant pas la moindre notion en économie ou en finance. L’excitation est à son apogée en décembre 2017, lorsque le cours atteint presque les 20 000 dollars avant de chuter brusquement pour passer sous la barre des 8 000 et des 7 000 dollars en avril. Le tout dernier dump est bien plus récent et a eu lieu ce mois-ci, faisant descendre le cours sous la barre des 4 000 dollars le 24 novembre, a un niveau plus bas qu’au mois d’août dernier.

Les réactions face aux chutes du cours du bitcoin

Il est rare de voir des positions aussi marquées que lorsqu’il est question de donner son avis sur le cours du bitcoin. On pourrait s’en étonner, mais la raison pour laquelle celui-ci fascine autant est tout simplement la puissance avec laquelle celui-ci appuie sur certains biais cognitifs.

Le bitcoin a réussi à scinder la population en deux (ou presque), avec une grande partie restant convaincue que toutes les personnes en détenant (ou détenant d’autres crypto-monnaies) sont vouées à devenir millionnaires, et une autre partie convaincue d’être face à une bulle dans le meilleur des cas, une arnaque dans le pire. La vérité est certainement plus nuancée et se situent probablement quelque part entre ces deux hypothèses. Mais pour porter un regard neutre, il faut préalablement s’exempter des biais cognitifs qui, d’un côté comme de l’autre de la population, faussent le jugement.

Les intouchables

Parmi les pro-bitcoins, on retrouve les passionnés des débuts, qui croient fermement en la technologie de blockchain, mais aussi en le potentiel d’adoption massive de la crypto-monnaie. Leur jugement, bien très tranché, fait cependant sûrement partie des plus éclairés, car cette catégorie de personnes connait non seulement le fonctionnement de la crypto-monnaie, suit de près les actualités y étant liées, mais surtout ne basent pas l’essentiel de leur rapport au bitcoin sur la spéculation. Nombre d’entre eux ne le voient d’ailleurs pas comme un investissement financier, mais un investissement personnel, dans la mesure où ils communiquent activement pour contribuer à son développement et son adoption. Certains se livrent occasionnellement à des activités de trading, d’autres non. Globalement, cette catégorie de personnes est assez peu sensible aux évolutions du cours et parvient à prendre du recul lorsque celui-ci s’effondre. Et leur réaction est plutôt logique, car aucun d’entre eux n’a rejoint la communauté Bitcoin avec pour objectif de devenir millionnaire.

Il serait cependant faux de penser que les "intouchables" ne sont pas victimes de biais cognitifs dans leur rapport avec la crypto-monnaie. Leur aversion à l’ambiguïté les conduit, pour beaucoup, à favoriser les situations où les probabilités sont connues en établissant différents scénarios. Il est pourtant impossible de savoir avec certitude quel scénario peut se produire, et il est également souvent illusoire de chercher à expliquer le mouvement d’un cours avec une analyse fondamentale trop élaborée, car il n’existe pas toujours d’explication rationnelle à ces mouvements. Cela est particulièrement le cas sur le marché des crypto-monnaies, où les volumes échangés sont encore assez faibles et où les transactions passées par de gros acteurs peuvent impacter significativement le cours du bitcoin.

Les paniqués

Une grande partie des pro-bitcoins sont âgés de 18 à 25 ans et ont rejoint le mouvement fin 2017, après avoir entendu plusieurs récits de success stories relayés par les grands médias. Parmi cette tranche de la population, on retrouve essentiellement de jeunes rêveurs, tous unis par un objectif commun : devenir riche. Nous avons toujours été sensibles aux histoires de Monsieur Tout le Monde, qui réussit à devenir millionnaire sans avoir fait trop d’efforts et en "partant de zéro". Nombre de jeunes n’ayant jamais entendu parler de bitcoin et des crypto-monnaies ont commencé à s’y intéresser sous l’influence de ces récits. Trois mois plus tard, alors que le marché s’effondrait, les grands médias ne hâtaient d’alarmer les jeunes investisseurs imprudents d’une explosion imminente de la bulle,  après avoir insidieusement installé de grands espoirs dans l’inconscient des plus vulnérables.

Il est normal que de jeunes investisseurs n’ayant aucune connaissance du marché cèdent à la panique à chaque chute du cours. Il est encore plus normal  – et c’est malheureux – que ces derniers se fassent aussi facilement manipuler par les médias et cèdent à l’argument d’autorité dans un monde où la recherche d’informations et l’esprit critique est si peu encouragé. Il est moins normal, en revanche, que ces mêmes personnes soient aujourd’hui la cible de jugements méprisants de la part de certains journalistes ayant une grosse part de responsabilité dans leur entrée sur le marché – et donc dans une plus large mesure, de l’alimentation de la bulle du bitcoin. Car si aujourd’hui, le cours du bitcoin les obsède tant, c’est bien parce qu’on a fait l’erreur de leur présenter ce cours comme exceptionnel, voire exponentiel. Et s’ils paniquent aujourd’hui, c’est qu’on leur présente dorénavant la chute comme étant dramatique.

Les revanchards

N’est-il pas surprenant que de l’autre côté de la population, nombreux sont ceux qui suivent avec une grande attention l’évolution du cours du bitcoin, sans avoir mis un centime dessus, ni même sans en avoir la moindre intention ? Rien de surprenant, malheureusement, car nous ne restons que des humains. L’immense majorité des personnes n’ayant pas investi dans le bitcoin sont très virulentes à son propos. Il s’agit essentiellement d’individus ayant une forte aversion au risque et en recherche de sécurité.

Le bitcoin, lorsque l’on en ignore le fonctionnement, a effectivement tout l’air d’être au mieux absurde et inutile, au pire une arnaque très bien ficelée comme une pyramide de Ponzi. Voir le cours du bitcoin chuter peut ainsi être une satisfaction pour valider son raisonnement, mais aussi pour donner une leçon à tous les investisseurs stupides s’étant frottés à un jeu aussi dangereux. Le biais cognitif du "monde juste" est extrêmement puissant en France, où le rapport à l’argent est bien souvent malsain et attise de profondes jalousies. Qu’y a-t-il de juste à voir des individus lambdas devenir millionnaires sans avoir fourni d’autre effort que de voir du potentiel en une monnaie de singe ? Ici, la correction ne semble être que justice, et conforte surtout chacun à ne pas avoir investi dans le bitcoin, car cela aurait été une erreur.

Pourtant, le cours du bitcoin n’a que faire des émotions de chacun, et il est tout à fait manichéen voire puéril d’aborder le sujet sous cet angle. La baisse du cours n’est pas une punition pour un investisseur et il est tout à fait absurde d’y chercher une explication philosophique. Alors concrètement, pourquoi le cours du bitcoin nous obsède tant ? Pour certains, il s’agit d’une lutte, pour d’autres, d’un rêve. Pour les indécis, des grands médias se chargent du reste, en forgeant de toute pièce le raisonnement de chacun et en relançant la machine au bon moment. Et en la matière, le cours du bitcoin n’est qu’un exemple.