Notaires et blockchain : un duo au soutien d’une vision renouvelée du droit ?

Qu’il s’agisse de politique, de médias ou nombre de professions dites intermédiaires, les Français montrent de plus en plus de défiance à l’égard d’un certain nombre d'institutions. Et la justice elle-même n’est pas en reste, moins de la moitié de nos compatriotes (44%) déclarant lui faire confiance aujourd’hui.

Pourtant, cette défiance, exacerbée par une recherche constante de preuve au service de la vérité, trahit également une incompréhension forte par la population du fonctionnement de la justice. En effet, reposant sur cette preuve, aucun fait juridique ne peut exister sans elle, aucune procédure entamée ni aucune décision rendue. La preuve demeure l’un des socles de l’édifice judiciaire. Particularité de notre système juridique face au système anglo-saxon, elle est organisée, hiérarchisée. Lorsqu’elle est parfaite, comme par exemple pour un contrat signé ou un acte authentique, elle lie le juge et assure au justiciable une meilleure prévisibilité de son droit, à l’inverse de ce qui se produit dans le système anglo-saxon où le juge est tout puissant. En parallèle, et depuis quelques années, nous entendons parler de la très médiatique blockchain, qui serait vue comme un nouveau tiers de confiance capable d’assurer une vérité qui se voudrait absolue. Si rien n'est moins vrai - en matière de droit dans notre système judiciaire du moins - reste toutefois que ce type de technologies, couplé à l’intelligence artificielle, présente de nombreux atouts qu’on ne peut ignorer, notamment en ce que la blockchain pourrait renouveler la manière dont les Français perçoivent et comprennent le droit et ses implications dans leur quotidien.

La blockchain ne peut faire le droit...  

On prête aujourd’hui à la blockchain des attributs dont elle n’est pas pourvue. Présentée comme un espace de partage et de confiance, elle disposerait du pouvoir de frapper du sceau de la vérité les informations qu’elle héberge. Pourquoi ? Comment ? Une simple équation mathématique serait-elle donc parvenue à résoudre des siècles de travail juridique à la recherche de la vérité ? Assurément non. Si elle permet d’horodater, de stocker ou encore d’exécuter des smart contrats, un serveur unique basé sur un cloud permet lui aussi de réaliser de telles actions. La vraie révolution de la blockchain réside surtout dans la manière de sécuriser la donnée qu’elle contient : plutôt que de reposer sur un système centralisé, la blockchain répartit le risque sur des milliers, voire des millions d’ordinateurs. Ainsi, prosaïquement, cela revient à sécuriser un accès, non pas avec un cadenas très solide, mais avec des milliers de cadenas, à la robustesse peut être moins importante.

Par ailleurs, si la blockchain permet de sécuriser son contenu, rien ne garantit pourtant que ce dernier est vrai et vaut donc preuve parfaite pour lier le juge en cas de contestation. Quand bien même nous lierions cette blockchain à une intelligence artificielle (capable de rédiger un acte) et à un outil de signature électronique, comment espérer que ces technologies puissent comprendre, voire déchiffrer, la volonté des clients ? Comment s’assurer que le contrat est équilibré et que les parties se sont engagées en pleine conscience ? L’appréhension de cette volonté, et le doute qui permet de ressentir certains risques, ne sont-ils pas des caractéristiques propres à l’Homme ? Car c’est bien là que réside le cœur de métier du tiers de confiance : de sa capacité à comprendre la volonté d’un autre être humain, de s’assurer de son parfait consentement et de dresser un acte équilibré, très difficilement contestable, qui liera les parties dans le temps. En somme, ce tiers de confiance que nous appelons notaire, dit et fait le droit, au titre de sa mission de service public. Mission qui ne peut cependant être appréhendée par les nouvelles technologies.

... mais elle peut l’éclairer  

Aussi, bien qu’il soit difficile d’imaginer une blockchain, même couplée à une intelligence artificielle, en lieu et place du tiers de confiance, elle pourrait néanmoins s’avérer un outil intéressant au service de la compréhension de notre droit. En effet, qui peut aujourd’hui prétendre connaître avec précision ses droits, ou même connaître l’impact d’une réforme sur l’un de ses contrats (mariage, titre de propriété…) ? Si nous avons vu que la technologie ne peut créer du droit, elle pourrait toutefois en assurer une plus grande accessibilité. Pourquoi donc ne pas aller plus loin et imaginer, à terme, la mise en place de blockchain à l’échelle européenne permettant d’assurer la conservation et l’accessibilité à l’ensemble des actes signés par un tiers de confiance ? Des actes non plus inertes et verbeux mais capables d’interagir dans l’environnement législatif et d’alerter directement le citoyen sur l’impact d’une réglementation, au niveau national ou européen. Loin de dire le droit donc, la blockchain et l’intelligence artificielle pourraient du moins l’éclairer. Au bénéfice de tous, notaires, juristes ou contractants, mais surtout au bénéfice d’une confiance retrouvée. Le croisement des codes est devenu une réalité. Juristes et développeurs doivent donc plus que jamais s’allier pour rendre le droit plus personnalisé, accessible et compréhensible.