François Pérol (BPCE) "Il y aura d'autres fusions de Banques Populaires ou de Caisses d'Epargne"

Relations avec la CNP, changements chez Natixis, développement à l'international... Le président du directoire de BPCE, François Pérol, détaille sa feuille de route pour les quatre années à venir.

A la tête du groupe bancaire français BPCE depuis la fusion en 2009 des réseaux Banque Populaire et Caisse d'Epargne, François Pérol dirige un groupe qui pèse 17,1 milliards d'euros de produit net bancaire et emploie 115 000 personnes dans le monde, dont 102 000 en France. Après s'être attelé au redressement du groupe, le président du directoire s'attaque à sa transformation.

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François Pérol, président du directoire du groupe BPCE. © Cécile Debise/JDN

JDN. Les Banques Populaires d'Alsace et de Lorraine-Champagne envisagent leur fusion. Cela en appelle-t-il d'autres ?

François Pérol. Il n'y a pas de grand plan de fusions, comme il y a pu en avoir par le passé dans les Caisses d'Epargne et dans les Banques Populaires, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de rapprochement au cas par cas. Les Banques Populaires d'Alsace et de Lorraine-Champagne étudient leur rapprochement. C'est une très bonne chose, puisqu'elles vont créer une entité qui aura une taille critique plus élevée et plus de moyens pour réaliser des investissements qu'elles n'auraient pas été capables de faire chacune de leur côté. Ma conviction personnelle est qu'il y aura d'autres fusions dans les mois, dans les années qui viennent. Mais pas un très grand nombre, car nous devons malgré tout conserver cette idée de proximité territoriale.

En matière de banque en ligne, vous ne souhaitez pas créer une entité à part entière, comme l'a fait BNP Paribas avec Hello Bank!. Pourquoi ?

Nous ne voulons pas créer une offre spécifique, "low cost", à destination des clients "100% digital" (ceux qui n'avaient pas besoin d'un conseiller attitré). Nous voulons répondre aux attentes de tous nos clients : certains d'entre eux sont encore "0% digital" – ils sont de moins en moins nombreux, mais il faut aussi penser à eux – mais d'autres, et ils sont majoritaires, veulent pouvoir accéder à leur banque au moyen des dernières technologies disponibles, smartphone, tablette et ordinateur, tout en ayant accès à un conseiller et pas à une machine. Nous allons donc avoir un investissement très important à réaliser pour "digitaliser" la totalité de notre offre, de nos process – entrée en relation pour un particulier ou un professionnel, octroi d'un crédit immobilier, octroi d'une assurance-dommages... – tout en continuant à nous appuyer sur nos conseillers. L'objectif, c'est qu'en 2017, la quasi-totalité de notre offre de banque et d'assurance soit accessible par voie électronique.

"Nous allons continuer à recruter mais nous n'allons pas augmenter nos effectifs dans les réseaux"

Par "investissement", entendez-vous "embauches" ?

J'entends "investir en talents". Nous allons continuer à recruter mais nous n'allons pas augmenter nos effectifs dans les réseaux. Je pense que la banque de détail en France ne sera pas un recruteur net dans les années qui viennent. C'est lié aux évolutions technologiques. Cela ne veut pas dire que nous n'aurons pas besoin de spécialistes pour d'autres choses. Nous avons connu toute une période pendant laquelle nous avons équipé nos clients, bancarisé les Français et créé des agences. Cette époque est maintenant révolue. Les banques ne créent plus d'agences. Elles vont toutes, à mon avis, adapter leur réseau. Nous essayons tous de nouveaux formats d'agence, avec plus ou moins de succès, qui tiennent compte du fait que la fréquentation baisse d'année en année.

À partir de 2016, Natixis produira les nouveaux contrats d'assurance-vie que vendront les Caisses d'Epargne à la place de votre partenaire CNP Assurances. Que recherchez-vous ? Une meilleure rentabilité ? Une croissance de votre volume d'activité ?

L'assurance-vie représente 40% de l'épargne des Français. Nous ne pouvons pas nous permettre d'être absents de ce marché qui est complémentaire à nos activités. Nous préférons maîtriser la totalité du dispositif et garder l'essentiel de la valeur plutôt que d'être dépendants de partenaires, même si nous les apprécions. La CNP restera un partenaire important des Caisses d'Epargne, ne serait-ce que parce que nous lui proposons de conserver la gestion du stock de contrats vendus avant la fin de notre accord le 31 décembre 2015, ce qui représente aujourd'hui un peu plus de 5 millions de contrats et 100 milliards d'euros d'encours. Nous sommes à l'écoute des propositions de la CNP, y compris pour les contrats produits à partir du 1er janvier 2016. Elle pourrait nous apporter une connaissance industrielle et un savoir-faire dans certains domaines.

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Pour François Pérol, "la banque de détail en France ne sera pas un recruteur net dans les années qui viennent". © Cécile Debise/JDN

D'accord, mais on ne change pas une équipe qui gagne. Qu'est-ce qui ne vous satisfaisait plus dans votre partenariat avec CNP ?

Nous ne nous sommes pas posé la question en ces termes. Comme avec tout partenaire, nous avons de justes récriminations sur un certain nombre de sujets. Mais c'est avant tout une décision industrielle et stratégique. Encore une fois, l'accord qui nous lie à la CNP a un terme : il s'arrête le 31 décembre 2015. Ce n'est pas nous qui y mettons fin. La question de savoir ce que nous ferions à partir du 1er janvier 2016 se posait. Jusqu'à présent, les Caisses d'Epargne ne l'avaient pas considéré, puisque la Caisse des dépôts, principal actionnaire de la CNP, était aussi actionnaire de Caisse d'Epargne avec un droit de veto sur les questions stratégiques. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Donc évidemment, les Caisses d'Epargne et BPCE reconsidèrent le sujet sous un angle industriel. C'est un choix de moyen-long terme extrêmement logique, qui n'a rien de surprenant et qui s'inscrit dans nos projets de développement en France. Ce n'est pas de la tactique : nous ne faisons pas cela pour "rabioter" un peu plus de commissions auprès de la CNP. C'est un projet qui va porter ses fruits à cinq, dix voire quinze ans. Nous pensons que l'assurance est complémentaire de nos activités de crédit, il est donc primordial de maîtriser la chaîne de valeur.

CNP Assurances menacerait de cesser de verser à BPCE les commissions qui portent sur le stock de contrats...

Nos contrats sont clairs et stipulent que ces commissions sont dues jusqu'à la fin de la durée de vie de ces contrats. C'est la pratique dans tous les accords de banque-assurance existants dans le monde. C'est non seulement la lettre de nos contrats mais également leur esprit. D'ailleurs la CNP ne nous a jamais écrit cela.

"Chez Natixis Assurances, nous aurons besoin d'embaucher, de recruter, de former. Nous sommes ouverts à une discussion avec la CNP qui, elle, va se retrouver dans la situation inverse"

Allez-vous procéder à des embauches ou à des créations de poste pour produire ces contrats ? Ou bien n'allez-vous recourir qu'à de la formation ?

Nous avons un vaste projet d'investissement pour Natixis Assurances qui concerne le développement de programmes informatiques mais aussi les hommes. Nous aurons, bien sûr, besoin d'embaucher, de recruter, de former. Nous venons d'accueillir au comité de direction générale de Natixis Jean-François Lequoy, qui était le délégué général de la FFSA et un professionnel reconnu de l'assurance, pour prendre la responsabilité du développement du pôle assurance. Nous sommes ouverts à une discussion avec la CNP qui, elle, va se retrouver dans la situation inverse. Mais pour cela, il faut qu'on discute avec nous, sinon nous trouverons les talents ailleurs, mais ce serait dommage !

Vous comptez mettre en place le modèle "originate to distribute" chez Natixis. De quoi s'agit-il et pourquoi avoir fait ce choix ?

Auparavant, les prêts que nous initiions étaient inscrits à notre bilan et y restaient jusqu'à leur amortissement complet. La nouvelle réglementation Bâle III freine la croissance des bilans. Désormais, il faut que nous soyons capables de revendre la créance que nous avons sur nos clients à des investisseurs qui peuvent être des assureurs-vie pour des prêts à moyen-long terme, des gestionnaires d'actifs pour des prêts à plus court terme ou des banques qui n'auraient pas les mêmes contraintes de liquidités. Assez rapidement après avoir initié un prêt, nous chercherons à en revendre une partie, mais nous en garderons toujours une part de cette créance dans notre bilan. Est-ce que ce sera 15, 30 ou 50% ? Cela dépendra. Nous voulons que l'investisseur à qui nous vendons une partie du prêt se dise : "Puisqu'ils en gardent une partie, c'est qu'ils ont soigneusement évalué le risque et qu'ils ont pris des garanties". Autrement dit, nos intérêts sont alignés sur ceux des investisseurs à qui nous distribuerons ces prêts.

"Si nous voulons développer notre activité, nous devons être plus économes de notre capital et de notre liquidité"

Est-ce que cela ne signifie pas aussi que vos fonds propres sont insuffisants à l'heure actuelle ?

Cela signifie que pour la même activité, la réglementation nous impose d'avoir davantage de fonds propres et davantage de réserves de liquidités. C'est vrai pour tout le marché. Les exigences ont augmenté. Vous devez avoir moins d'effet de levier et un ratio de solvabilité plus élevé. Donc, si nous voulons conserver le même niveau d'activité, ou si nous voulons développer notre activité, nous devons être plus économes de notre capital et de notre liquidité.

L'image de Natixis n'est-elle pas trop dégradée pour regagner la confiance de ce type d'investisseurs ?

Le regard que portent la concurrence, les investisseurs et le superviseur sur Natixis a changé, parce qu'elle est redevenue une banque solide qui a multiplié son cours de Bourse par plus de cinq sur la période, qui distribue des dividendes et qui est bénéficiaire, sans discontinuité, depuis le troisième trimestre 2009. Nous avons considérablement réduit notre profil de risque. Je crois même que nous sommes mieux placés que nos concurrents parce que nous sommes plus petits qu'eux. Notre organisation est donc peut-être un peu plus facile à manier, plus réactive, plus agile.

Toujours au sujet de Natixis... La cour d'appel de Grenoble a récemment condamné la Banque Populaire des Alpes à indemniser à hauteur de 5 800 euros un de ses clients qui avait acheté des actions Natixis en 2006. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Nous nous réservons la possibilité de nous pourvoir en cassation.

Vous pourriez être entendu par la justice sur les conditions de votre nomination à la tête de BPCE il y a bientôt cinq ans. Comment abordez-vous cette échéance et que répondez-vous à ceux qui vous accusent de prise illégale d'intérêt ?

Je ne souhaite pas faire de commentaire.

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"Nous sommes mieux placés que nos concurrents parce que nous sommes plus petits qu'eux", estime François Pérol, au sujet de Natixis Assurances. © Cécile Debise/JDN

Revenons-en à BPCE. Vous vous dîtes ouvert à des acquisitions à l'international. Avez-vous déjà des pistes ?

Aujourd'hui, en matière de gestion d'actifs, nous n'avons pas de projet particulièrement avancé. Hors gestion d'actifs, si des opportunités se présentent, nous pourrons regarder des projets d'acquisition en banque de détail, en Afrique et en Europe, c'est-à-dire dans des zones relativement proches de nous. En Europe, parce que nous pensons qu'un marché bancaire plus intégré va progressivement se mettre en place, et en Afrique parce que nous pensons que c'est une zone qui possède un fort potentiel de croissance et qui est géographiquement et culturellement proche de nous.

L'introduction en Bourse de l'assureur-crédit Coface, c'est pour cette année ?

Oui, nous la planifions pour le 1er semestre 2014. La part du capital qui sera mise en vente n'est en revanche pas encore définie mais ce sera une part significative.

"Nous planifions l'introduction en Bourse de Coface au 1er semestre 2014. La part du capital mise en vente sera significative"

Vous estimez avoir terminé le redressement de BPCE. Avez-vous tout de même certains échecs en tête ?

Des projets n'ont pas abouti. Nous avions par exemple envisagé la création de coopérations industrielles interrégionales pour favoriser la mise en commun de moyens entre plusieurs Banques Populaires régionales et plusieurs Caisses d'Epargne régionales sur des très grandes "plaques", comme le grand Est, allant de Lille à Dijon, en passant par Strasbourg. Cela n'a pas marché. Les banques régionales n'ont montré que peu d'intérêt pour ce concept. En revanche, elles se sont montrées beaucoup plus sensibles à la mise en commun de moyens aux niveaux régional et national. L'échelon intermédiaire relevait sans doute plus de la sophistication intellectuelle que d'autre chose...

Enfin, une question que le JDN aime bien poser aux dirigeants qu'il rencontre... Si vous deviez créer une entreprise aujourd'hui, ce serait dans quel secteur ? Le feriez-vous en France ?

Je monterais une entreprise dans le secteur des paiements sur mobile, probablement en France. Mais la France doit voir la mondialisation comme une ouverture sur le monde et une opportunité, parce que c'en est une. Si nous continuons, nous allons nous replier sur nous-mêmes. Nous allons devenir petits, tout petits. Les jeunes n'ont pas du tout cette approche-là.