Les galères des assurtech pour se faire une place sur le marché

Les galères des assurtech pour se faire une place sur le marché Recherche de fonds, complexité de la réglementation, rareté des talents… Les start-up de l'assurance se heurtent à encore plus de difficultés que leurs grandes sœurs fintech.

Faire simple, c'est compliqué. Cette phrase a encore plus de résonnance dans la bouche des assurtech. Ces start-up qui s'attaquent au secteur de l'assurance doivent faire face à de nombreux obstacles, non seulement pour entrer sur le marché mais aussi pour s'y faire une place. Un des plus gros freins est évidemment d'ordre réglementaire. Le secteur de l'assurance est très réglementé, les produits et services proposés sont très complexes...

"C'est difficile de comprendre les textes en vigueur comme celui de Solvabilité II (une directive européenne qui fixe le régime de solvabilité applicables aux entreprises d'assurances dans l'Union européenne, ndlr) et comprendre comment ils s'appliquent à nous. Mais d'un côté, toute cette réglementation est naturelle car nous couvrons les risques des utilisateurs. Nous devons être là dans 10 ou 15 ans pour rembourser de potentiels frais", illustre Jean-Charles Samuelian, CEO d'Alan, une assurance santé en ligne dédiée aux professionnels.

"Si vous avez 24 ans et pas de track record, convaincre un Malakoff Mederic ou un Generali est quasi mission impossible"

Cette start-up créée en février 2016 en connait un rayon en termes de réglementation puisqu'elle est a obtenu un agrément de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Ce graal n'avait pas été délivré en France depuis 1986. Pour l'obtenir, il a fallu 8 mois de travail, dont 6 de processus avec l'ACPR. "Ce n'était pas une partie de plaisir mais les échanges avec l'ACPR étaient très cadrés et nous avions de bons interlocuteurs", se souvient Jean-Charles Samuelian. La plupart des assurtech françaises ont préféré demander le statut de courtier à l'organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (ORIAS), qui s'obtient en trois mois environ, sans difficultés selon les acteurs du secteur.

Les courtiers ont cependant un obstacle majeur : ils doivent convaincre les assureurs de travailler avec eux. Puisqu'ils ne font "que distribuer" de l'assurance, ils ont besoin de s'associer à des assureurs qui couvrent le risque à leur place. Pour y arriver, il y a quelques critères à respecter. "En général, il ne faut pas être à son premier coup d'entrepreneuriat. Si vous avez 24 ans et pas de track record, convaincre un Malakoff Mederic ou un Generali est quasi mission impossible", estime Eric Mignot. CEO de +Simple, un courtier en ligne dédié aux professionnels. "Je pense que le fait que notre équipe soit bien plus âgée que la moyenne (lui-même a 49 ans, ndlr) nous a permis de convaincre les assureurs de travailler avec nous", ajoute-t-il. Aujourd'hui, le courtier aux 7 000 clients compte 10 partenaires dont Allianz, Generali ou encore Malakoff Médéric et table sur une vingtaine d'ici la fin de l'année.

Ambition mal vue

Leocare, une assurance auto et habitation mobile créée en 2017, a choisi de s'allier avec un partenaire qu'elle jugeait flexible : Equité Generali. "On a rencontré la majorité des acteurs du marché mais nous avons choisi Equité Generali  pour sa flexibilité indispensable à la survie d'une assurtech et son engagement à nous suivre dans le lancement de nouveaux produits", remarque Christophe Dandois, CEO de l'assurtech.

Les assureurs traditionnels ont aussi la chance d'avoir les pouvoirs publics de leur côté, ce qui ne favorise pas la croissance de certaines assurtech. "Il n'y a plus de communication des pouvoirs publics sur la loi Hamon (appelée aussi loi Consommation, elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2015, ndlr). Aujourd'hui, peu de gens savent qu'ils peuvent résilier leur assurance auto ou habitation à tout moment, après un an d'engagement", se désole Christophe Dandois. "La Loi Hamon devrait être étendue car elle ne s'applique pas aux entreprises. Beaucoup de sociétés sont bloquées jusqu'au 1er janvier prochain", souligne de son côté Jean-Charles Samuelian. Le patron de Leocare fait, lui, un parallèle avec les télécoms. "Quand on a cassé les prix dans la téléphonie mobile, cela a permis de créer de la valeur. Alors pourquoi ne pas le faire dans l'assurance ? ".

"Aujourd'hui, peu de gens savent qu'ils peuvent résilier leur assurance auto ou habitation à tout moment"

Autre obstacle pour les assurtech : le financement. Contrairement aux fintech qui ont multiplié les grosses levées de fonds en 2017 et début 2018, les assurtech françaises peinent à dépasser la barre symbolique des 10 millions d'euros. Or ces acteurs ont besoin de lever beaucoup de fonds pour démarrer. "On ne peut pas créer une boîte en levant 500 000 euros", affirme Jean-Charles Samuelian. A ce jour, seules Alan (23 millions en avril 2018), +Simple (10 millions en janvier 2018) et Shift technology (28 millions de dollars en octobre 2017) ont réussi. "La première vague d'assurtech, très orientée BtoC, a quant à elle plus de mal. Le coût d'acquisition est élevé et il faut mettre en place une grosse machine marketing. La plupart ont d'ailleurs pivoté vers le BtoB et proposent désormais leur offre en marque blanche. En revanche, les assurtech qui proposent des services aux assurances, comme la détection de fraude, intéressent les fonds car les contrats se chiffrent en centaines de milliers d'euros", explique Julien Creuzé, Investment Director chez BlackFin Capital Partners, une société de gestion qui a lancé un fonds dédié aux fintech, assurtech et regtech.

Selon lui, les assurtech (assureurs et courtiers) ont un autre inconvénient. "Elles couvrent des marchés assez spécifiques. Le marché de l'assurance auto français est différent de celui en Allemagne, idem pour la santé. Ils restent sur un terrain national", précise Julien Creuzé. Enfin, pour lever un gros montant, il faut remplir plusieurs critères dont celui d'avoir une "équipe très solide", d'après le patron d'Alan. Et c'est là que le bât blesse le plus souvent. Les assurtech ont du mal à trouver des talents. "C'est assez difficile de convaincre des personnes expérimentées de nous rejoindre. Souvent, ils sont chez des assureurs, sont dont bien payés et avec des plans de carrière sur le long terme", atteste Eric Mignot. Le courtier en ligne noue des liens avec des écoles comme Nancy Epitech pour les attirer le plus vite possible. Alan a quant à lui réussi un beau coup : il a recruté dans ses rangs deux spécialistes du réglementaire… deux anciens de l'ACPR.