Ronan Le Moal (Arkéa) "Notre assistant personnel Max vise les 100 000 clients d'ici fin 2019"

Le directeur général du groupe Crédit Mutuel Arkéa évoque ses chantiers en matière d'open banking et l'avenir de sa fintech interne Max.

JDN. Dans une interview au quotidien Télégramme en décembre dernier, vous avez déclaré qu'Arkéa devait "devenir l'Amazon de la banque". Qu'entendez-vous par là ?

Ronan Le Moal,directeur général du groupe Arkéa. © Arkéa / Joël Saget

Ronan Le Moal. Quand vous regardez l'évolution de l'industrie bancaire, il y a eu beaucoup de changements. La baisse des marges suite notamment à la crise financière, la reprise en main des consommateurs sur leur banque et l'arrivée de nouveaux acteurs comme les fintech, insurtech et regtech. Par rapport à cette évolution, il existe deux réactions possibles : grossir – le choix de la majorité des banques – ou devenir une banque collaborative, notre choix. Concrètement, Arkéa va créer une plateforme sur laquelle des acteurs tiers viendront se plugger. Cela leur permettra d'accéder à notre base de clients, de créer de la valeur pour eux et par conséquent pour nous car ils en créeront pour nos clients. Nous pensons que le modèle fermé, qui est l'apanage des banquiers, est terminé. Il faut des modèles ouverts dans lesquels une banque vend ses produits mais pas seulement, un écosystème totalement agnostique dans lequel elle ne cherche pas forcément à faire le métier de banquier.

Nous pensons aussi que les consommateurs ne veulent plus acheter des produits mais de l'expérience. Si vous voulez vendre des produits, vous trouverez toujours des gens qui feront moins chers que vous, d'autant plus avec l'arrivée des nouveaux acteurs. En revanche, une expérience crée de la valeur pour le client. Pour cela, il faut agréger différents services sur une même plateforme.

Où en est cette plateforme ?

Le vrai défi n'est pas technologique mais consiste à construire des parcours de vie. Nous en avons déjà identifié une dizaine comme l'immobilier, le financement des études des enfants, la création d'entreprises… et nous réfléchissons aux offres qu'on va mettre autour. Dans l'immobilier, nous travaillons par exemple avec un constructeur immobilier dans le sud-ouest. Nous nous installons dans ses locaux pour vendre nos produits et lui s'installe dans les nôtres pour vendre les siens. Nous avons aussi signé un partenariat avec MaSuccession.fr, une fintech dans laquelle nous avons investi, pour que nos conseillers proposent leur produit. Nous allons adopter la même démarche avec l'offre jeunes de Pumpkin (fintech de paiement rachetée par Crédit Mutuel Arkéa en 2017, ndlr) et bien d'autres.

Cette démarche de plateformisation s'inscrit dans le cadre la directive européenne sur les services de paiement, la DPS2, qui pousse les banques à s'ouvrir…

Nous avons pris le parti que la DSP2 est une chance, pas un problème. Nous sommes au capital de l'agrégateur de comptes Linxo et nous utilisons Budget Insight (un agrégateur BtoB, ndlr) pour Max,  la fintech que nous avons créée. Nous sommes de fervents défenseurs de l'agrégation mais nous ne voulons pas seulement que nos comptes bancaires soient agrégés sur une plateforme.

"Nous avons pris le parti que la DSP2 soit une chance et pas un problème"

Pour nous, l'acteur de l'agrégation doit être capable d'agréger et de proposer des services basiques – le virement de compte à compte par exemple – et plus complexes comme l'assurance-vie et le livret bancaire. 

Linxo, Max… A terme, vos clients n'iront donc pas forcément sur l'application Arkéa. N'avez-vous pas peur de perdre la relation avec vos clients ?

Non car quand Max et Fortuneo (la banque en ligne du groupe, ndlr) proposent de l'agrégation, c'est le groupe Arkéa qui le propose. La branche retail en proposera également. Nous acceptons qu'il y ait plusieurs endroits dans la galaxie Arkéa où il y ait de l'agrégation. Il faut juste que ça se passe dans le groupe et pas chez quelqu'un d'autre.

Vous avez mentionné Max à plusieurs reprises. On en entend très peu parler comparé à N26, Revolut ou bien Orange Bank. Pourquoi ?  

Avec Max, nous faisons un pari assez long. Pour résumer, Max a une traction très forte sur le paiement (le compte courant est gratuit, ndlr) notamment grâce à sa carte agrégatrice (elle rassemble toutes les cartes bancaires d'un utilisateur, ndlr). En revanche, elle a une promesse différente de N26 : être un assistant personnel plutôt qu'une banque au quotidien. L'idée est d'être capable de résoudre des problématiques assez basiques : vous cherchez un restaurant pour ce soir ? Max vous le trouve. Vous voulez partir au ski pour tel budget ? Max s'en occupe. L'offre de Max est aussi très cohérente avec la dynamique de plateforme : vendre de l'expérience et pas du produit. C'est donc forcément plus long à installer.

Quels sont vos objectifs pour Max ?

Nous visons les 100 000 clients d'ici fin 2019. Nous sommes sur la bonne voie. Max a aujourd'hui entre 25 000 et 30 000 clients actifs. Nous prévoyons de grandes évolutions durant le premier semestre 2019 pour apporter encore plus de contenus. Plus seulement en poussant des recommandations mais en analysant la data qui passe chez nous, et si l'utilisateur le souhaite, pour lui proposer des services. Nous voulons être proactifs, devancer l'appel.

Autre sujet fort de 2019 : l'instant payment. Vous êtes techniquement prêt depuis juillet dernier mais pouvez-vous nous en dire plus sur la future tarification de ce mode paiement ?

Nous n'avons pas arrêté notre schéma économique. Il ne faut pas tomber dans le raisonnement basique que pouvaient faire les banquiers il y a quelques années en disant : j'apporte un nouveau service donc je le facture. Par exemple, si vous vendez un scooter 1 000 euros et que l'acheteur vous fait un virement instant payment, qui retire de la valeur de la transaction qu'on va faire en instant payment ? Ce n'est pas l'acheteur mais le vendeur car il est garanti de toucher l'argent en temps réel.

"Nous n'avons pas arrêté notre schéma économique sur l'instant payment"

Je ne dis pas qu'on va tarifer celui qui vend et je ne sais pas si ça vaut 1, 2, 5 ou 10 euros. Je dis simplement que ce n'est pas si simple qu'on le croit. Nous allons d'abord lancer l'instant payment, regarder la valeur d'usage qu'on peut en faire et à partir de là nous définirons des modèles économiques.

Google Pay a été lancé en France en décembre 2018, aucune grande banque française n'y est allée. Pourquoi Crédit Mutuel Arkéa n'a pas signé ?

Pendant très longtemps, les banquiers se sont battus pour ne pas avoir Apple Pay, Amazon Pay et autres. La réalité est que le client en veut. Et s'il le veut, il faut le proposer mais le faire intelligemment. Nous avons a été les premiers à proposer Apple Pay et Samsung Pay. Nous supporterons aussi Google Pay mais je ne sais pas quand. Nous sommes en pleine réflexion. Nous analysons notamment quelles sont les zones de danger liés au fait que Google Pay s'encapsule dans le système de paiement et donc a accès à la data. Et comment on le transforme en avantage.

En mars dernier, vingt-quatre entrepreneurs et investisseurs de la fintech ont publié une tribune dans Le Monde pour vous soutenir dans le conflit qui vous oppose avec la Confédération nationale du Crédit Mutuel. Vous attendiez-vous à ce soutien ?

Non, je ne pensais pas que la mobilisation serait aussi forte. C'était impressionnant. Je pense qu'ils l'ont fait car ils considèrent qu'Arkéa apporte des choses à l'écosystème que d'autres ne font pas. Je ne dis pas qu'on est mieux ou moins bien que d'autres. Arkéa a une façon unique de travailler avec les start-up : de l'investissement financier et humain, la capacité a à agir vite, la proximité… On est une petite entreprise bancaire très technologique avec un circuit court, le directeur général est plus accessible. Quand Céline Lazorthes (la patronne de Leetchi Group, ndlr) cherchait quelqu'un il y a huit ans, c'est moi qu'elle est venue voir. Cela crée une alchimie qui fait que l'engagement est plus fort. Pour être engagé dans le digital quand on est un acteur du financement, il faut que ça vienne de la tête, que le patron montre l'exemple.

Ronan Le Moal est directeur général du groupe Arkéa depuis 2008. Il est également membre du board de Leetchi, que la banque a rachetée en 2015. En 2013, il a cofondé le réseau social AlloVoisins et le fonds d'investissement West Web Valley, basé dans le Finistère. Avant de prendre la tête d'Arkéa, Ronan Le Moal a dirigé de 2006 à 2008 la banque en ligne Fortuneo (filiale d'Arkéa). Il est diplômé d'HEC.