Lutter contre la criminalité financière : 5 prévisions pour 2020 

De nombreux thèmes sur les technologies de lutte contre la criminalité financière qui ont dominé les discussions en 2019, devraient refaire surface et constituer une priorité absolue en 2020,

Si 2019 peut être définie comme une année de discussion sur les mesures à prendre en matière de lutte contre la criminalité financière, 2020 sera une année d'action. Quelles étaient les activités qui ont dominé les discussions en 2019 ? Les régulateurs se sont davantage concentrés sur les technologies de pointe, par exemple sur la manière dont l’automatisation intelligente et l’analyse avancée pourraient aider à surveiller et à détecter les comportements inhabituels. Les régulateurs ont également commencé à accueillir plus favorablement l’intégration de technologies avancées qui pourraient faciliter le partage d’informations, permettant ainsi de mieux détecter et d’identifier la circulation illicite de richesses. Par ailleurs, les entreprises de services financiers (FSO) ont commencé à examiner le moyen de faire converger la surveillance de la fraude et de la lutte contre le blanchiment d’argent pour mieux surveiller les activités inhabituelles.

En mettant davantage l’accent sur le propriétaire effectif en dernière analyse (UBO), nous avons également constaté que les entreprises de services financiers ont contribué à la réforme des processus KYC (connaissance du client) afin de réduire les risques que les clients font peser sur leurs organisations tout en comprenant mieux les clients et les structures de leurs entreprises.

Enfin, l’année 2019 a donné un nouveau souffle qui a permis de mieux apprécier et atténuer les risques liés à la criminalité financière que posent les monnaies virtuelles, en particulier depuis les changements apportés par les orientations du Groupe d’action financière (GAFI) en juin 2019 et par la 5e directive de l’UE relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, entrée en vigueur dans toute l’UE le 10 janvier 2020.

En s’appuyant sur ces actions et activités, voici cinq domaines clés qui émergeront des enseignements tirés de l’année 2019, et qui, à l’horizon 2020, auront un impact considérable sur les activités de lutte contre la criminalité financière et le blanchiment d’argent. 

Prévision n°1 : partage des informations entre particuliers

Le partage des informations et des données dominera en 2020, et nous devrions assister à l’émergence de véritables solutions de partage des informations qui permettront aux organisations du secteur privé de partager leurs données sans enfreindre la législation sur la protection des données. Le manque de partage des informations a été un obstacle majeur pour lutter efficacement contre le blanchiment d’argent, et toutes les entreprises de services financiers et les agences gouvernementales sont conscientes de ces difficultés. Enfin, après de nombreuses années de discussions, nous constatons aujourd’hui des avancées concrètes dans les solutions de partage des informations.

En juillet 2019, la Financial conduct authority (FCA) au Royaume-Uni a organisé un tech sprint pendant lequel des partenaires ont pu développer et valider leurs solutions. 2020 sera l’année au cours de laquelle les solutions technologiques de ce type passeront de la phase pilote à la mise en œuvre.

Les Pays-Bas effectuent actuellement des tests sur la possibilité d’une surveillance partagée des transactions, si celle-ci est jugée viable,  dont les résultats seront connus au cours du premier semestre 2020. La validité de cette surveillance ouvrira la porte à un plus grand nombre de pays et d’organisations développant ou achetant leurs propres solutions.

La surveillance centralisée des transactions entre plusieurs institutions financières, ou le fait de disposer d’un utilitaire KYC commun donnera aux organisations une bien meilleure visibilité des activités normales par rapport aux activités anormales. Les criminels auront ainsi plus de difficultés pour ouvrir des comptes et transférer leurs fonds illicites entre différents établissements de services financiers.

Prévision n°2 : adoption progressive de la criminalité financière contextualisée

Historiquement, la surveillance des transactions, élément essentiel du programme de conformité de toute institution financière, était un système fondé sur des règles, présentant un ensemble de règles et de seuils, qui, s’ils sont déclenchés, donnent lieu à une alerte, suivie par une enquête plus approfondie. Ces types de systèmes sont essentiels pour maintenir la conformité aux réglementations, mais ils présentent des limites. Les systèmes reposant sur des règles garantissent l’identification des typologies évidentes et le lancement d’alertes. La surveillance des transactions isolées s’appuyant sur des règles risque de passer à côté de comportements anormaux qui pourraient être suspects. L’avenir, c’est l’agilité dans l’optimisation des systèmes et la surveillance contextualisée, et ce phénomène gagnera en importance en 2020.

Il y a eu beaucoup de discussion sur la convergence de la fraude et de la surveillance de la lutte contre le blanchiment d’argent, et sur la convergence des marchés financiers et de la surveillance de la lutte contre le blanchiment d’argent. 2020 sera l’année où nous verrons une grande partie de ces discussions déboucher sur des actions, avec des organisations faisant converger ces dérives de conformité. En outre, les établissements financiers doivent élargir leurs points de vue et analyser davantage de données pour comprendre le contexte des transactions et les activités de leurs clients.

La surveillance contextuelle s’éloignera des anciennes normes en matière de criminalité financière et de conformité. Les approches cloisonnées avec plusieurs systèmes fonctionnant de manière isolée ne sont pas efficaces lorsqu’on essaie de détecter et de signaler des activités suspectes. Cette année, les institutions financières se concentreront sur l’intégration de plusieurs sources de données internes et externes dans un outil centralisé de surveillance et d’enquête contextuelles. Mieux comprendre le risque client et ce que représente une activité normale pour un client dans l’ensemble de l’organisation permettra aux entreprises de détecter de façon plus efficace les comportements de clients jugés anormaux.

Prévision n°3 : surveillance en temps réel de la lutte contre le blanchiment d’argent

2020 sera-t-elle l’année où la surveillance de la lutte contre le blanchiment d’argent passera du traitement par lots au traitement en temps réel ? Les premiers indicateurs montrent que la technologie pousse les entreprises de services financiers dans cette direction, même si, adopter entièrement ces technologies serait peut-être trop tôt pour 2020. Il est clair que les entreprises de services financiers discutent du passage vers une surveillance en temps réel de la lutte contre le blanchiment d’argent, et nombre d’entre elles organisent actuellement leurs systèmes et leur support pour gérer cette approche au cours des prochaines années.

Dans le même ordre d’idées, l’introduction du Modèle de remboursement conditionnel (Contingent reimbursement model, CRM) au Royaume-Uni poussera également un certain nombre d’organisations à passer à un contrôle en temps réel des paiements frauduleux entrants. Tout paiement entrant jugé suspect entre clairement dans le cadre de la réglementation sur le blanchiment d’argent et devra être signalé.

Les établissements de services financiers d’autres pays, dont l’Afrique du Sud et l’Espagne, envisagent également de passer à une surveillance en temps réel de la lutte contre le blanchiment d’argent. Si de nombreux établissements ne peuvent pas faire passer l’ensemble de la surveillance des opérations de lutte contre le blanchiment d’argent du traitement par lot au traitement en temps réel, car cela serait peu pratique, beaucoup adopteront une approche davantage fondée sur le risque et feront passer certaines opérations de clients à haut risque à une surveillance en temps réel.  En outre, associer la lutte contre le blanchiment d’argent cloisonnée à la surveillance de la fraude présente des avantages en termes d’efficacité opérationnelle.

Prévision n°4 : la qualité, et non pas la quantité, aura un impact sur 2020

En 2020, les entreprises mettront davantage l’accent sur la lutte contre la criminalité financière en accordant une plus grande importance aux résultats et en fournissant des informations de meilleure qualité aux autorités, et ne se contenteront pas d’assurer seulement la conformité technique. Cela représente un changement important pour certaines opérations. 

Il y a une prise de conscience concernant l’impact de la criminalité financière sur les économies, les individus et l’environnement. De grandes campagnes de sensibilisation ont été menées par un certain nombre d’organisations au cours de l’année dernière ; la traite des êtres humains et la criminalité liée aux espèces sauvages en sont deux exemples. Barclays s’est concentrée sur l’application de la technologie pour lutter contre la traite des êtres humains, tandis que Standard Chartered s’est attaquée au commerce illégal des espèces sauvages dans le cadre de certaines de ses initiatives. Des campagnes de ce type mettent davantage l’accent sur les effets de la criminalité financière et sur le fait que les établissements de services financiers doivent mener une enquête efficace et recueillir suffisamment d’informations pour aider les autorités à récupérer les actifs et à identifier et arrêter les criminels.

Bien entendu, le respect des réglementations ne doit pas être négligé, mais en 2020, les entreprises de services financiers s’efforceront de plus en plus de transcender les normes juridiques et réglementaires minimales en adoptant des programmes qui abordent des problèmes mondiaux importants. Faire une différence réelle et tangible dans la lutte contre la criminalité financière continuera, cette année, à être une orientation stratégique pour les entreprises de services financiers. Cette orientation est fermement soutenue par le Wolfsburg Group, une association de treize banques mondiales qui œuvre pour la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme à l’échelle mondiale.

Fin 2019, Wolfsburg a publié sa propre "Déclaration d’efficacité" détaillée, qui indique que les institutions financières semblent consacrer d’importantes ressources à des pratiques conçues pour améliorer la conformité technique, sans nécessairement optimiser la détection ou la dissuasion des activités illégales. L’organisation recommande notamment aux entreprises de services financiers "d’établir un ensemble de contrôles raisonnables et reposant sur les risques afin d’atténuer les risques qu’une institution financière soit utilisée pour faciliter une activité illégale".