Paiements transfrontaliers : une nouvelle réglementation en demi-teinte pour les fintech

Paiements transfrontaliers : une nouvelle réglementation en demi-teinte pour les fintech A partir du 19 avril 2020, les frais appliqués sur les transferts d'argent réalisés dans l'Union européenne doivent être transparents. Un tournant pour le secteur.

Le calendrier réglementaire ne connaît pas la crise. Certaines dispositions de la réglementation européenne sur les paiements transfrontaliers entrent en vigueur le 19 avril 2020, comme prévu. A partir de cette date, les banques et solutions de transfert d'argent à l'international se devront d'être transparentes sur les commissions pratiquées sur les paiements entre les pays membres de l'UE, en particulier celles qui impliquent une conversion de devises. Par exemple, si un Français souhaite transférer 1 000 euros en Suède, dont la monnaie est la couronne suédoise, sa banque devra l'informer en amont des frais prélevés. Et informer le bénéficiaire du montant qu'il recevra au final. Jusque-là, le destinataire n'avait en général pas la possibilité de connaître à l'avance le montant qu'il allait percevoir une fois tous les frais prélevés : frais d'émission, frais de réception, interchange, frais liés au moyen de paiement… 

Le grand gagnant de cette réglementation est évidemment le consommateur. "Elle va contribuer à sensibiliser l'opinion publique sur des pratiques extrêmement opaques", se réjouit Jean-Baptiste Bouvier, cofondateur de Monisnap, service de transfert d'argent à l'international. "Beaucoup de banques se font des marges importantes sur le taux de change, ce qui est très difficile à visualiser et à comprendre pour le consommateur", ajoute-t-il. Les autres gagnants seront-ils les fintech ou les banques ? A première vue, c'est une bonne nouvelle pour les start-up européennes qui proposent des services transparents et moins chers que les banques. D'après une étude de l'organisme indépendant The Behavorial Insight Teams, plus de 20% des consommateurs britanniques se tournent vers une solution moins chère dès lors que les prix affichés sont transparents. 

A court terme, un point pour les fintech

"Tous les fournisseurs qui pratiquent des prix bas et de la transparence vont être favorisés. En revanche, ce sera plus difficile pour ceux qui cachent les coûts à travers les taux de change et qui appliquent des frais sournois. Ils n'auront pas le choix et devront dire la vérité", indique Flora Coleman, directrice des relations gouvernementales et de la stratégie réglementaire chez Transferwise. La fintech britannique est conforme à cette réglementation depuis sa création en 2010. Tout comme Monisnap qui communique déjà les frais appliqués sur le montant envoyé afin que le bénéficiaire sache exactement l'enveloppe qu'il va recevoir.

"Si toutes les banques sont forcées d'avoir des frais capés, la valeur ajoutée des fintech sera diminuée"

"A court terme, cette réglementation va favoriser les fintech car elle permet au consommateur d'avoir une grille de comparaison beaucoup plus simple. Comme les fintech ont des offres plus compétitives, elles seront avantagées. Mais à moyen terme, c'est plus difficile à dire, car si toutes les banques sont forcées d'avoir des frais capés et limités, la valeur ajoutée des acteurs tiers et des fintech sera diminuée", nuance Jean-Baptiste Bouvier. Cette bataille se jouera donc en partie sur la facilité d'utilisation du service et des fonctionnalités supplémentaires. 

Mais encore faut-il que les consommateurs connaissent les services des fintech. D'après le dernier baromètre sur les Français et les nouveaux services financiers, seulement 22% des Français savent ce qu'est une fintech et 14% d'entre eux sont capables de donner le nom d'une d'entre elles. Les fintech peinent à se faire connaître, c'est un fait. Comme toute start-up BtoC, il leur est difficile de communiquer en masse. "Encore plus en ces temps difficiles", avoue Flore Coleman. La jeune pousse londonienne produit notamment beaucoup de contenus en ligne pour être bien référencée sur Google. Elle a également créé une page sur son site qui permet aux consommateurs français de télécharger une lettre à envoyer à leur banquier pour leur demander les frais exacts prélevés sur ses transactions internationales. 

Les paiements hors Europe exclus

Reste un facteur qui pourrait changer la donne : l'épidémie de Covid-19, et la crise qui en découle. Les consommateurs vont-ils chercher des solutions moins chères et plus transparentes pour faire des économies ou vont-ils se rabattre sur des banques considérées plus sûres ? "Les consommateurs ont des budgets plus limités et ont donc besoin de bons tarifs", argue Flore Coleman. Il faudra encore attendre quelques semaines afin de connaître l'impact de la crise dans le secteur.  

En attendant, les fintech pointent un gros point noir dans cette réglementation : les paiements hors de l'Union européenne. Les banques et établissements de paiements ne seront pas tenus d'être transparents sur les frais prélevés pour les transferts d'argent hors du continent, alors que l'Afrique et l'Asie sont des destinataires importants. Les paiements hors ligne, qui sont la marque de fabrique des géants Western Union et Moneygram, ne sont pas non plus concernés par le règlement européen. Ce qui va donc permettre à ces acteurs de jouer sur les niveaux de transparence. "Cela ne va pas aider les personnes les plus vulnérables", regrette Flore Coleman, faisant référence aux pays sous-développés qui n'ont pas accès à Internet. "Les transactions mondiales devraient être réglementées", soutient Jean-Baptiste. Pour l'instant, ce n'est pas à l'ordre du jour.