Pascal Demurger (Maif) "Maif Avenir continue à investir dans des start-up selon le rythme prévu"

Le JDN poursuit ses interviews de dirigeant face au coronavirus. Le directeur général de l'assureur français nous fait part de la réouverture des agences.

JDN. La Maif, comme tous les assureurs, a enregistré une baisse des sinistres auto depuis le confinement. Quelles autres activités ont été impactées ?

Pascal Demurger, directeur général de la Maif. © Maif

Pascal Demurger. Nos différentes activités n'ont pas été impactées dans les mêmes proportions pendant le confinement. L'impact le plus net a effectivement été enregistré sur l'assurance auto, avec une baisse de 75% des sinistres. Par ailleurs, l'assurance auto est notre activité majoritaire. Nous avons observé une petite baisse de la sinistralité MRH (multirisque habitation, ndlr) car les gens étaient à leur domicile, ce qui a provoqué une baisse des vols. Et ils étaient sans doute plus vigilants en cas de début de fuite d'eau et ont pu effectuer eux-mêmes des réparations. En revanche, il y a eu une hausse des pertes d'exploitation de petites entreprises comme les restaurants et cafés nous n'assurons pas d'entreprises, mais nous sommes le premier assureur du monde associatif et certaines associations ont dû annuler des voyages ou des spectacles. Nous avons aussi observé un impact négatif sur la prévoyance et l'assurance décès. Toutes les déclarations ne sont pas arrivées et tous les dossiers n'ont pas été traités, il est donc encore trop tôt pour évaluer le coût final.

Avez-vous eu recours au chômage partiel pour faire face à ces impacts ?

Pendant la période de confinement, il y a eu entre 1 000 et 2 000 personnes en inactivité, qui avaient notamment des contraintes de garde d'enfants. Nous avons pris la décision, qui vaut encore aujourd'hui, du maintien du salaire à 100% et fait le choix de ne pas recourir à l'aide de l'Etat sur le chômage partiel. Nous considérons qu'elle est destinée aux entreprises qui, sans cette aide, seraient obligées de licencier, ce qui n'est pas notre cas. Financièrement, nous sommes suffisamment solides, nous ne sommes pas prioritaires.

Est-ce que cette période vous a poussé à digitaliser certaines offres ou certains process qui ne l'étaient pas ou bien à développer des produits plus flexibles sur le modèle de nombreuses start-up ?

Le web est aujourd'hui le premier canal par lequel nos assurés et sociétaires nous contactent. Le confinement a accéléré les flux digitaux, nous allons donc accélérer sur ce volet. A la Maif, tous les aspects d'un contrat sont déjà digitalisés : la souscription, la déclaration de sinistre, le suivi de sinistre… Le seul élément que nous avons dû digitaliser suite au confinement concerne l'expertise. Pour répondre aux conditions sanitaires et éviter qu'un expert ne se déplace, nous avons créé un système d'envoi de photos. 

Depuis le confinement, vous avez fermé vos sites et agences, basculant ainsi quasi intégralement en télétravail (une quinzaine de personnes ont dû se déplacer sur site, sur 8 000). Quel est votre plan de déconfinement ? 

Le principe reste le même que pendant le confinement : priorité au travail à distance. Les salariés reviennent très progressivement sur site. Par exemple, ceux qui ne peuvent pas travailler à distance, soit qui ont des problèmes techniques, de connexion ou de matériel.  Mais aussi, les personnes embauchées assez récemment, qui ont besoin d'un manager à proximité.

"Les agences ont rouvert progressivement en fonction de critères assez stricts"

Au total, environ 800 personnes sont revenues sur site à ce jour. Les agences ont rouvert progressivement en fonction de critères assez stricts comme la localisation et le transport. Nous n'allons par exemple pas rouvrir les sites en Île-de-France quand nos collaborateurs sont obligés de prendre les transports en commun pour venir travailler. Évidemment, une agence ne rouvre pas si pas tous les aménagements nécessaires n'ont pas été mis en place.

La Maif est aussi un des plus gros investisseurs corporate via votre fonds Maif Avenir. Allez-vous moins investir dans de nouveaux dossiers en 2020 ?

Nous continuons à investir selon le rythme prévu. J'ai d'ailleurs récemment participé à une réunion pour examiner deux nouveaux dossiers d'investissements. 

Vous avez refusé de bénéficier de l'aide de l'Etat sur le chômage partiel, ce qui représente un coût d'une vingtaine de millions d'euros pour la Maif. Vous avez aussi décidé de rembourser une partie des cotisations auto de vos assurés. L'année 2020 sera donc beaucoup moins bonne que prévu pour vous… 

Il est hors de question que l'on tire un quelconque bénéfice de la crise. D'où la décision de ce remboursement en laissant la possibilité aux sociétaires de ne pas l'empocher mais de le reverser à trois organismes identifiés. Au total, oui, l'impact financier va être lourd. Nous avons remboursé à plus de 2,5 millions de ménages plus de 100 millions d'euros, ce qui représente le montant moyen de nos résultats annuels de ces dernières années. L'année dernière, notre résultat net s'est par exemple élevé à 125 126.7 millions d'euros. Cependant, il est encore tôt pour savoir comment l'année va se terminer. Le résultat sera peut-être nul ou négatif en 2020.

Est-ce que cette crise vous fait repenser à votre modèle d'assureur ? Envisagez-vous de de vous rapprocher de celui de la start-up Lemonade par exemple, qui apporte notamment plus de transparence à ses assurés ? 

C'est d'une certaine manière ce sont eux qui ont copié le modèle de la Maif. Le fondement du modèle de la Maif est un système de cotisations variables avec une de ristourne les bones années, avec  et la possibilité de faire un rappel de cotisation en cas de sinistre catastrophique, même si nous n'avons pas eu besoin d'y avoir recours depuis de nombreuses années.

"Il est hors de question que l'on tire un quelconque bénéfice de la crise"

Nous faisons des remboursements d'une partie des primes en fin d'année. Nous avons également développé des offres communautaires qui fonctionnent sur ce système comme notre offre pour les propriétaires de véhicules électriques, qui représentent une communauté de quelques milliers de personnes. 

Il s'agit d'offres qui concernent des petites communautés, pas des millions de personnes. Pourquoi ce n'est pas possible d'appliquer le même système à une plus grande échelle ?

A l'échelle d'un groupe de  comme la Maif, c'est-à-dire 3,5 millions de ménages français, il est compliqué de généraliser cette pratique. Il y a moins d'aléas. Avant même que l'année commence, nous savons quel va être le montant total de la sinistralité. Nous avons suffisamment d'expérience et d'outils de suivi pour la prévoir. S'il y a des événements exceptionnels, comme la crise du Covid-19 ou des catastrophes naturelles, nous assumons ce risque en puisant notamment dans nos fonds propres. On est plus dans une logique de mutualisation dans le temps.

Sur les pertes d'exploitation liées au coronavirus, c'est en revanche une autre histoire… 

Le problème n'est pas opérationnel ou digital. C'est un problème financier. On estime que l'ensemble des pertes d'exploitation de ceux qui ont subi le confinement s'élève entre 60 et 70 milliards euros. Aujourd'hui, aucun acteur n'est capable d'assumer un montant aussi significatif. Nous travaillons à la constitution d'un régime dédié aux catastrophes sanitaires, à l'image de celui de catastrophe naturelle. Un régime dans lequel il y aurait un premier niveau d'intervention des assureurs, jusqu'à un certain plafond. Au-delà, nous ferons jouer c'est sans doute à la solidarité nationale de jouer. 

Pascal Demurger est directeur général de la Maif depuis 2009. Il a rejoint l'assureur français en septembre 2002 en tant que directeur adjoint de Filia-Maif, filiale du groupe. Avant cela, il a passé six au ministère de l'Economie et des finances en tant qu'administrateur civil. 

Retrouvez toutes les interviews "Face à la crise" ici