Vers une nouvelle révolution des cryptoactifs. L'Europe est-elle prête ?

Les technologies blockchain et les cryptoactifs créent des opportunités et des défis  importants pour les banques européennes. Ce sujet est devenu une priorité absolue des agendas et nécessite une analyse approfondie et une approche méthodologique nouvelle. 

"L’Europe a pris du retard dans les paiements numériques et les cryptoactifs, un secteur dominé par les  entreprises innovantes américaines et chinoises." Ce constat vient d’être fait par Christine Lagarde en sa qualité de directrice de la Banque centrale européenne. Les mots ont été bien choisis pour faire ce constat  et inviter l’ensemble des acteurs de la gouvernance bancaire et du secteur privé à se saisir rapidement du  sujet et à accélérer les travaux de réalisation. Ce projet devient aujourd’hui l’un des plus stratégiques dans l’agenda des banquiers centraux. 

L’Europe est l’espace de régulation par excellence de toutes les innovations. Une nouvelle phase sera donc franchie dans le domaine de la réglementation en Europe. En effet, les autorités européennes entrevoient  d’avancer rapidement sur une réglementation des cryptoactifs et des acteurs de la cryptomonnaie, innovation ayant eu beaucoup de succès médiatique et suscité d’importantes craintes des régulateurs  bancaires dans la région.  

Avec l’engouement que connaissent certaines cryptomonnaies comme le Bitcoin, Ethereum, le lancement de la monnaie digitale de la Banque centrale chinoise dans une vision opportuniste vis-à-vis du dollar, la  pression exercée par de nouvelles initiatives comme le Diem (ex-Libra), monnaie digitale initiée par  Facebook et soutenue par un consortium des géants américains de la tech, un arsenal de propositions est en cours de préparation. Cela vise à superviser ce secteur en croissance, dans le cadre d’une nouvelle  stratégie de la Commission sur l’Europe Digitale. Parmi les éléments à noter, il est prévu d’imposer la nécessité, pour les entreprises concernées, d’une présence physique dans l’UE et l’autorisation préalable de l’autorité nationale compétente avant le démarrage des activités. Les nouveaux entrants concernés devraient également être soumis à des exigences prudentielles (solvabilité et fonds propres) ainsi qu’à des  règles de gouvernance pour renforcer la maîtrise des risques nécessaire sur ce type d’activités. 

Les objectifs de la Commission rentrent dans le cadre de sa mission de stabilité financière et de protection  des consommateurs. Il est clair que cette démarche vise à fournir un cadre réglementaire plus sûr pour les investisseurs séduits par cette innovation qui a montré une croissance exceptionnelle. D’autre part, il s’agit  d’une invitation aux acteurs privés du secteur bancaire à se saisir de cette opportunité pour lancer leurs projets en total conformité avec la doctrine réglementaire choisie tout en essayant de limiter les acteurs opérant sans supervision. Un objectif important si nous considérons la variété des approches qui  subsistaient jusqu’alors en Europe sur ce sujet. En effet, les pays européens ont adopté différentes  positions face à la vague des cryptomonnaies, entre une grande prudence pour certains comme la France et une ouverture permettant d’attirer les start-ups comme le Portugal et la Suisse qui avaient accordé des  autorisations permettant d’utiliser la technologie blockchain dans certains processus bancaires.

Le marché européen a pris un peu de retard sur la gestion et l’usage des cryptoactifs et des technologies blockchain. En effet, les acteurs bancaires et financiers connaissent de nombreux bouleversements, notamment ceux des modèles économiques et de l’impact des deux crises successives : celle des  subprimes et de la crise sanitaire Covid. Cela rend parfois les projets de réduction de coût plus prioritaires  et faciles à exécuter que ceux de la création de valeur à travers l’innovation.  

Nous observons concrètement un retard en matière d’innovation et notamment sur l’usage des cryptoactifs et de la technologie blockchain, une difficulté à créer des acteurs de taille viable avec une  ouverture permettant aux acteurs globaux de mieux bénéficier des différences entre les pays que les  acteurs locaux de petite taille. Enfin, il est à noter que les consommateurs européens ont pris de l’avance en adoptant rapidement certaines innovations bien conçues venues d’ailleurs. 

Le secteur de la blockchain a pris une dynamique exponentielle. Il foisonne de nouveaux acteurs et de  nouvelles initiatives à un point qu’il est parfois difficile à suivre et identifier les opportunités réelles de valeur. Nous observons aujourd’hui un nombre considérable de communications relatives à des  expérimentations et des partenariats. 

Par ailleurs, le nombre de cryptoactifs augmente de jour en jour derrière les cryptoactifs connus comme  le Bitcoin, Ethereum, Ripple, Cardano, Stellar, Tezos, Lite, Dash, Monero, Iota.... Chaque technologie offre  des avantages et un mode de fonctionnement spécifiques lui permettant de développer une communauté  d’utilisateurs de l’écosystème. Notons que certaines technologies comme l’Ethereum ont connu des  évolutions importantes pour suivre les besoins et les enjeux de leur communauté. 

Afin de bâtir une solution blockchain, plusieurs plateformes technologiques proposent des services de  conception, développement, prototypage et exploitation de solutions blockchain. Cela passe d’abord par une analyse approfondie des objectifs, des bénéfices, des cas d’usages cibles, des processus métier actuels  et une intégration complète dans les SI et applications à destination des utilisateurs. Différentes technologies sont disponibles, notons les principales : Bitcoin qui utilise le principe exigeant du proof of work pour le consensus, Ethereum qui se démarque avec les smart contracts transactionnels et les proof of stake, Tezos qui utilise un principe moins énergivore de liquid proof of stake dans la  sécurisation des chaînes de blocs, Cardano qui présente de nombreuses améliorations prometteuses avec un protocole sidechains favorisant l’interopérabilité, une architecture séparant les couches de paiement de celle des applications et un algorithme moderne de "secured proof-of-stake"… R3 Corda qui est la technologie de registre distribué (DLT) adaptée par la communauté des établissements bancaires avec des principes très différents de confidentialité des transactions et de gestion simplifiée des consensus réalisés uniquement entre les participants directs de la transaction. 

Plusieurs acteurs des services technologiques proposent également des services blockchain hébergés comme AWS, Microsoft Azure qui permet de développer des projets sur la base technologique Ethereum et Kaleido qui dispose d’une offre séduisante proposant des services de prototypage sur les  bases technologiques Ethereum et/ou R3 Corda en mode SaaS. Kaleido donne l’avantage d’une plateforme riche fonctionnellement pour construire facilement des solutions autour de la blockchain. 

Au niveau bancaire, les banques françaises commencent à se positionner pour profiter des opportunités de la blockchain en créant de nombreux laboratoires. De nombreuses initiatives ont été communiquées au sein des banques majeures BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole, BPCE, Crédit Mutuel, Arkea...  Aujourd’hui les projets se concentrent sur des prototypes et des tests de cas d’usage avec des partenariats banque-start-up. A ce stade, il n’y a pas encore de projet de rupture en Europe. Il est important de noter que de nombreuses opportunités sont à saisir par les banques françaises dans ce domaine. Cela pourrait leur apporter des leviers de valeur long terme, de différentiation et de revenus additionnels.

Pour réussir, l’approche méthodologique classique doit nécessairement évoluer et l’accompagnement par  des experts est primordial. Nous pensons que cela constitue le plus grand obstacle pour obtenir des résultats sur ce sujet. 

Le projet de CBDC (Central bank digital currency) de la Banque centrale européenne est bel et bien lancé avec une concrétisation attendue dans le 2, 3 prochaines années. 

Au-delà de ce foisonnement et cette accélération des projets cryptoactifs et monnaie digitale européenne, j’identifie de nombreux défis qui portent des risques importants pour les acteurs de la cryptomonnaie et les acteurs bancaires. 

Les cryptomonnaies qui offrent beaucoup d’avantages de décentralisation, liberté, présentent les risques suivants : 

  • L’instabilité de la valeur des cryptomonnaies est une opportunité d’investissement aujourd’hui mais pourrait s’avérer un risque pour les utilisateurs 
  •  Le coût énergétique des transactions incompatibles avec les objectifs écologiques de sauvegarde  de la planète. A titre d’exemple, selon certaines estimations, la consommation électrique annuelle du réseau Bitcoin est de 68 TWH, ce qui représente aujourd’hui 5 réacteurs nucléaires EPR (cela  risque d’augmenter encore avec l’usage) 
  • La sécurité de l’épargne qui est sous la menace des cyberattaques 
  • Le risque règlementaire et technologique
  • Le risque de démultiplication des offres (atomisation), ce qui impliquera des faillites probables

Les monnaies digitales des banques centrales qui offrent des avantages de garanties et une facilité d’usage, présentent également des risques significatifs : 

  • Risques technologiques et de sécurité nécessitant des compétences nouvelles pour la BCE
  • Désintermédiation potentielle des banques commerciales
  • Risques sociaux : enjeu de la liberté et de la protection des données des citoyens.
  • Risque de s’orienter vers des cryptoactifs privés (Amazon, Facebook, Apple…) 

Fort de ces enjeux, les technologies blockchain et les cryptoactifs créent des opportunités et des défis  importants pour les banques européennes. Ce sujet est devenu une priorité absolue des agendas et  nécessite une analyse approfondie et une approche méthodologique nouvelle. Pour construire un  positionnement gagnant et des solutions puissantes, je recommande les bonnes pratiques suivantes : 

1. Création d’un plan stratégique cryptoactif et blockchain 

2. Revue de la méthodologie, des moyens, des investissements et de l’organisation

3. Création d’un écosystème : portefeuille de solutions et portefeuille de partenariats

4. Choix d’un accompagnement par des experts du domaine avec des critères rigoureux 

5. Anticiper et bien concevoir les produits : cela est très dépendant du leadership des sponsors, des managers, l’accompagnement  et la méthodologie