Les 4 obstacles qui se dressent sur la route de Mastercard et Visa

Les 4 obstacles qui se dressent sur la route de Mastercard et Visa Projet européen EPI, initiation de paiement, stablecoin: les alternatives aux deux grands réseaux de carte se développent depuis quelques mois. Et ce n'est même pas le seul de leur problème.

Vous voyez leurs logos presque tous les jours et sans eux vous ne pourriez pas payer par carte bancaire. Qui sont-ils ? Visa et Mastercard. Ces deux entreprises américaines exercent un oligopole voire un duopole dans certaines géographies du monde. Avec un business model bien juteux de commission à la transaction. Mais la digitalisation des services financiers et l'arrivée de nouveaux entrants (fintech, Gafa…) bousculent les deux géants du paiement. Zoom sur quatre technologies et initiatives qui se posent en alternative à Visa et Mastercard.

L'EPI, le réseau de paiement "made in EU"

Si vous regardez bien votre carte bancaire, vous pouvez aussi voir un autre logo, "CB", l'abréviation de Cartes Bancaires, un groupement privé français. Dans quelques années, il sera probablement remplacé par un autre logo (promis, c'st la dernière fois qu'on parle de logo) : EPI, pour European Payments Initiative. Lancée en juillet 2020 par un groupe de 16 grandes banques européennes, à laquelle d'autres acteurs se sont joints depuis (comme le prestataire de paiement Worldline), cette initiative vise à créer un concurrent direct à Visa et Mastercard, à savoir un réseau de paiement paneuropéen.

"En couplant le virement par API et le paiement instantané, les marchands auront tous les avantages crédibles à la monétique"

"En plus d'harmoniser les systèmes de paiement en Europe, l'EPI cherche aussi à baisser les frais de transaction", souligne Franck Guiader, en charge de l'équipe innovation et fintech du cabinet Gide Loyrette Nouel. Certes, les commissions interbancaires sont plafonnées entre 0,2 et 0,3,% (par une réglementation européenne) mais mutualiser les ressources des participants à ce projet fera forcément baisser les prix. Mais à combien ? Aucune idée pour l'instant mais la réponse sera certainement apportée en 2022, date de lancement de ce réseau de paiement "made in EU".

Les faiblesses du projet : "Faire une infrastructure commune c'est bien mais c'est presqu'un projet du passé", lâche Julien Madonato, associé industrie financière chez Deloitte. "Visa et Mastercard proposent de plus en en plus de services complémentaires aux entreprises et surtout aux marchands. Et ils ont encore beaucoup de choses dans les cartons", complète-t-il.

Payer par virement

Si les API de la directive européenne sur les services de paiement (DSP2) finissent par être stables (croisons les doigts), les banques et fintech pourront proposer de l'initiation de paiement. Ce service permet d'initier un virement depuis et vers n'importe quel compte. Et donc de ne plus passer par Visa et Mastercard. Un gros avantage pour les commerçants qui n'auront plus besoin de payer les frais liés au paiement par carte. Et les consommateurs n'auront plus à s'inquiéter du plafond mensuel de leur carte bancaire. "La monétique, qui est très performante, ne semblait pas avoir de concurrence à court ou moyen terme. En couplant le virement par API et le paiement instantané, les marchands auront tous les avantages crédibles à la monétique. On a les ingrédients pour que la mayonnaise prenne", estime Julien Maldonato.

Les faiblesses de ce service : "Les usines monétiques des banques ne sont pas encore rodées. Surtout les banques veulent encore les amortir. C'est un peu dommage de se focaliser sur ce genre de combat", souligne Julien Maldonato. Même si les institutions financières prennent peu à peu le virage de DSP2, elles ne le font pas à une vitesse très poussée, ce qui ne facilite pas le développement de solutions d'initiation de virement, côté banque comme côté fintech. Sans oublier que tout cela coûte très cher.

Des cryptomonnaies qu'on appelle stablecoin

On ne va pas vous dire que le réseau Bitcoin va remplacer demain Visa et Mastercard, notamment en raison de sa volatilité actuelle. Mais dans la famille des cryptos, on peut compter sur le stablecoin, une cryptomonnaie dont le cours est stable et qui est adossée à une monnaie fiduciaire (euro, dollar…). Evidemment, ce stablecoin est basé sur une blockchain, et non un réseau de paiement classique. Payer en stablecoin ou en euro permet de ne plus passer par un Visa ou un Mastercard. Le groupe Casino a récemment lancé un stablecoin euro qui sert pour l'instant seulement à être tradé. Mais la filiale du groupe en charge de ce projet, Lugh, a évoqué un usage dans le paiement d'ici 12 à 24 mois. 

"Un stablecoin pourrait arriver plus vite que les monnaies digitales de banques centrales car c'est plus pragmatique"

D'autres projets de stablecoin pourraient venir bousculer nos deux géants américains, comme Diem (ex-Libra), projet initié par Facebook. "Un stablecoin pourrait arriver plus vite que les monnaies digitales de banques centrales car c'est plus pragmatique, moins compliqué à mettre en place et poussé par des acteurs privés qui ont des moyens financiers et les réseaux sociaux comme levier d'adoption", fait remarquer Julien Maldonato. Celo (un projet concurrent de Diem) ou encore Retreeb, jeune société franco-suisse qui doit voir le jour fin 2021, vont aussi se positionner sur la ligne de départ.

Les faiblesses de ces projets : Les régulateurs attendent au tournant les stablecoins. Lors de la publication du projet de Facebook en juin 2018, de nombreux régulateurs et gouvernements dans le monde ont tiré la sonnette d'alarme. La Banque centrale européenne a récemment déclaré qu'elle mettrait un veto sur les stablecoins de la zone euro. Autre inconvénient : Visa et Mastercard commencent à s'intéresser aux sujets crypto. "Ils ont compris que beaucoup d'acteurs crypto allaient court-circuiter les banques à moyen terme. Ils veulent aussi proposer des services dans ce domaine", indique Jérémi Lepetit, CEO de Retreeb. 

Des acquisitions impossibles

5,3 milliards de dollars. C'est le montant que Visa a mis sur la table pour racheter la fintech Plaid en janvier 2020. Cette start-up permet à toutes sortes d'applications de se connecter aux comptes bancaires de leurs utilisateurs via des API. Visa estime ainsi qu'un Américain sur quatre ayant un compte bancaire a déjà utilisé les technologies sous-jacentes de Plaid. Sauf qu'un an plus tard, le géant américain a dû renoncer à cette méga acquisition. En cause : la pression des régulateurs prêts à enclencher une enquête antitrust. "Pourtant, ce n'est pas Visa qui fusionne avec Mastercard mais Visa qui rachète une fintech de 400 personnes. C'est assez dingue", s'étonne Jérôme Albus, responsable France de la plateforme d'open banking suédoise Tink. Détenir une fintech de ce type aurait permis à Visa de collecter des données issues de comptes bancaire ets non plus seulement des cartes bancaires. Et surtout, ajouter une ligne à ses sources de revenus qui se résument principalement à des commissions à la transaction. Difficile après ce revers de se repencher sur une acquisition de ce type.

Les limites de ce problème : Cet échec ne signe pas non plus la fin des emplettes de Visa et Mastercard. "Ils sont toujours dans une course à l'armement aux acquisitions car ils ont le cash, la capacité à investir et à faire pâlir n'importe quel acteur du paiement. Je ne pense pas que ce soit pour eux un coup trop dur", analyse Julien Maldonato. Mastercard a par exemple racheté la division paiement instantané du danois Nets en 2019. Pour elle, faire leurs emplettes pourraient être plus faciles en Europe.