Dématérialisation des actes d'état civil en Afrique : quelle place pour la blockchain ?

Selon les estimations de 2018 de l'initiative ID4D (Identification for Development) de la Banque mondiale, 45% de personnes vivant en Afrique Subsaharienne ne sont pas en mesure de prouver leur identité, représentant environ 500 millions de personnes.

Le manque d’identité est un réel problème à l’échelle africaine, mais aussi à l’échelle mondiale. Pour le combattre, les états membres de l’Organisation des nations unies (ONU) ont défini au travers du programme SDG (Sustainable development goals) des objectifs à l’horizon 2030, garantissant à tous une identité juridique, notamment grâce à l’enregistrement des naissances. En Afrique plus particulièrement, l'Union africaine s’engage en parallèle avec l'Agenda 2063 à transformer le continent et ainsi assurer un changement irréversible et universel de la condition africaine, notamment sur le sujet de l’identité numérique.

C’est dans le cadre de ces initiatives (SDG et Agenda 2063) que plusieurs pays africains se sont lancés dans le développement des systèmes d’identité numérique, notamment sur les systèmes d’enregistrement des faits d’état civil et des statistiques de l’état civil (en anglais Civil Registration and Vital Statistics - CRVS). Le déploiement de tels systèmes présente un certain nombre de défis dont certains peuvent être relevés en utilisant la technologie blockchain.

Aujourd’hui, on distingue trois grands enjeux des systèmes d’enregistrement des faits d’état civil auxquels la blockchain permet de répondre :

1 – Un enjeu d’inclusion et de couverture de tous les citoyens

Aujourd’hui et dans la plupart des cas, les faits d’état civil sont tenus principalement sur deux types de supports présentant des limitations en termes d’inclusion des citoyens :

  • Des registres papiers détenus par les centres de déclaration des faits d’état civil. Ces centres sont très souvent installés uniquement dans les grandes villes. Ils présentent donc des problèmes d’accessibilité, surtout par les citoyens habitant dans les villages et les zones reculées : ceux qui ont peu de solutions de transport sont pénalisés et n’arrivent simplement pas à réaliser les démarches de déclaration des faits d’état civil.
  • Une base de données centralisée, localisée dans un seul emplacement, qui stocke tous les faits d’état civil à l’échelle du pays. Une telle base dépend fortement de la connectivité des réseaux et présente de faibles performances. En effet, une connexion Internet lente, voire inexistante, entraine un temps d'accès long ou impossible à la base de données lors de la récupération des faits d’état civil. Il en découle des problèmes d’accessibilité dans les territoires à faible couverture.

L’utilisation de la blockchain comme support pour les faits d’état civil permet de répondre aux problèmes que nous venons de décrire :

  • D’un côté, une blockchain représente une base de données numérique, ce qui permet de digitaliser les faits d’état civil et de répondre aux problèmes inhérents aux supports papiers.
  • D’un autre côté, dans l’architecture décentralisée de la blockchain, un registre identique est partagé entre tous les participants d’un groupement d’organisations qui représentent des nœuds géographiquement situés à des emplacements différents. Ainsi, elle permet de répondre aux problèmes d’accessibilité et de performance en multipliant les points d’accès aux faits d’état civil.

Ainsi, un système d’enregistrement des faits d’état civil basé sur la blockchain permet de faciliter l’inclusion des populations les plus vulnérables qui, aujourd’hui, sont les moins susceptibles d'avoir une preuve d'identité.

2 – Un enjeu de fiabilité et de résilience

En tant que fondement de l’identité juridique, les systèmes CRVS jouent un rôle essentiel dans la mise en œuvre de nombreux droits de l’homme, à condition qu’ils soient résilients et fiables. S’appuyer sur la technologie blockchain peut apporter une réponse à cet enjeu :

  • Grâce à sa caractéristique distribuée décrite dans la partie précédente, la technologie blockchain permet de multiplier les points d’accès aux données, notamment en déployant des registres identiques chez chacun des centres de déclaration des faits d’état civil. Ceci permet de neutraliser, par construction, l’écueil de ce qu’on appelle "Point de défaillance unique" et d’être résistant aux attaques extérieures habituellement commises sur les systèmes centralisés.
  • De plus, les informations inscrites dans une blockchain sous forme de transactions sont regroupées dans des structures appelées blocs qui sont irréversiblement liés les uns aux autres. Toutes ces transactions sont inaltérables et infalsifiables, constituant une des principales plus-values de la technologie Blockchain, à savoir sa caractéristique immuable. Elle permet donc de garantir une importante fiabilité.

3 – Un enjeu d’interopérabilité

Pour tirer profit des avantages des systèmes CRVS, l’interopérabilité entre ces derniers et les autres systèmes nationaux de données (tels que les informations de la santé, la protection sociale, l’éduction, etc.) est primordiale.

La facilité d’accès aux données stockées sur une blockchain et sa capacité d’intégration native avec d’autres systèmes blockchain ou avec des systèmes classiques via des APIs, permettent à cette technologie de créer un écosystème permettant de maximiser l’exploitation des données d’état civil pour plusieurs cas d’usage au service du citoyen. Ceci est possible en garantissant la protection et la confidentialité de ces données en maitrisant l’accès aux informations par les différents acteurs via le modèle des blockchains privées. 

Ainsi, la technologie blockchain permet de répondre à de nombreux enjeux de mise en place des systèmes CRVS d’enregistrement d’états civils qui ont un rôle indispensable dans la fourniture des identités juridiques et le développement socio-économique.

Certains pays ont d’ores et déjà adopté cette technologie. Par exemple, le gouvernement de la Sierra Leone a lancé en 2019 un système national d'identification basé sur la Blockchain afin de fournir à ses citoyens une identité formelle, un contrôle sur leurs informations de crédit et un accès aux services financiers numériques.

Notons pour finir que le déploiement de tels systèmes représente une démarche qui ne se réduit pas à un sujet de digitalisation et de décentralisation de données. Si la blockchain permet aux gouvernements de mettre en place des systèmes accessibles, performants, fiables, résilients et interopérables, la technologie ne représente qu’un aspect du sujet : d’autres enjeux juridiques, politiques, financiers et de gouvernance doivent être adressés en parallèle.