La carte bancaire en métal ou la prise de pouvoir du marketing dans la banque

Plus onéreuses et sans avantages distinctifs par rapport à leurs congénères en plastique, les cartes bancaires métalliques font leur entrée dans les portefeuilles des Français.

Attention spoiler, à pas grand-chose ! De 12 grammes pour les cartes “grand public” jusqu'à 28 pour celles destinées à la clientèle de gestion privée, les cartes métalliques ne possèdent aucun avantage au quotidien. Au risque de casser quelques certitudes, ces cartes ne sont ni plus sûres, ni plus durables. Pire encore, du fait de leur rigidité et de leur poids non conventionnel pour certains automates, elles sont propices aux rayures et le risque d'avalement est aussi légèrement plus élevé. 

La sensation physique procurée en manipulant la carte n'est donc que l'unique distinction potentiellement positive, à pondérer selon les goûts de chacun et en gardant à l'esprit que la clientèle masculine semble y accorder plus d'importance. Mais au final, rien de réellement convaincant. Pourtant, les offres de cartes métalliques se multiplient de la part de banques qui y voient une opportunité en or pour améliorer leurs marges. Comment en sommes-nous arrivés là ?

La montée en puissance des cartes métalliques

Tags System, Gemalto ou encore Giesecke & Devrient, il existe de nombreux fournisseurs de cartes métalliques. Leur point commun ? Leurs clients sont souvent des acteurs de la Fintech, comme N26, Revolut, Bunq ou encore Aumax. Dans l'esprit du consommateur, les cartes métalliques sont donc fortement associées à l'innovation, ce qui doit en retour justifier leur prix élevé. Par exemple, lors de son lancement début 2018, l'offre Metal de N26 coûtait 16,90€ par mois, contre 9,90€ pour l'offre inférieure N26 Black. Une différence importante de 7€ par mois fondée quasi exclusivement sur la composition de la carte.

Depuis, cette offre Metal s'est enrichie en fonctionnalités exclusives, mais dans l'esprit du consommateur, il semblerait que la simple présence du métal justifie ces tarifs très supérieurs. Trois ans plus tard, ce calcul est toujours d'actualité, comme le prouve le lancement en 2021 de l'offre Aumax Metal. Pour 7€ mensuels de plus que l'offre Aumax Premium, la néobanque française n'inclut aucune fonctionnalité exclusive supplémentaire. Or, quand on sait que les tarifs jugés excessifs des banques traditionnelles sont une motivation importante pour rejoindre les néobanques, facturer environ 200 euros par an au titre de la carte bancaire peut être considéré comme un authentique exploit.

En tout cas, difficile de ne pas y voir des points communs avec la stratégie marketing d'Apple, où l'innovation et le plaisir de posséder de beaux objets sont au centre de la communication. Une manière de se détacher du sacro-saint rapport qualité / prix au profit de facteurs plus émotionnels… Preuve que la stratégie fonctionne, après avoir convaincu les technophiles, la carte métallique poursuit sa conquête en s'imposant comme symbole de richesse, à la manière de la carte Platinum d'American Express, récemment convertie au métal. Mais pourquoi tant d'empressement pour introduire du métal ? 

Une aubaine pour la rentabilité des banques

Depuis l'apparition des banques en ligne au milieu des années 2000, l'écrasante majorité des nouveaux acteurs bancaires est en phase d'acquisition de parts de marchés, et les profits se font encore rares… Toutefois, depuis l'arrivée du coronavirus, la donne est en train de changer et le besoin de rentabilité se fait plus pressant, promettant à la carte métallique un bel avenir. Ainsi, réputé pour son rythme d'innovation élevé, l'établissement Boursorama Banque a franchi à son tour le pas en fin d'année 2020 avec l'offre ULTIM Metal à 9,90€ par mois. Or, jusqu'à cette date, le succès de première banque en ligne de France était intimement lié à sa réputation de banque la moins chère, gagnée en grande partie sur la quasi-gratuité de ses cartes bancaires. 

Autrement dit, avant la carte métal, difficile d'imaginer Boursorama Banque proposer une carte payante au prix d'une Visa Premier traditionnelle. Et pourtant, en reniant un peu sur les avantages de la carte ULTIM, l'offre ULTIM Metal est devenue le nouveau haut de gamme de Boursorama Banque. 

La carte en métal, un prétexte astucieux pour améliorer la rentabilité des banques ? L'occasion est en tout cas belle pour justifier des packages payants avec un positionnement haut de gamme. D'autant plus que d'après l'expert américain en psychologie Nick Kolenda, les cartes métalliques ont l'avantage supplémentaire de pousser à la consommation. En effet, avec une carte bancaire plus lourde, les porteurs de carte métallique se sentiraient plus riches qu'ils ne le sont en réalité. Ce qui les inciterait inconsciemment à les utiliser plus souvent. Bref, pour les banques, ces cartes cumulent beaucoup d'avantages. 

La prise de pouvoir définitive du marketing dans le secteur bancaire ?

En prenant un peu de perspective, il est vrai que l'introduction du métal s'inscrit aussi dans une longue tradition visant à faire de la carte bancaire un objet de reconnaissance sociale. Toutefois, la nouveauté vient du fait qu'avec leur marketing très agressif, les néobanques bousculent des lignes très établies. Par exemple, avant l'apparition du métal, ces fintech n'hésitaient pas à s'attribuer les codes du luxe avec des cartes “black” en guise d'offres haut de gamme payantes. Et cela malgré l'absence de service de conciergerie, une caractéristique pourtant très emblématique des cartes de luxe. 

Cette dynamique prouve bien une chose. Le marketing est en train de prendre une nouvelle ampleur au sein du secteur bancaire. Car dans le cas du métal, il n'est pas inutile de rappeler qu'objectivement, les consommateurs n'étaient pas demandeurs et que les apports au quotidien sont dangereusement proches de zéro. Flatter l'ego en combinant les techniques de vente des secteurs du luxe et de la technologie semble donc être la véritable raison de l'existence de ces cartes, avec en ligne de mire la rentabilité des banques. 

Signe de la réussite de cette stratégie, il existe même aux Etats-Unis une PME spécialisée dans la transformation de cartes plastiques en cartes métalliques. D'un strict point de vue marketing, difficile de ne pas y voir une belle victoire !