Terra : ces failles qui ont fait exploser la bulle

Terra : ces failles qui ont fait exploser la bulle Modèle instable, croissance trop rapide, manque de liquidités... L'effondrement de la blockchain Terra trouve ses racines dans plusieurs défauts de conception. Des faiblesses que certains ont su exploiter.

Une faille et une panique générale. Voilà en substance ce qui a provoqué la chute du token luna et de son stablecoin, l'UST, sur les deux première semaines du mois de mai. "Des mouvements de ce genre font partie du processus d'apprentissage de cet écosystème", observe Frédéric Montagnon, président du protocole Arianee, qui insiste sur la nécessité de casser des systèmes pour en tester la résilience. "Le manque de transparence et l'absence d'audit ont favorisé cette chute de 99,9% du cours du luna", poursuit François Laviale, responsable des investissements chez Alphacap.

Un modèle économique bancal

"A la base il y a une erreur de conception dans le modèle de Luna, assortie d'une croissance beaucoup trop rapide", explique Laurent Perello, expert blockchain chez TRON DAO. "Le modèle de Luna était basé sur la confiance", complète Pablo Veyrat, CEO du protocole Angle. Dans l'idée, les utilisateurs achetaient du luna pour obtenir des UST, pour avoir davantage de luna. Si la pratique paraît cohérente de prime abord, elle s'avère catastrophique en cas de perte de confiance. Et pour cause, dès l'amorce de d'implosion de l'UST, aux alentours du 5 mai, les utilisateurs ont cherché à vendre leurs stablecoins en masse pour racheter des tokens luna avant de les vendre instantanément. C'est ce qui explique qu'à l'heure de l'écriture de ces lignes, le token soit affiché à 0,0002 dollar, contre 80 il y a un mois. "Ils (Terra, ndlr), se sont appuyés sur un token qui n'avait pas été éprouvé et l'ont fait rentrer dans l'équation, ce qui a créé une dépendance aux effets désastreux", commente Frédéric Montagnon.

Le défaut de liquidité est à la base de cette faille. C'est en tout cas ce sur quoi s'accordent les acteurs de l'écosystème crypto que nous avons interrogés. Car si luna s'est développé en quelques mois pour atteindre 40 milliards de dollars de capitalisation, c'est en grande partie grâce au protocole Anchor qui offrait 20% de rendement annuel pour le staking d'UST. Pour le même stablecoin, la plateforme proposait un taux d'emprunt à 13% d'intérêts. "Un écart de 7 points c'est énorme, sachant que les volumes d'emprunt étaient beaucoup plus importants que les volumes de dépôt", rappelle François Laviale.

D'où provenait l'argent prêté ? La réponse se trouve dans le modèle économique de luna, qui pour augmenter rapidement ses liquidités, était contraint d'émettre de nouveaux tokens. La croissance fulgurante du luna ne lui aura pas donné le temps de réunir le collatéral nécessaire pour gérer ce genre de mouvement de marché, dont les conséquences vont peser sur les prochains mois. Le maelstrom subi par la blockchain Terra Luna met également en relief les mauvaises pratiques en matière de DeFi. Les projets à haut rendement comprennent une part de risque équivalente. "La qualité première d'un bon trader c'est la gestion des risques, certains ont tendance à l'oublier, et quand on fait all-in sur l'UST, on est exposé à 100%, et ils sont nombreux à avoir fait all-in", assure Laurent Perrelo.

Tout est question de prise de risques : de son côté, luna avait positionné le curseur au maximum, ne permettant pas une entrée régulière de liquidité et positionné la totalité de son collatéral sur des monnaies volatiles.

Une explosion tardive

Ce qui crée le plus de dégâts dans ce bear market, c'est le timing, à savoir que la faille sur laquelle repose le modèle de luna était déjà identifiée depuis sa création par de nombreux investisseurs. "Si cette attaque a pris une telle ampleur, c'est parce qu'elle arrive tard, il y a six mois de ça elle n'aurait pas eu cet impact", justifie Pablo Veyrat, avant de poursuivre : "Il y a eu une conjoncture favorable dans la mesure où il y avait moins d'UST on-chain, ça a entraîné le début du depeg sur Curve(protocole fonctionnant sur le principe du liquidity pool, ndlr)". Un depeg, à savoir une désindexation, qui entraîna par la suite un mouvement de panique. Luna qui avait annoncé dumper un milliard de bitcoins pour maintenir son peg s'est fait devancer par d'autres utilisateurs qui ont eux-mêmes shorté leurs bitcoins, faisant ainsi bouger le reste des cryptos. "L'autre point majeur, c'est que l'UST a une grosse réserve en bitcoins, on ne sait ni où elle est, ni à quoi elle va servir", poursuit Laurent Perello.

La bulle dans laquelle prospérait l'UST ayant éclaté, reste à déterminer la provenance de la flèche. "Il y a plusieurs théories qui circulent, celle d'un fond américain qui aurait découvert l'irrégularité des comptes ou d'un venture capital à l'origine du projet qui se serait retiré devant l'ampleur de la bulle", explique François Laviale. "Il y a deux semaines, une rumeur a fuité concernant Terraform Labs qui aurait proposé à leurs VC des luna à moitié prix à condition qu'ils s'engagent à ne pas les vendre pendant un an", poursuit-il. Des pistes qui coïncident avec le début du pic de volatilité de l'UST, charriant avec lui un sell-off massif.

Pour l'heure, l'idée est de limiter les dégâts et nombre de traders s'engagent dans des paris maximalistes. "Il y a autant de chance pour que l'UST reparte que de le voir tomber à zéro, ce n'est pas une position de trading, c'est une position de gambling", abonde Laurent Perello. Tant que le projet n'est pas mort, tout n'est pas perdu, et c'est ce qui explique que le curseur ne soit pas encore tombé à zéro.

Un fork envisagé

La semaine passée, le fondateur de Terra, Do Kwon sortait du silence et annonçait sur Twitter l'hypothèse d'un fork pour rebâtir la blockchain. La solution a déjà été adoptée plusieurs fois par Bitcoin via Bitcoin Cash notamment. Reste à déterminer la forme que prendrait celui de Terra.

"Il y a des précédents comme le Bitconnect en 2018 qui proposait aussi des rendements faciles basés sur un modèle d'hyper volatilité, mais là c'est une première pour un stablecoin", reconnaît François Laviale. Là encore, le modèle économique est au centre de l'enjeu, ce qui n'implique pas nécessairement d'abandonner les stablecoins algorithmiques. "On a vu que le DAI a très bien réagi à ce krach, ce qui va être intéressant, c'est justement de voir les développements que ça va apporter", observe Pablo Veyrat.

Une attaque coordonnée rendue possible par un défaut de liquidité, cela redistribue les cartes entre les acteurs de l'écosystème crypto, et pour certains, participe à consolider le secteur. "Les projets qui restent sont les plus solides, nous avions une brebis galeuse dans nos rangs, et il faut qu'on recrée la confiance, ça ne va pas être facile", conclue Pablo Veyrat.