Les US face aux cryptos : des autorités accommodantes… quand ça les arrange

Les US face aux cryptos : des autorités accommodantes… quand ça les arrange Après la mise à jour d'Ethereum, les autorités américaines estiment avoir un contrôle dessus. Un épisode de plus dans la relation ambiguë entre l'écosystème crypto et les autorités locales.

Lors de sa nomination à la tête de la Securities and Exchange Commission (SEC), le régulateur financier américain Gary Gensler est présenté comme pro crypto. En effet, son CV parle pour lui. Il a notamment enseigné la blockchain et les actifs numériques au MIT, et le cours est aujourd'hui en accès libre. Pourtant, Gensler a vite montré son ambivalence à leur sujet. S'il soutient la technologie, il veut la réglementer de manière assez stricte.

Depuis plusieurs années, les Etats-Unis sont partagés entre un laisser-faire de type bac à sable et une volonté de réglementer au maximum. Officiellement, pour protéger le particulier. Officieusement, pour conforter l'ultra dominance américaine dans l'écosystème Web3. Ainsi, des projets importants ont subi les foudres de la SEC (Ripple, Tether), tandis que la Réserve fédérale américaine (Fed) ne semble pas pressée de créer sa monnaie numérique de banque centrale (MNBC), au contraire de la Banque centrale européenne (BCE).

L'entente cordiale

Une ultra dominance marquée par la mainmise du dollar

L'écosystème des cryptomonnaies et du Web3 en général n'a fait que conforter la dominance américaine dans le domaine technologique. Dans les cryptos, on parle même d'ultra dominance. Une majorité des plateformes d'échanges du top 10 sont américaines (Coinbase, FTX, Kraken, Binance.US), de nombreux projets ont été lancés aux Etats-Unis ou par des Américains (Ethereum en partie, Cardano, Solana, Celsius, Uniswap…) et les stablecoins dollars écrasent la concurrence.

La place des stablecoins dollars, comme l'USDT, l'USDC ou le BUSD, ne semble pas être un problème pour les autorités américaines, bien au contraire. Ainsi, un gouverneur de la Fed a estimé qu'une MNBC dollar émise par la Réserve fédérale serait redondante par rapport aux stablecoins dollars. En effet, le projet n'existe actuellement que dans l'esprit, alors qu'il est plus avancé du côté de l'Europe. Sans le dire ouvertement, la Fed n'est pas pressée de se lancer dans ce projet d'envergure.

Enfin, la présence de nombreux projets Web3 sur le territoire des Etats-Unis permet aux autorités de les réguler d'office.

Une ultra dominance qui facilite le contrôle des autorités

En avril 2021, Coinbase est le premier acteur des cryptomonnaies à entrer en bourse. Au-delà de l'aspect symbolique, c'est aussi une victoire pour le régulateur américain. En faisant son entrée à Wall Street, Coinbase devient de droit une plateforme pleinement soumise à la SEC.

Les autres grandes plateformes américaines, si elles ne prévoient pas d'entrer en bourse à moyen terme, montrent également patte blanche auprès des autorités, sans pour autant leur donner un blanc-seing.

D'une manière générale, la SEC, l'Office of the Comptroller of the Currency (OCC), le régulateur des banques, et la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), régulatrice du marché des produits dérivés, s'estiment compétents pour réglementer. Cela a d'ailleurs engendré des bisbilles entre la SEC et la CFTC, qui souhaitaient l'une comme l'autre devenir le régulateur des stablecoins émis aux Etats-Unis.

La régulation et la réglementation de ces derniers sont importantes, car nous parlons bien de stablecoins émis sur le territoire américain, pas seulement de stablecoins dollars. Ainsi, un stablecoin comme l'EUROC, répliquant l'euro, mais émis par Circle, est régulé par les instances américaines et non européennes.

Cette volonté de régulation n'est pas sans heurts. Et les confits entre les autorités américaines et le secteur crypto sont nombreux.

Nombreux conflits latents

Les affaires Ripple et Tether

Si vous interrogez les acteurs de l'industrie crypto outre-Atlantique, ils vont majoritairement vous répondre que les autorités sont contre eux. Et ils citeront à coup sûr trois affaires : Ripple, Tether et Tornado Cash, auxquelles on pourrait aujourd'hui ajouter Ethereum.

Bien qu'elle date depuis plusieurs années, l'affaire Ripple démarre en 2020, lorsque la SEC saisit le juge compétent, en estimant que l'émission des XRP de Ripple était non autorisée pour absence d'enregistrement. Pour résumer, la SEC estime que les XRP sont des titres financiers et qu'ils auraient dû être enregistrés auprès d'elle. L'affaire est toujours pendante, mais des rumeurs font état d'une possible victoire pour Ripple, pour manque de preuve de la SEC.

L'autre affaire est celle mettant aux prises cette fois-ci la CFTC à Tether. Pour rappel, dans le monde des stablecoins centralisés, un stablecoin émis doit être équivalent à 1$ liquide (compte bancaire, bons du Trésor…).

Pendant longtemps, Tether a été accusée d'omettre volontairement ses réserves en cash. Et c'était le cas, puisque Tether ne possédait que 34 % des stablecoins émis ! En résumé, pour 100 USDT émis, Tether n'avait que 34 dollars de réserves. L'affaire s'est réglée par une amende salée de 42 millions de dollars. Et les ennuis de Tether ne seraient pas terminés puisque, malgré sa volonté d'être auditée de manière indépendante chaque mois, les autorités n'auraient toujours pas de preuve de réserves.

Enfin, l'affaire la plus récente est celle de Tornado Cash, ce mixeur de cryptos auquel nous avons consacré un article, et qui a mis l'industrie crypto en émoi.

Une industrie crypto sans cesse menacée

Aujourd'hui, le secteur des cryptomonnaies aux Etats-Unis se sait très surveillé. Dernièrement, les autorités américaines vont même plus loin, en souhaitant mettre la main sur Ethereum.

Bien que le protocole soit officiellement décentralisé, le fait qu'une majorité des nœuds du réseau soient "situés" sur le territoire américain fait dire à la SEC qu'elle est compétente pour réguler l'ensemble du protocole. Une interprétation osée, notamment lorsque l'on sait que la situation est plus complexe que cela, car il peut s'agir d'un simple hébergement sur un serveur AWS ou Google Drive, d'ailleurs pas forcément situé aux Etats-Unis… mais soumis à un transfert de données obligatoire vers le territoire américain.

Par ailleurs, la SEC souhaite depuis longtemps assimiler l'ensemble des cryptos, hors Bitcoin, à des titres financiers, ce qui permettrait de réguler l'ensemble du secteur. Et Bitcoin n'est pas épargné, puisque l'on évoque une possible interdiction du minage, alors que celui-ci est désormais réalisé de manière importante aux Etats-Unis.

En résumé, les autorités américaines se montrent ouvertes sur les sujets qui renforcent la dominance américaine, comme les stablecoins dollars. Mais elles sont bien plus fermées sur le reste et n'ont réellement qu'une seule volonté : réguler l'ensemble du secteur à moyen terme.