Facture électronique : l'Europe en ordre dispersé

Le déploiement en Europe de la facturation électronique obligatoire pour les entreprises afin de lutter, notamment, contre la fraude à la TVA, doit composer avec les spécificités de chaque État membre

Point de départ : la facturation de l’Administration

Plusieurs pays européens ont déjà mis en place la facturation électronique obligatoire pour les relations commerciales entre les entreprises et les administrations publiques, autrement appelées B2G (Business to Government). Les pays soumis à une obligation B2G complète sont l'Espagne, l’Italie, la France (avec son portail public Chorus PRO), le Portugal, le Danemark, la Suède, ou encore la République tchèque, la Croatie, la Pologne et les Pays-Bas... Certains États n’ont intégré que partiellement cette obligation. C’est le cas de pays comme la Belgique et l'Allemagne qui reposent sur  la complexité d’un modèle fédéral. En Belgique, l'obligation B2G ne concerne que les administrations de la région flamande et de Bruxelles. En Allemagne, la facture électronique est exigée par toutes les administrations centrales, tandis que les administrations des 16 États fédéraux (les Länder) doivent se référer aux mesures propres à chaque région. Cela conduit à une situation hétérogène et fragmentée. Cependant, la plupart des États fédéraux ont, soit introduit l'exigence B2G, soit prévu de l'introduire d'ici 2023-2024 par le biais de solutions technologiques variées.

Un calendrier inégal de déploiement en Europe

Alors que l'obligation B2G est presque entièrement en place, les pays avancent à un rythme différent pour le lancement de la facturation électronique obligatoire dans le secteur privé, c'est-à-dire B2B et B2C. Pourtant, dès 2023, les sociétés ayant besoin de facturer à l'étranger devront se conformer aux exigences réglementaires et technologiques de chaque Etat membre. Quelques illustrations : 

  • En France : à partir de 2024, l'obligation B2B sera déclinée en 3 étapes jusqu'à 2026. Cette période implique d'abord les grandes entreprises pour progressivement inclure toutes les entreprises;
  • En Espagne, une nouvelle législation (Loi "créer et grandir”) a été adoptée le 18 septembre dernier . Les entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 8 millions d'euros devront adopter la facturation électronique de manière obligatoire en 2023 ; Les autres qui facturent en dessous de ce chiffre, auront jusqu'en 2025 pour basculer;
  • En Pologne, la plateforme KSeF du ministère des finances est opérationnelle depuis janvier 2022, permettant le traitement électronique des factures B2B. À partir de début 2023, la facturation électronique obligatoire entrera en vigueur en Pologne.

Diversité des solutions technologiques 

L'aspect technologique alterne aussi selon les pays. Bien qu'il existe des standards plutôt répandus, comme le réseau PEPPOL (Pan-European Public Procurement OnLine) et le format UBL (Universal Business Language ou facture sous forme de fichier XML) associé, les approches sont encore extrêmement variées. La plupart des pays ont décidé de créer une plateforme nationale de gestion des factures électroniques, plus ou moins identique à la SDI italienne. Notre voisin transalpin étant précurseur sur le sujet. La France, par exemple, via son portail public Chorus PRO, gère de manière centralisée la transmission des factures, en utilisant des formats nationaux dédiés. En Allemagne, plusieurs plateformes cohabitent : il existe une plateforme dédiée au traitement des factures aux administrations centrales, ZRE, et plusieurs autres plateformes pour le traitement des factures aux administrations des États fédéraux. En revanche, d'autres pays ont opté pour le format UBL géré par OpenPEPPOL et largement partagé, tout en adoptant une plateforme nationale. Enfin, la Belgique, la Norvège et les Pays-Bas ont choisi de s'appuyer intégralement sur le réseau PEPPOL, en vue d'une plus grande interopérabilité, notamment au niveau transfrontalier.  

Gestion numérique de la conformité fiscale

Enfin, l'adoption de la facture électronique doit intégrer la gestion numérique de la conformité fiscale. A savoir : obtenir une plus grande traçabilité et communiquer de manière fiable les données fiscales aux administrations compétentes. Elle s'accompagne de solutions telles que le CTC (Continuous Transaction Control). L'un des protocoles les plus utilisés par les pays est le SAF-T (Standard Audit File for Tax). Il s’agit d’un fichier basé sur le standard XML et utilisé à l’international pour l’échange électronique de données fiscales. Ce protocole permet de communiquer les données ponctuellement suivant la législation de chaque État. Des variantes de présentation peuvent apparaître selon la périodicité (annuelle, semestrielle, mensuelle, voire uniquement sur demande de l'autorité de référence) ou le type de données à transmettre. Les pays européens ayant opté pour ce type de procédé sont le Portugal, l'Autriche, le Luxembourg, la Norvège, la Roumanie et la Pologne, où il est connu sous le nom de JPK. D'autres États ont retenu des solutions similaires, mais en s'appuyant sur des plateformes nationales. Par exemple, l’Espagne a opté pour une solution appelée SII. L'Allemagne utilise la remontée des données budgétaires via le protocole E-Bilanz. Quant à la Grèce, c’est par l’intermédiaire de la plateforme myDATA qu’elle récupère les données.

Le lancement progressif de la facture électronique obligatoire en Europe reste donc tributaire des particularités propres à chaque Etat. Cela étant,  avec un double-objectif commun : réduire la fraude à la TVA et avoir une meilleure lisibilité sur l'activité des entreprises du “vieux continent”.