L'émergence de banques affinitaires sera favorisée par les fintechs !

Au-delà des cartes de paiement co-brandées, une nouvelle forme de services financiers affinitaires commence à voir le jour. Les banques peuvent en profiter à condition d'adapter leur SI.

Matérialisée par des cartes de crédit ou de paiement co-brandées, la finance affinitaire existe depuis une quarantaine d’années. Il s’agit d’associer le nom d’un club sportif, ou d’un prestataire de service, comme une compagnie aérienne à un moyen de paiement distribué par une banque et membre d’un grand réseau comme Visa ou Mastercard. En France, on connaît l’association entre American Express et Air France qui reprend le chemin tracé aux États-Unis par Citibank et American Airlines. En théorie, cette association propose au client/porteur de la carte des avantages plus ou moins substantiels : accès à un salon particulier, billet gratuit, place à prix réduit.

Cette première étape, quasiment mondialisée, a pris de l’ampleur avec l’émergence du phénomène « Card-as-a-Service » (CaaS), qui fait intervenir de nouveaux acteurs, souvent concurrents des banques traditionnelles, mais parfois associés à ces banques. Du reste, ces dernières sont conscientes de la menace concurrentielle et ont pris les mesures ad hoc pour la contenir et tirer parti de la dynamique du marché. Comment est-ce possible ? Par l’émergence de l’écosystème de la fintech, devenu un véritable sport d’équipe depuis quelques années avec le CaaS donc, mais aussi l’Embedded Finance, le Banking-as-a-Service ou encore le Payments-as-a-Service. Précisons que l’ouverture des systèmes back-ends, le développement de l’Open APIs (interface d’application), et le cloud forment la charpente solide de ces nouvelles offres.

Au niveau des banques proprement dites, l’arrivée de Monzo Bank, Revolut et N26 fut une véritable bouffée d’air frais pour les consommateurs. Plus rapides, plus pratiques que leurs aînées et entièrement digitales, elles ont, à l’origine, facturé peu de frais et sont plus transparentes. Plus tard, l’écart s’est considérablement réduit. Les applications des banques traditionnelles ont rattrapé un peu leur retard. Certaines banques, comme Goldman Sachs (Marcus), La Banque Postale (My French Bank) et Bank Leumi (Pepper), ont lancé leurs propres acteurs digitaux qui connaissent un succès retentissant. 

Parallèlement, l’idée de servir spécifiquement une communauté particulière a fait son chemin dans le monde bancaire. Au départ, le mouvement a été plutôt informel, basé sur le bouche-à-oreille au sein d’une communauté. Des représentants d’une population immigrée dans un pays peuvent recommander à leurs pairs un réseau bancaire particulier propre à bien servir leurs intérêts. Cela peut être pour envoyer de l’argent à leur famille dans leur pays natal.

De fait, selon la Banque Mondiale, ces remises migratoires vers les pays à revenu faible et intermédiaire devraient augmenter de 4,2 % et s'élever à 630 milliards de dollars cette année. « Les cinq principaux pays bénéficiaires des envois de fonds en 2021 étaient l’Inde, le Mexique (qui a supplanté la Chine), la Chine, les Philippines et l'Égypte, note une étude de la Banque Mondiale. Parmi les pays où le volume des remises migratoires en pourcentage du PIB est très élevé figurent le Liban (54 %), les Tonga (44 %), le Tadjikistan (34 %), la République kirghize (33 %) et le Samoa (32 %) ». Ces transferts de fonds sont onéreux pour les immigrés. L’étude de la Banque Mondiale note que le tarif moyen pour l’envoi de 200 dollars était de 6 % au quatrième trimestre de 2021. C'est vers l’Asie du Sud qu'il est le moins coûteux d'envoyer de l'argent (4,3 %) et vers l’Afrique subsaharienne que les frais sont au contraire les plus onéreux (plus de 7,8 %). On décèle ici une opportunité de marché substantielle à condition d’offrir le bon service, rapide et sécurisé, et au bon prix, pour ces populations. Rewire (lire plus loin) s’est positionné sur ce marché.

Aujourd’hui, une telle offre de services ne peut être conçue et mise en œuvre que si son coût n’est pas prohibitif pour le prestataire bancaire ou financier et que l’investissement peut être rentable. Or, ces objectifs peuvent être difficilement atteints s’il faut ajouter une nouvelle couche de service sur le système d’information d’une banque. Le coût des développements logiciels pour y parvenir sera trop onéreux.

Il en est de même pour tous les services affinitaires. La demande existe, tant au niveau de diverses professions que de communautés d’intérêts. On peut certes imaginer des services bancaires spécifiques à des professions libérales ou à des artisans et les regrouper sous un même pavillon. Cela consiste à franchir une étape supplémentaire après l’étude marketing du marché. Une banque des avocats, une banque des coiffeurs, une autre banque pour les entrepreneurs en bâtiment peuvent être conçues, chacune avec une offre de services spécifiques pour ces professions. L’idée est loin d’être récente. En 1904 à San Francisco, Amadeo Giannini a fondé la Bank of America, pour répondre aux besoins de la communauté italienne, à une époque où les banques ne s’intéressaient qu’aux grandes entreprises et qu’aux particuliers fortunés.  S’il est difficile de comparer la Bank of America de l’époque aux Fintechs d’aujourd’hui, remarquons tout de même que son total de bilan dépasse, plus d’un siècle après sa création, 3000 milliards de dollars.

Plusieurs exemples de banques verticales ou affinitaires existent dans divers pays. La banque thaïlandaise TMRW s'adresse spécifiquement aux milléniaux et à la génération Z. Les banques islamiques Niyah (Royaume-Uni) et Insha (Allemagne), proposent des services adaptés à la pratique religieuse de leurs clients. Certaines banques communautaires, dont NOW Money, visent les clients non-bancarisés ou sous-bancarisés. Au Canada, la Vancity Bank se concentre sur l'offre de produits financiers et d'options d'investissement qui répondent à des normes éthiques strictes. Green-Got s’adresse aux personnes soucieuses de la préservation de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique, en proposant des fonctionnalités qui les aident à réduire leur empreinte carbone. Rewire (cité plus tôt) propose aux migrants et aux travailleurs internationaux une solution bancaire répondant aux besoins transfrontaliers mondiaux.

D’aucuns évoquent le concept de « Banque de niches », ayant volontairement limité leur champ d’action pour mieux coller aux besoins identifiés de leur marché. Cependant, elles se doivent d’opérer sous une licence bancaire complète. Une telle licence, délivrée par un régulateur bancaire national, donne le feu vert à toutes les activités bancaires, de la gestion de trésorerie et du négoce à la réception de dépôts du public et à l'assurance monétaire des fonds des clients. Cela fait des banques de niches de véritables institutions bancaires.

L’essor des nouvelles technologies et des fintechs rend possible une bonne évolution positive du ratio rentabilité/coûts. De plus, la disponibilité de Core Banking System dans le cloud permet aux nouveaux acteurs d’établir des marchés de niche ; il permet aussi aux banques traditionnelles de saisir toute opportunité de renforcer des liens avec leurs clients existants. Elles se doivent d’agir, car plus de 250 néo-banques opèrent dans le monde (étude d’Exton Consulting). Toutes proposent des services similaires (compte courant, cartes de débit, cashback …), de la sécurité, du temps réel et une expérience client conviviale. Toutes peuvent verticaliser rapidement leurs offres.

La vraie question n’est plus de savoir si une néo-banque peut mieux faire qu’une banque traditionnelle et inversement, ou fournir de meilleurs services financiers qu’un opérateur historique (et inversement). La valeur que l’entité sera capable de créer pour le client déterminera le succès de l’opération. Agilité, rapidité et pertinence des choix technologiques sont les prérequis de ce succès.