Web3 : dans la tête des business angels

Web3 : dans la tête des business angels Pour démystifier leurs activités, quatre business angels reconnus dans le secteur du Web3 décrivent au JDN leur modus operandi.

Le financement d'une entreprise est toujours une démarche compliquée, d'autant plus dans ses phases les plus précoces et dans un secteur comme le Web3, considéré risqué en raison de son exposition à la volatilité des cryptoactifs et de la régulation en constante évolution. La demande de capitaux, pourtant, reste conséquente. "Il y a beaucoup de projets qui cherchent à lever, notamment parce que l'on est en bear market et que ce n'est pas évident en termes de liquidités. Il y a beaucoup de dossiers qui circulent", nous confie ainsi un investisseur très influent 

Luc Jodet, associé chez Xange, cofondateur d'Arianee et business angel. © DR

Dès lors, dans un secteur technologique encore émergent comme le Web3, comment les business angels font-ils le tri face aux sollicitations ? En premier lieu, tous nous ont répondu faire avant tout confiance à leur réseau. "Cela vient toujours de la recommandation de quelqu'un", nous explique Luc Jodet, par ailleurs associé du fonds d'investissement XAnge et cofondateur d'Arianee. "Comme beaucoup de business angels qui le font sur leur temps propre, on n'a pas énormément de temps pour creuser les projets. J'ai investi personnellement dans Bolero (plateforme d'investissement dans des artistes musicaux, ndlr) sur la recommandation d'Alex Masmej (entrepreneur Web3). Le projet DeFi Morpho était recommandé par tout le monde. Pour la plateforme d'investissement crypto Sock, cela vient d'un ami." Cofondatrice de Blockchain Partner, aujourd'hui dans le giron de KPMG, et désormais consultante et business angel notamment dans Tilvest, Bitstack et Swaap Labs, Claire Balva évoque aussi l'importance "du réseau et des rencontres dans des événements". "Je n'investis pas toute seule mais dans un groupe de cinq ou six investisseurs : on discute beaucoup de potentiels deals et cela se produit toujours après une réflexion commune", détaille-t-elle. 

Le réseau avant tout

Investisseur depuis de nombreuses années, également cofondateur d'Arianee et du projet NFT The Smurfs' Society, Julien Romanetto relève "recevoir tous les mois 200 messages sur Linkedin pour des demandes de rendez-vous d'entrepreneurs." En raison de l'afflux de demandes, lui aussi préfère mettre à profit un réseau, constitué d'autres proches et business angels comme Frédéric Montagnon, Thibaud Elzière, Edouardo Ronsano et Nicolas Steegmann. "D'une part, c'est plus organique et intéressant. Par ailleurs, ce sont des personnes à même de comprendre le Web3 : nous sommes dans Starton (API pour faciliter le développement blockchain, ndlr), Sismo (applicatifs d'identité décentralisée), Morpho. Si tu n'es pas dans le Web3, ce sont des applications difficiles à comprendre." Sous couvert d'anonymat, l'un des plus importants business angels du lot (environ 30 investissements recensés à titre personnel) nous répond "avoir toujours fonctionné par l'introduction d'un entrepreneur à un autre et ça marche, apparemment".

Julien Romanetto, dirigeant de Blueplanet, cofondateur d'Arianee et business angel. © DR

Pour autant, la seule recommandation d'un proche ne suffit évidemment pas. Claire Balva insiste sur "l'importance" accordée "aux fondateurs et à la manière dont ils présentent leurs ambitions." Un aspect humain aussi partagé par Luc Jodet : "A titre personnel, j'investis surtout dans des personnalités que j'affectionne, que j'ai envie de voir réussir. La typologie de projets est très différente mais il faut surtout que les gens me plaisent car en tant que business angel, dans les phases early stage, on s'appuie avant tout sur une vision. Il y a peut-être un début de produit mais c'est maigre. J'aime les gens qui ont une vraie passion pour le sujet mais qui présentent tout de même une certaine humilité : on sait que nous ne sommes qu'au début en crypto, il reste plein d'incertitudes et aujourd'hui, quelqu'un qui se présente avec la conviction d'avoir la recette magique, je n'y croirai pas car je sais que personne ne l'a."

Dans cet environnement, le bien-fondé technologique est évidemment primordial. Fondateur du fonds Stake Capital (portefeuille de plus d'une centaine d'entreprises), Julien Bouteloup est aussi l'un des cofondateurs du protocole de finance décentralisée Curve ou encore la première personne à avoir exécuté un flash loan (une opération de prêt et remboursement instantané pour de l'arbitrage). Compte tenu de son expertise technologique, il "mise sur les projets qu'[il] comprend personnellement, et proposé par des équipes que l'on estime plus compétentes que nous pour le construire". A la tête ou partenaire de plusieurs sociétés, comme le média Rekt ou le gestionnaire d'actifs numériques Blackpool Finance, il nous raconte "tester des solutions à même de servir [ses] compagnies" : "Par exemple, pour Rekt et notre mailing list, on a essayé Ethermail (nouveau service de mailing Web3, ndlr). Outre le capital, on a la capacité d'apporter des ressources techniques. En fait, on développe les sociétés, on regarde le code. Pour moi, la phase d'audit d'un projet consiste à le tester." 

" On espère toujours un retour sur investissement "

La question du retour sur investissement soulève des approches en revanche parfois très éloignées, même si tous, comme Claire Balva, s'accordent sur le fait qu'il existe "toujours une possibilité de ne pas revoir [leur] argent". Pour autant, elle se refuse à considérer ces financements comme du mécénat : "On espère toujours un retour sur investissement via un exit ou, si la société atteint une taille importante, des dividendes. Il n'y a pas encore de métriques car ce sont des jeunes sociétés mais ce critère de potentiel exit rentre en jeu lorsque l'on décide d'investir." L'absence de données sur ce secteur encore jeune et ces phases très précoces de développement de société ne sont en effet pas de nature à donner beaucoup de garanties. "Il y a une différence entre vouloir réaliser un exit et pouvoir le faire. Dans des investissements early stage, cela met beaucoup de temps quoi qu'il en soit, confirme-t-il. "Sur des investissements qui deviennent rapidement liquides, j'aime bien gérer comme un bon père de famille, comme avec XAnge : on aime bien rester longtemps mais le retour sur investissement, c'est bien aussi. On ne sort pas complètement des positions mais partiellement. Au bout de trois ou quatre ans, on commence à en sortir. Si c'est possible." 

Claire Balva, consultante, cofondatrice de Blockchain Partner et business angel. © DR

Et si mêler investissement en actions et en tokens est de plus en plus fréquent pour les projets disposant de jetons, ce mix ne facilite pas toujours la sortie d'investissement puisque les tokens sont souvent bloqués pour une durée allant généralement de six mois à deux ans. "Aujourd'hui, je privilégie un mix token-equity car selon la gestion d'une société, on ne sait pas s'il faut davantage mettre la valeur dans l'action ou le jeton", précise Julien Romanetto avant d'ajouter qu'il "préfère lorsque les tokens sont verrouillés (impossibles à vendre pendant une période prédéfinie, ndlr) : de cette manière, même en cas de mauvaise nouvelle, tu ne songes pas à vendre. Tu ne peux pas y toucher, tu ne peux pas vendre, tu attends cinq ans et là, tu prends une décision." D'autres comme Julien Bouteloup assure même ne jamais sortir ses fonds car il "construit avec les sociétés dans lesquelles il investit et ne va donc pas se tirer une balle dans le pied". Enfin, sous couvert d'anonymat, un business angel très influent se souvient non sans mal "d'une ou deux sorties" peut-être sur sa trentaine d'investissements. Pour lui, le retour se situe surtout sur le réseau que son portefeuille lui a permis de construire. 

Une chose est sûre, le réseau des business angels français du Web3 reste un microcosme. Après vérification, toutes les personnalités interrogées ont au moins un investissement en commun.