Kadran, la start-up qui met les pros de l'immo aux enchères

Kadran, la start-up qui met les pros de l'immo aux enchères A l'origine focalisée sur l'enchère dégressive - la vente au cadran - et les biens neufs, la jeune société réalise désormais 80% de son activité dans l'ancien.

Ici, pas de flamme qui s'éteint ni de coup de marteau pour signifier l'adjudication, mais un podium qui affiche les meilleures offres d'achat. Bienvenue dans l'une des salles de ventes virtuelles que le français Kadran développe pour ses clients, des professionnels de l'immobilier. Au lancement en 2017, ces derniers étaient surtout de promoteurs, auxquels la toute jeune pousse vendait des packs d'enchères dégressives, transposant ainsi la vente au cadran au marché immobilier. Très utilisée dans le domaine agricole, elle consiste à partir d'un prix de vente élevé, que les acquéreurs potentiels voient baisser par pallier à l'écran de leur ordinateur. Le premier qui se manifeste remporte l'enchère, après examen de l'offre et acceptation définitive de celle-ci par le vendeur.

"Mon client s'en tire toujours mieux au cadran que sans"

Le système se révèle souvent avantageux pour le vendeur, estime Vincent Chauveau, premier notaire - installé à Nantes - à avoir organisé ce type de ventes sur la plateforme. "Mon client s'en tire toujours mieux au cadran que sans, puisqu'il part d'un prix fort et que le prix de réserve qu'il a défini en amont n'est jamais atteint", explique-t-il.

Si vendre au cadran ne veut donc pas forcément dire brader, la technique permet bel et bien d'écouler des stocks d'invendus. "Laisser faire le marché permet de régler le problème pour des biens qu'on n'arrive pas à valoriser. Dans certaines régions, comme dans les Hauts-de-France, on en est réduit à murer les maisons", déplore Vincent Chauveau. En revanche, Kadran ne peut rien pour les biens pour lesquels il n'existe pas de marché. "Pour une maison contemporaine de 600 mètres carrés dans un village de 300 habitants, par exemple, ça ne fonctionnera pas", assure Eliott Godet, le fondateur de la start-up.

Mais les enchères dégressives ne sont que la partie émergée de l'offre de Kadran. Elles ne représentent plus que 30 à 40% de l'activité de l'entreprise, contre 50% à l'origine. Le reste est assuré par les enchères progressives classiques, telles que les pratiquent déjà les notaires depuis une dizaine d'années via leur propre outil en ligne, Immonot. 80% des enchères que commercialise Kadran portent aujourd’hui sur des biens anciens. Agents immobiliers, indépendants ou franchisés (Foncia, Lafôret, Stéphane Plaza Immobilier…), marchands de biens ou encore mandataires utilisent désormais Kadran. La start-up est en négociations pour signer un premier partenariat national avec un réseau de mandataires.

Mettre en concurrence les acheteurs potentiels au cours d'enchères progressives permet notamment à ces professionnels de vendre plus cher des biens de qualité situés dans des marchés tendus. A la tête de l'agence Dovimo, David Chavanoud vient par exemple de vendre un studio de 20 mètres carrés situé derrière la place des Terreaux, dans le 1er arrondissement lyonnais. "C'est un produit d'investissement de qualité, nous savions que nous allions le vendre. En revanche, nous n'étions pas sûrs d'avoir l'exclusivité du mandat, et le fait de proposer ce système a joué en notre faveur. Le prix de départ était fixé à 97 000 euros et nous l'avons vendu 133 000 euros." L'enchère s'est déroulée sur une heure, durée que préconise Kadran, et a mobilisé 8 participants. Certains d'entre eux ont enchéri plusieurs fois par pallier de 3 000 euros.

Les enchères dégressives permettent d'écouler certains biens invendus, mais pas de créer de la demande là où il n 'y en a pas

La réussite d'une enchère n'est toutefois pas assurée. "Certaines ont échoué, confie le dirigeant d'agence. Il s'agissait de biens davantage destinés à des résidences principales. Il me semble qu'il est plus facile de participer à une enchère immobilière lorsqu'il s'agit d'investir, l'investissement se rapprochant du jeu, que lorsqu'il s'agit de trouver sa résidence principale."

Dans la majorité des cas, le plan se déroule sans accroc. "Nous récupérons des offres d'achat pour les 2/3 des enchères que nous réalisons, entre 4 et 5 offres par enchère. Les offres sont des intentions d'achat récupérées lors de l'enchère par des personnes dont la solvabilité financière a été vérifiée. Le record s'établit à 17 offres. Le taux de vente atteint 95%", détaille Eliott Godet. Et c'est tant mieux pour Kadran qui, au-delà des packs d'enchères qu'elle propose (à partir de 1 500 euros les dix), prend 5% des honoraires de son client en cas de réussite de l'enchère.

Le système des enchères immobilières permet également aux professionnels de rameuter des prospects : "Ça génère des visites que nous n'aurions pas eues via les autres canaux de vente, car les gens se disent que le prix de départ étant faible, il y a peut-être une bonne affaire à conclure. Ce n'est jamais arrivé que nous ayons zéro contact avec la mise en annonce d'une enchère", témoigne David Chavanoud. Le notaire Vincent Chauveau y voit encore d'autres bienfaits : "C'est du courtage, pas de la vente aux enchères. Juridiquement, c'est intéressant car je n'ai pas besoin de recueillir la signature de tous les vendeurs, ce qui est pratique dans le cadre de curatelle ou de conflits d'indivision". Autre atout : les acheteurs potentiels n'ont pas à effectuer de dépôt de consignation, comme c'est le cas pour les ventes notariales et domaniales.

Une fois les offres d'achat récupérées, peu de rétractations : le taux de vente est de 95%

Cette pratique comporte toutefois des inconvénients pour les professionnels de l'immobilier. Il leur faut en effet prendre contact avec les futurs enchérisseurs, leur faire visiter le bien, leur donner accès ou non à l'enchère, leur envoyer le mail afin qu'ils puissent s'y connecter, etc. "C'est pas mal de boulot pour le commercial qui s'en occupe, reconnaît David Chavanoud. Ça demande de l'organisation." Mais Eliott Godet n'a pas dit son dernier mot : "Lorsqu'il y a une offre d'achat, il n'y a pas de rétractation, vu que la qualification a été faite en amont", estime-t-il.

Malgré leurs avantages, les enchères immobilières constituent "un marché de niche", rappelle Vincent Chauveau. Forcément, les acteurs qui œuvrent sur ce marché ne sont pas légion. Le paysage concurrentiel de Kadran s'est même encore écrémé ces derniers temps. En particulier sur les enchères inversées, avec la liquidation judiciaire d'Oxionéo le 15 janvier 2019. Imoxo, son autre challenger, avait connu le même destin. De son côté, Kadran a été rachetée en juin 2018 par EP, le spécialiste nantais de la digitalisation des travaux de gain d'énergie. Eliott Godet espère atteindre entre 250 et 300 enchères d'ici fin 2019, contre 220 en 2018. "Cela dépendra aussi des stocks de nos clients", précise le patron de Kadran. Lancé en 2007, Auction son homologue américain soutenu par Google, réalise environ 3% des ventes immobilières outre-Atlantique.