Olivier Delabroy (Air Liquide) "Notre centre d'opération pilotera nos 22 usines françaises à distance"
Alors que la Nuit du Directeur Digital se rapproche, le directeur de la transformation numérique du groupe Air Liquide présente au JDN les derniers projets digitaux de l'industriel tricolore.
JDN. Quel est votre projet le plus innovant mené en 2016 ?
Olivier Delabroy. Nous avons créé un centre d'opération baptisé Connect, qui permettra d'ici 18 mois maximum de piloter à distance nos 22 sites industriels situés en France. Cette solution permet d'accélérer ou de diminuer le rythme de la fabrication en fonction des commandes de nos clients. Nous y avons d'ores et déjà connecté quatre de nos usines, la première étant celle de Saint-Priest, située dans la banlieue de Lyon.
Chacune de ces exploitations, qui permettent de produire des gaz industriels destinés au monde de la santé et de l'industrie principalement, est équipée au minimum de 400 capteurs qui émettent plusieurs milliards de données chaque jour. Ces objets connectés industriels sont installés depuis plus de dix ans. Nous disposons donc d'une vaste base de data sur le fonctionnement de nos équipements de production. Grâce à la plateforme Connect, nous pouvons analyser ces informations et trouver, pour un certain niveau de production, le site qui a été historiquement le plus efficace d'un point de vue énergétique. Nous enregistrons les réglages des machines en route ce jour-là pour les reproduire et optimiser notre consommation d'énergie, qui représente aujourd'hui les deux tiers de la structure de coûts d'Air Liquide. Le groupe est l'un des plus gros consommateurs d'électricité de France.
Nous allons également utiliser Connect pour réaliser des opérations de maintenance prédictive, afin de prévoir les dysfonctionnements quelques semaines avant qu'ils ne se produisent en analysant les signaux faibles qui se dégagent des données collectées dans nos usines. L'objectif est de diviser par deux dans les trois ans à venir le coût des pannes et de leurs conséquences, qui peut s'élever à plusieurs centaines de milliers d'euros à chaque incident.
Et le plus stratégique pour votre groupe ?
"Je suis agacé par la crainte de l'uberisation, qui donne l'impression que la croissance au 21e siècle ne peut être générée que par des plateformes sans actifs tangibles"
Air Liquide a bouclé en mai 2016 l'acquisition d'Airgas. Ce fournisseur américain de gaz industriel a créé aux Etats-Unis un site marchand BtoB très dynamique pour écouler sa marchandise. Une proposition de valeur aujourd'hui rare dans notre secteur. Nous voulons importer ce canal de vente digital en Europe et en Asie pour nous différencier de nos concurrents. Nous allons profiter de l'expérience d'Airgas en la matière. Les équipes de notre nouvelle filiale nous aideront à créer une expérience de navigation fluide et personnalisée pour nos clients, même si le site comptera plusieurs milliers de références produits. Cette plateforme de de vente en ligne sera déployée en Europe dans les mois à venir. Avant le rachat, Air Liquide réalisait 16 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel. Nous espérons passer à 20 milliards cette année, en grande partie grâce à cette opération.
En quoi avez-vous transformé Air Liquide depuis votre arrivée ?
Mon poste de directeur de la transformation digitale a été créé en janvier 2016. Avant de l'occuper, j'ai dirigé pendant cinq ans la branche R&D d'Air Liquide. Je me suis alors rendu compte que nous étions dotés d'une véritable machine de guerre technologique, mais que nous devions la compléter en portant une attention plus soutenue à l'adoption par nos clients de nos produits et services. J'ai soutenu cette idée et poussé les équipes de l'entreprise à conquérir avant tout le client à travers l'usage.
Quelle est l'importance de la data pour Air Liquide ? Comment l'utilisez-vous dans le cadre de vos projets ?
"L'objectif de Connect : diviser par deux dans les trois ans à venir le coût des pannes et de leurs conséquences"
La donnée est le nerf de la guerre, elle doit devenir l'actif clef de notre société. Air Liquide dispose de vastes bases de data, qui étaient jusqu'à présent éparpillées dans plusieurs branches de l'entreprise et donc sous-exploitées. Attention, je ne dis pas que nous voulons nous débarrasser de nos actifs physiques, bien au contraire : nous allons faire levier sur ces équipements pour créer de l'information et de nouveaux services pour nos clients. Je suis agacé par la crainte de l'uberisation, qui donne l'impression que la croissance au 21e siècle ne peut être générée que par des plateformes sans actifs tangibles. Amazon installe en ce moment des librairies, Airbnb fait construire des appartements et Uber travaille sur le véhicule autonome : on voit bien que la donnée est inséparable du matériel.
Aujourd'hui, nous sommes par exemple capables d'analyser nos bases clients, leur rythme et historique d'achats, pour prédire le moment où ils risquent de nous quitter. Lorsque la probabilité franchit la barre des 80%, les équipes de data science préviennent le directeur de la branche produit concernée pour qu'il fasse le nécessaire. Nos équipes métier collaborent pour que le big data ait une vraie valeur business pour le groupe.
En quoi votre action a permis à Air Liquide de poursuivre sa transformation numérique en 2016 ?
De nombreux CDO travaillent dans leur coin, sans avoir de proximité avec les équipes techniques de leur entreprise. C'est pour cela que je ne suis pas chief digital officer mais directeur de la transformation numérique. Pour réussir à faire basculer Air Liquide dans le digital, j'ai travaillé main dans la main avec le directeur IT, avec qui je communique plusieurs fois par semaine au téléphone. Lorsque mes équipes développent une nouvelle application, nous nous assurons ensemble qu'elle est bien scalable à l'échelle du groupe et qu'elle s'intègre avec le système informatique historique de la société. C'est essentiel pour que les projets prennent de l'ampleur.
Le JDN propose pour la troisième année consécutive le 21 juin prochain un événement destiné à récompenser les meilleurs chief digital officers de France. Pour en savoir plus : la Nuit du Directeur Digital.