Le protectionnisme peut-il sauver l'industrie automobile occidentale de la concurrence chinoise ?
Après l'Union européenne et les États-Unis, le Canada vient à son tour d'adopter des tarifs douaniers pour protéger ses constructeurs véhicules électriques de la concurrence chinoise.
100% : c'est le montant des droits de douane qu'imposera le Canada sur les véhicules électriques Chinois à partir du premier octobre prochain. Le pays entend ainsi donner à sa propre industrie automobile le temps de développer des véhicules électriques compétitifs, avant qu'elle ne soit écrasée par la compétition chinoise. Les droits de douane s'appliquant aux véhicules électriques fabriqués en Chine et non aux constructeurs Chinois, ils affecteront également le constructeur américain Tesla, qui a ouvert une usine dans l'Empire du Milieu en 2019 et produit désormais la moitié de ses véhicules là-bas.
"Nous sommes en train de transformer le secteur automobile canadien pour en faire un leader mondial sur les véhicules de demain, mais certains acteurs, dont la Chine, ont choisi de se donner un avantage injuste sur le marché international", se justifie le Premier ministre canadien Justin Trudeau, faisant allusion aux subventions que le gouvernement chinois verse aux constructeurs de véhicules électriques. La Chine, deuxième partenaire commercial du Canada derrière les Etats-Unis, a de son côté dénoncé des mesures protectionnistes allant contre les règles de l'OMC.
Pourquoi l'industrie automobile chinoise met tout le monde en alerte
L'annonce du Canada fait suite à des décisions similaires adoptées par les États-Unis et l'Union européenne plus tôt dans l'année. En mai, Joe Biden a ainsi annoncé un quadruplement des tarifs douaniers sur les importations de véhicules électriques chinois, passant ces derniers à 100 %. Donald Trump, en lice pour un deuxième mandat, a annoncé qu'il les monterait à 200 % en cas de victoire.
En juillet, l'Union européenne a décidé à son tour d'imposer des droits de douane sur les voitures électriques importées de l'Empire du Milieu, d'un montant maximal de 36 %. Ce taux variera en fonction du degré estimé de subventions dont bénéficie le constructeur de la part de Pékin.
La Chine est parvenue à mettre sur pied en un temps record une industrie automobile ultra-compétitive sur les véhicules électriques. Selon l'Agence Internationale de l'Énergie, 45% des véhicules en circulation en Chine sont désormais électriques, contre 25% en Europe et 11% aux États-Unis.
Après avoir conquis le marché chinois, les constructeurs de véhicules électriques locaux se lancent dorénavant à l'assaut du marché international. Alors qu'en 2019, l'Empire du Milieu exportait très peu de véhicules, il est aujourd'hui devenu le numéro un mondial, et de très loin, avec 4,4 millions de véhicules non commerciaux exportés en 2023. À titre de comparaison, le Japon et l'Allemagne, deux grandes puissances de l'automobile, sont à peine au-dessus de trois millions.
Des constructeurs chinois comme SAIC-GM-Wuling Automobile (une coentreprise entre General Motors et deux constructeurs chinois), Geely et BYD se trouvent à la tête de cette dynamique. Lancé en 1995 comme un fabricant de batterie, ce dernier a au quatrième trimestre 2023 dépassé Tesla pour devenir le plus gros vendeur de véhicules électriques au monde (un titre que l'entreprise d'Elon Musk a certes récupéré au premier trimestre 2024).
Une voiture électrique neuve à moins de 9 000 euros
La Chine est notamment capable de proposer des véhicules extrêmement bon marché : en mai dernier, BYD a par exemple annoncé qu'il comptait commercialiser son modèle Seagull en Europe pour moins de 9 000 euros en 2025. Un prix ultra-compétitif, la Dacia Spring, l'un des modèles européens les moins chers, démarrant autour de 17 000 euros.
L'annonce a généré des sueurs froides chez les constructeurs des deux côtés de l'Atlantique. "Nous voulons une compétition juste avec la Chine. Or celle-ci ne l'est pas", a par exemple déclaré Luca de Meo, directeur général de Renault. Aux États-Unis, l'Alliance for American Manufacturing, un lobby, a affirmé que l'arrivée des véhicules électriques chinois sur le marché américain poserait un risque existentiel aux constructeurs locaux, tandis qu'Elon Musk a déclaré qu'en l'absence de barrières douanières, les constructeurs chinois écraseraient la concurrence.
Pékin assure de son côté que ses constructeurs ont acquis leur position dominante en innovant sans relâche sur un marché ultra-compétitif, accusant à demi-mots les Occidentaux d'être de mauvais perdants qui refusent de jouer le jeu de la concurrence libre et non faussée sur le marché international, au détriment des consommateurs. Les Occidentaux, de leur côté, affirment que la Chine a largement subventionné son industrie, faussant les règles de la concurrence.
Les deux camps ont en réalité raison. Les constructeurs chinois ont d'un côté étudié le marché européen depuis des années, recruté des vétérans de l'industrie et patiemment construit une chaîne de valeur intégrée qui leur permet de produire très efficacement, à des coûts très compétitifs. La Chine maîtrise ainsi l'intégralité de la chaîne de valeur du véhicule électrique, depuis le minage et le raffinage des terres rares jusqu'à la production des batteries et l'assemblage des véhicules, réalisé dans des usines ultramodernes et fortement automatisées. Les constructeurs chinois ont également repensé intégralement la construction de leurs véhicules autour de l'électrique, comme ce qu'a fait Tesla, là où les constructeurs traditionnels tendent à adapter le design de leurs véhicules à essence.
D'un autre côté, ces constructeurs ont aussi bénéficié du soutien de Pékin, là où l'Union européenne refuse par exemple de subventionner ses constructeurs pour respecter les règles de la libre concurrence.
"L'industrie chinoise est parvenue à proposer des modèles très compétitifs grâce à une maîtrise de l'intégralité de la chaîne de valeur, à l'innovation et à la robotisation. Mais aussi grâce à des subventions très importantes de la part de Pékin, qui a fait du véhicule électrique une cause nationale et porte l'industrie à bout de bras en l'inondant d'argent public. Il est donc important que l'Europe défende aussi ses propres constructeurs", résume Anthony Morlet-Lavidalie, économiste chez Rexecode, un institut indépendant de conjoncture économique. L'instauration de tarifs vise à compenser cet avantage dont bénéficient les constructeurs chinois.
Les tarifs seront-ils efficaces ?
"En imposant des droits de douane supplémentaires aux constructeurs des véhicules électriques chinois, l'UE et le Canada tentent clairement le tout pour le tout pour soutenir la croissance de leur industrie locale", analyse Thomas Guyot, co-CEO de la greentech Traace (groupe Tennaxia), pour qui ces tarifs douaniers sont nécessaires pour acheter un peu de temps aux constructeurs européens.
"Aurions-nous pu éviter des mesures aussi fortes si l'on avait pris le sujet de l'urgence climatique au sérieux ? Sûrement. Aujourd'hui, la filière européenne de l'électrique se construit en essayant de rattraper son retard. Comme le montre le simulateur développé par Traace, le véhicule électrique pollue déjà considérablement moins que le véhicule thermique, mais son impact carbone serait d'autant plus faible s'il était produit localement, en respectant en plus les normes sociétales européennes. Les nouveaux droits de douane aideront à transformer notre industrie automobile historique."
Il est toutefois possible que la Chine cherche à contourner ces barrières douanières. BYD étudie par exemple l'implantation d'une usine au Mexique, faisant craindre à certains responsables Américains l'exportation de véhicules électriques chinois depuis le voisin du sud pour contourner les tarifs douaniers. Pas de quoi faire peur à Donald Trump, qui a également promis de taxer les véhicules électriques importés du Mexique à 200 % s'il était réélu.