Semi-conducteurs : Joe Biden lance son ultime salve contre la Chine

Semi-conducteurs : Joe Biden lance son ultime salve contre la Chine Le président sortant a amplifié la politique de sanctions visant à freiner l'industrie chinoise des semi-conducteurs entamée par son prédécesseur.

Et de trois. Après ceux d'octobre 2022 et d'octobre 2023, c'est un dernier paquet de sanctions que l'administration Biden vient de diriger contre la Chine, afin de freiner son avancée sur les semi-conducteurs les plus stratégiques. Cette fois-ci, les Etats-Unis interdisent l'exportation vers l'empire du Milieu des puces mémoire rapide à large bande passante (HBM, pour high bandwith memory), une catégorie de microprocesseurs particulièrement utilisée pour l'entraînement et le fonctionnement des algorithmes d'intelligence artificielle (IA). Ces puces permettent en effet de traiter les données plus rapidement que les puces mémoires traditionnelles, et sont donc particulièrement utilisées pour les grands modèles d'IA générative. Il ne sera désormais plus possible pour les entreprises de l'empire du Milieu d'accéder à des puces mémoires au-delà de la génération HBM2 (sachant que la génération HBM4 est en approche).

Vingt-quatre types d'outils qui ne faisaient auparavant pas l'objet de mesures de rétorsion sont également ciblés par les sanctions, ainsi que trois logiciels. Au total, 140 sociétés chinoises sont ainsi placées sur l'Entity list, une liste noire qui requiert des entreprises américaines souhaitant commercer avec celles qui y figurent de déposer une demande de licence pour l'exportation, laquelle est quasiment impossible à obtenir. Parmi ces 140 sociétés, on compte une centaine d'entreprises proposant des outils de fabrication pour les puces, une vingtaine de fabricants de semi-conducteurs, ainsi que deux investisseurs chinois (une première dans l'historique des sanctions contre l'industrie chinoise des puces).

La Chine n'a pas tardé à riposter : presque aussitôt après l'annonce américaine, elle a interdit l'exportation vers les Etats-Unis de divers minerais et métaux critiques utilisés dans les industries des puces et militaire. Parmi ceux-ci, on compte le gallium, le germanium, l'antimoine et le graphite.

Les USA inquiets des progrès de la Chine

Depuis 2019, sous la première administration Trump, les Etats-Unis ont mis en œuvre une politique de restrictions commerciales visant à limiter l'accès des sociétés chinoises des semi-conducteurs au meilleur de la technologie américaine. Officiellement, Washington craint de voir ses meilleures technologies tomber entre les mains de l'armée chinoise, être mises au service de la surveillance de masse, ou encore de l'oppression de minorités, comme les Ouïghours. Commentant cette nouvelle vague, la secrétaire du Commerce Gina Raimondo évoque ainsi "les sanctions les plus importantes jamais mises en œuvre pour dégrader la capacité de la Chine à utiliser les puces les plus avancées au service de sa modernisation militaire", et la nécessité, pour les Etats-Unis, de préserver "leur sécurité technologique".

Mais il s'agit aussi pour Washington de freiner les progrès de la Chine, source de vives inquiétudes. "L'avance technologique de la Chine et les délocalisations de l'industrie américaine vers l'empire du Milieu ont été deux facteurs clefs qui ont nourri des sentiments anti-mondialisation aux Etats-Unis", affirme Victor Cui, professeur à l'Université de Waterloo, au Canada, co-auteur de plusieurs études sur l'avenir de la mondialisation.

Pékin s'adapte, Washington frappe de nouveau

La Chine n'est naturellement pas restée les bras croisés. Elle a d'abord multiplié les plans d'investissement pharaoniques pour développer une industrie domestique des semi-conducteurs. En mai, un plan d'investissements de 344 milliards de yuans (45 milliards d'euros) a été annoncé dans cette optique. Pékin a en outre jusqu'ici trouvé le moyen de contourner les sanctions en constituant un réseau de petites sociétés et sociétés écrans qui jouent les intermédiaires pour passer sous les radars. C'est ce qui a permis au géant chinois Huawei de continuer à avancer sur les semi-conducteurs, jusqu'à proposer dans ses smartphones des puces compétitives qui, si elles n'égalent pas celles que proposent les géants technologiques américains, demeurent impressionnantes pour une société censée être privée depuis plusieurs années de l'accès au meilleur de la technologie disponible sur le marché.

Cette nouvelle vague de sanctions vise également à cibler les parades mises en œuvre par les sociétés chinoises. C'était du reste déjà le cas de la vague d'octobre 2023 : après celles ciblant les puces les plus avancées, mises en place un an plus tôt, les sociétés chinoises s'étaient rabattues sur les puces américaines de la génération précédente, que Washington avait donc aussi décidé d'inclure dans les sanctions en octobre 2023.

Les Etats-Unis s'appuient cette fois-ci sur l'extraterritorialité de leur droit pour compliquer la tâche des entreprises chinoises. En vertu de la Foreign direct product rule (FDPR), cette nouvelle vague de sanctions concerne les entreprises américaines, mais aussi toute société étrangère utilisant de la technologie américaine. Les mesures ciblent également directement l'exportation d'équipements fabriqués dans des pays comme la Malaisie et Singapour, sur lesquels la Chine s'est appuyée par le passé pour contourner les sanctions.

Que va faire Donald Trump ?

Si la vague de sanctions est considérable, elle aurait pu l'être plus encore. Le Financial Times rapporte des intrigues de couloir qui se sont déroulées à Washington pour déterminer la dureté des sanctions, certaines factions poussant pour une approche plus maximaliste contre Huawei, en plaçant par exemple les usines de production de puces que construit le géant chinois sur l'Entity list. Un expert qui a voulu conserver l'anonymat affirme pour sa part que les efforts de lobbying déployés par l'industrie américaine des puces ont porté leurs fruits et convaincu Washington de ne pas adopter des sanctions plus sévères. En limitant leur capacité à vendre leurs produits en Chine, les sanctions nuisent en effet aux profits des sociétés américaines.

Selon le Financial Times, la Maison-Blanche a également décidé d'opter pour une approche plus modérée afin de s'assurer de la coopération des pays alliés dans l'application des sanctions. Depuis la mise en œuvre de leur politique de sanctions contre la Chine, les Etats-Unis sont par exemple parvenus à convaincre les Pays-Bas et le Japon deux pays qui possèdent une forte expertise en la matière, de se joindre à leur effort. Pas sûr, toutefois, que la future administration Trump, qui ne compte pas vraiment faire dans le multilatéralisme, s'embarrasse de tels états d'âme : de nouvelles sanctions plus sévères pourraient donc rapidement être mises en place suite au retour de Trump à la Maison-Blanche.