Puces informatiques : les Etats-Unis resserrent (encore) l'étau autour de la Chine

Puces informatiques : les Etats-Unis resserrent (encore) l'étau autour de la Chine Après la découverte de puces TSMC dans les derniers processeurs Ascend 910B de la société chinoise Huawei, placée sous sanctions lors du premier mandat de Donald Trump, les Etats-Unis mettent l'entreprise taïwanaise sous pression.

Nous évoquions la semaine dernière les mesures mises en place par l'industrie américaine des semi-conducteurs pour sortir de l'ornière chinoise. Mais ce n'est que l'une des facettes de la stratégie de Washington sur les semi-conducteurs. L'autre consiste à couper aux entreprises chinoises l'accès aux meilleures technologies disponibles sur les puces, qu'elles émanent d'entreprises américaines ou de pays alliés. 

A cet égard, la Maison-Blanche vient de frapper un grand coup en interdisant à TSMC d'exporter ses puces d'une finesse de gravure de 7 nanomètres vers la Chine. Une réaction qui fait suite à la récente découverte de puces produites par TSMC dans les cartes graphiques Ascend 910 B. Ces puces dédiées à l'IA, les plus puissantes actuellement produites par Huawei, sont notamment vendues par le géant chinois aux sociétés de l'Empire du Milieu qui ne peuvent mettre la main sur les cartes graphiques de Nvidia, le leader mondial des puces d'IA, du fait des sanctions américaines. 

La position stratégique de TSMC sur le marché des semi-conducteurs

Entreprise taïwanaise, TSMC est spécialisée dans la fabrication des puces informatiques. Elle compte pour clientes les entreprises qui ont opté pour un modèle "fabless", centré sur la propriété intellectuelle et dépourvu de toute capacité de production industrielle, dont la société américaine Nvidia, mais aussi des géants du numérique comme Apple. Grâce à son excellence technologique, TSMC est la seule entreprise au monde capable de produire des puces avec une finesse de gravure très fine, indispensables à l'entraînement et au fonctionnement des algorithmes d'intelligence artificielle les plus avancés. La société taïwanaise assure à elle seule 90% de la demande mondiale sur ces puces. 

Si la puce Ascend 910B est la plus puissante du catalogue de Huawei, la gravure de sept nanomètres demeure en dessous de ce que proposent les entreprises américaines leaders du marché, selon Antoine Chkaiban, expert infrastructures chez New Street Research, un consultant spécialisé dans les technologies numériques. "Sept nanomètres, c'est déjà deux générations de retard. Nvidia est de son côté à quatre et s'apprête à passer à trois."

Washington multiplie les sanctions contre les sociétés chinoises

Depuis plusieurs années, les Etats-Unis s'efforcent de priver les entreprises chinoises de l'accès aux puces informatiques les plus sophistiquées. Officiellement, les Etats-Unis affirment craindre que leur technologie tombe entre les mains de l'armée chinoise et soit utilisée à des fins d'espionnage par Pékin. Mais de nombreux experts y voient également une guerre économique déguisée, les Etats-Unis redoutant de voir l'Empire du Milieu leur ravir la couronne de champion des technologies numériques. 

Lors de son premier mandat, Donald Trump a ouvert les hostilités en plaçant le champion du numérique chinois Huawei sur liste noire. Depuis, la société chinoise ne peut plus s'approvisionner auprès des entreprises technologiques américaines, ce qui inclut Nvidia. Mais, du fait de l'extraterritorialité du droit américain, les sanctions concernent aussi toutes les entreprises étrangères qui utilisent de la technologie américaine ou travaillent avec des partenaires américains. Le taïwanais TSMC est donc lui aussi contraint d'appliquer les sanctions dictées par Washington. 

Les sanctions ne sont pas dirigées uniquement contre Huawei. Fin 2020, juste avant de quitter le bureau ovale, Trump a mis en place une nouvelle salve de restrictions contre le géant chinois Semiconductor Manufacturing International Corporation (SMIC). 

Et Joe Biden a poursuivi l'œuvre entamée par son prédecesseur. A l'automne 2022, il a limité par décret l'exportation vers la Chine de puces de haute performance contenant de la technologie américaine. Des sanctions élargies un an plus tard pour inclure des puces moins performantes. Cette arme économique est toutefois à double tranchant : si elle prive la Chine de la meilleure technologie disponible, elle coupe aussi l'accès des champions américains à un juteux marché. 

Un réseau de sociétés écrans pour échapper aux sanctions

Malgré cette vague de sanctions, Huawei a créé la surprise à la fin de l'été 2023 en sortant un téléphone équipé d'un processeur 5G fabriqué par son compatriote SMIC et doté d'une finesse de gravure de sept nanomètres. Bien qu'il ne s'agisse pas de la dernière génération de semi-conducteurs, cela reste une performance dont on pensait jusqu'alors les entreprises chinoises incapables. D'autant que Huawei a rapidement poursuivi sur sa lancée en sortant sa puce Ascend 910B, dédiée à l'IA générative, fruit également de son partenariat avec SMIC. 

Mais il s'est vite avéré que les deux entreprises ne se sont pas uniquement basées sur leur propre savoir-faire pour concevoir leurs puces. Grâce à un réseau de sociétés écrans, dont une baptisée Sophgo, les deux géants chinois sont parvenus à esquiver les sanctions de Washington et à obtenir des puces auprès de TSMC. Au total, le cabinet SemiAnalysis, spécialisé dans la recherche sur les puces, dénombre une dizaine de sociétés écrans de ce type, situées à toutes les étapes du processus industriel. Seulement deux d'entre elles figurent actuellement sur la liste noire de Washington. Face à cette adaptabilité dont fait preuve l'industrie chinoise, les Etats-Unis ont décidé de dégainer l'artillerie lourde en interdisant purement et simplement à TSMC d'exporter ses puces de sept nanomètres vers la Chine. 

Si l'industrie chinoise fait preuve d'une adaptabilité remarquable face aux sanctions, celle-ci ne doit toutefois pas être exagérée, selon Antoine Chkaiban. "Concernant les puces de Huawei, on parle vraiment de tout petits volumes. La société chinoise prévoyait de produire 500 000 puces Ascend et n'y est jamais parvenue. A titre de comparaison, nous prévoyons environ 5 millions d'unités Hopper et Blackwell produites par Nvidia l'année prochaine."