Puces informatiques : pourquoi les Etats-Unis veulent la peau du dragon chinois

Puces informatiques : pourquoi les Etats-Unis veulent la peau du dragon chinois La Maison Blanche étudie actuellement une nouvelle vague de sanctions visant à restreindre l'accès de la Chine aux puces nécessaires pour entraîner les modèles d'intelligence artificielle générative.

Joe Biden persiste et signe. Le président américain étudie actuellement la mise en place de nouvelles restrictions à l'exportation de semi-conducteurs vers la Chine, selon le media américain Bloomberg. Celles-ci concerneraient notamment deux nouveaux types de puces.

D'une part les puces Gate-all-around (GAA), une technologie critique pour produire les puces les plus fines (gravure de trois nanomètres) avec une précision et des dépenses énergétiques raisonnables. Intel, AMD et Nvidia prévoient de produire massivement des puces utilisant cette architecture à partir de l'an prochain. Les puces mémoires à large bande passante (HBM), d'autre part, qui sont particulièrement utiles lorsqu'il s'agit de réaliser des calculs complexes impliquant un traitement rapide d'une grande quantité de données, donc pour l'entraînement et le fonctionnement des grands modèles de langage.
Ces deux nouvelles restrictions limiteraient donc encore la capacité des entreprises chinoises à utiliser les puces nécessaires à l'usage de modèles d'intelligence artificielle générative, technologie actuellement en plein boom vers laquelle se ruent un grand nombre d'entreprises.

Les semi-conducteurs, composants essentiels de l'économie mondiale

Les puces informatiques sont aujourd'hui partout : dans les smartphones et les ordinateurs, mais aussi les objets connectés, les voitures, l'électroménager, le spatial, l'armement, l'industrie… Durant la pandémie, une pénurie de puces a ainsi généré des goulets d'étranglement au sein de plusieurs secteurs clefs de l'économie.

Les puces les plus avancées et complexes à concevoir sont celles qui sont utilisées dans les centres de données des géants du cloud pour entraîner et faire tourner les modèles d'intelligence artificielle de pointe, qui requièrent une énorme puissance informatique. Pour entraîner ChatGPT, le chatbot d'OpenAI, pas moins de 10 000 cartes graphiques de Nvidia, leader sur les puces d'IA, ont ainsi été nécessaires. Etant donné le potentiel transformateur de l'IA générative, ces puces revêtent aujourd'hui un aspect extrêmement stratégique.

Or, si elles sont majoritairement fabriquées en Asie du Sud-Est, et notamment par le géant taïwanais TSMC, les Etats-Unis dominent en revanche la partie conception des puces, grâce à des sociétés comme Nvidia, mais aussi Intel, AMD et Qualcomm.

Les efforts des États-Unis pour bloquer l'avancée de la Chine

Engagés à la fois dans une féroce compétition économique avec la Chine et un processus de découplage avec cette dernière, les Etats-Unis s'efforcent depuis déjà plusieurs années d'entraver la progression de leur rivale sur les semi-conducteurs de pointe. Tout a commencé sous l'administration Trump. En 2019, le Département du Commerce des Etats-Unis interdit à Huawei d'acheter des composants auprès des entreprises américaines en l'absence d'une autorisation gouvernementale. En mai 2020, ces restrictions sont renforcées : depuis lors, les fabricants étrangers utilisant des composants ou des logiciels américains doivent obtenir une autorisation spéciale afin de concevoir ou produire des semi-conducteurs pour Huawei. SMIC, plus gros producteur de semi-conducteurs chinois, est ensuite ajouté sur la liste noire.

Depuis son accession à la Maison-Blanche, Joe Biden a poursuivi et même accentué la stratégie entamée par son prédécesseur. Il commence par ajouter plusieurs entreprises informatiques chinoises à la liste noire, au motif qu'elles serviraient l'avancée militaire de l'Empire du Milieu. Puis, en octobre 2022, coup de tonnerre : le président américain interdit l'exportation vers la Chine des semi-conducteurs les plus avancés incorporant de la technologie américaine, quel que soit le lieu où ils aient été produits. Une restriction qui, dans la pratique, empêche la Chine de mettre la main sur les puces d'IA de pointe, qui reposent toutes sur de la technologie américaine.

Un an plus tard, Washington renforce les sanctions pour riposter aux stratégies d'évitement mises en œuvre par la Chine… et par les sociétés américaines, pour qui l'empire du Milieu représente un gros marché. Des puces moins avancées de Nvidia, conçues spécialement pour être exportées en Chine malgré les sanctions, sont désormais également concernées. Sont par ailleurs ciblées les filiales étrangères des entreprises chinoises, dont la Chine se servait pour acheter des semi-conducteurs de pointe et les rapatrier.

La guerre mondiale des semi-conducteurs

En parallèle, les Etats-Unis font de plus pression sur les pays alliés pour qu'ils se joignent aux sanctions contre la Chine. L'administration Biden parvient ainsi à obtenir du Japon et des Pays-Bas qu'ils s'alignent sur les sanctions américaines, interdisant l'exportation vers le marché chinois des équipements nécessaires à la production des puces les plus avancées. Les Pays-Bas constituent un acteur particulièrement stratégique, puisqu'ils abritent ASML, seule entreprise au monde à produire les machines nécessaires à la fabrication des puces les plus avancées. 

L'embrigadement des Pays-Bas est donc un coup dur pour la Chine, qui, face aux sanctions américaines, s'efforce de développer à domicile ses propres capacités de conception et de production, non sans un certain succès. En août 2023, la Chine a ainsi créé la surprise lorsque le géant chinois du smartphone Huawei a sorti un processeur 5G fabriqué par son compatriote SMIC et doté d'une finesse de gravure de sept nanomètres, performance dont on pensait jusqu'alors la Chine incapable.

Les Etats-Unis, de leur côté, cherchent désormais à développer des capacités de production sur leur propre sol pour réduire leur dépendance à Taïwan, à l'heure où les tensions entre l'île et l'Empire du Milieu s'accentuent. Selon un récent rapport de la Semiconductor Industry Association (SIA), lobby américain des puces, et du Boston Consulting Group (BCG), les Etats-Unis devraient tripler leur capacité de production domestique de semi-conducteurs d'ici à 2032, par rapport à dix ans plus tôt. La part des Etats-Unis dans la capacité mondiale de fabrication de puces passerait ainsi de 10 % en 2022 à 14 % en 2032, marquant une augmentation sans précédent de l'empreinte nationale des Etats-Unis sur ce marché, selon le rapport.