La bataille mondiale pour le contrôle des minerais critiques s'accélère
"Nous avons trouvé un accord avec la Chine", claironnait mi-juin Donald Trump sur son réseau Truth Social. Après deux jours d'âpres négociations à Londres, les Etats-Unis et l'empire du Milieu sont en effet parvenus à un compromis visant à régler leur querelle commerciale, enclenchée par la hausse des droits de douane décidée par le président américain.
L'accord, qui doit encore être signé par les deux chefs d'Etat, prévoit que les Etats-Unis reviennent sur les restrictions imposées aux visas attribués aux étudiants chinois, et assouplissent les barrières à l'exportation de semi-conducteurs incluant de la technologie américaine vers la Chine. En échange, l'empire du Milieu s'engage de son côté à lever les barrières à l'exportation des terres rares et minerais critiques vers les Etats-Unis, une mesure prise courant avril en rétorsion de la vague de droits de douane mise en place par Donald Trump. Les deux puissances s'engagent également à abaisser leurs droits de douane réciproques. Si l'accord couvre plusieurs secteurs, il ne fait aucun doute que, du point de vue des Etats-Unis, ce sont les minerais critiques qui sont au cœur de celui-ci. "Toutes les terres rares nécessaires seront désormais fournies par la Chine", s'est ainsi félicité Donald Trump.
Chacun cherche à se renforcer
Les Etats-Unis ne sont pas la seule grande puissance à s'inquiéter de la pérennité de ses approvisionnements. L'an passé, l'UE a passé le Critical Raw Material Acts, avec pour objectif d'identifier et de combler les vulnérabilités dans les matières premières. 34 minerais critiques ont été listés, dont le lithium, le cobalt, ainsi que plusieurs terres rares (un groupe rassemblant 17 éléments chimiques du tableau de Mendeleïev). La loi prévoit également l'ouverture de mines sur le sol européen afin d'atteindre un certain nombre d'objectifs chiffrés. D'ici 2030, l'Europe doit miner 10% de ses besoins dans les minerais critiques identifiés, en traiter (raffinage et transformation) 40% et recycler 25%. En outre, pour un minerai donné, aucun pays ne doit assurer à lui seul plus de 65% des approvisionnements européens.
En attendant, les constructeurs automobiles du Vieux continent ont pris les devants et mènent leurs propres négociations pour sécuriser leurs approvisionnements. Mercedes-Benz s'est ainsi rapprochée de Rainbow Rare Earths, une société britannique, afin de s'assurer une partie de la production de la future mine que la société souhaite ouvrir en Afrique du Sud. Elle compte y extraire des terres rares utilisées dans les véhicules électriques, les éoliennes, la défense et la robotique.
L'Inde, de son côté, entend désormais conserver ses terres rares pour sa propre industrie et a mis fin à un contrat bilatéral pour l'exportation de celles-ci vers le Japon. A Wall Street, dans ce contexte, les spécialistes du minage de minerais critiques ont la cote.
Des minerais essentiels à la plupart des industries
Les terres rares sont employées dans un grand nombre d'industries, de l'automobile aux semi-conducteurs, en passant par les voitures électriques, la santé (appareils IRM, certains médicaments contre le cancer) et les énergies renouvelables (éoliennes, panneaux solaires). Elles sont également indispensables à l'industrie de défense : systèmes de guidage de missiles, avions de chasse, radars, sous-marins nucléaires, drones de combat… autant d'éléments qui intègrent des terres rares dans leur chaîne de valeur. Une crise dans l'approvisionnement en terres rares constituerait donc une redite de la pénurie de semi-conducteurs qui a affecté plusieurs industries, en têtes desquelles l'automobile et l'électronique grand public, suite à la pandémie.
Tandis que l'appellation "terres rares" correspond à une classification géologique bien précise, celle de "minerais stratégiques" est à la fois plus vague et plus large : il s'agit simplement de minerais que les Etats considèrent comme importants et sur lesquels il peut exister des difficultés d'approvisionnement. Si les terres rares sont des minerais stratégiques, la réciproque n'est pas vraie. Le lithium et le cobalt, utilisés dans les batteries électriques, ne sont par exemple pas des terres rares, pas plus que le gallium, capital pour la fabrication des puces 5G.
Captation des ressources
Les terres rares sont en réalité relativement abondantes. Le qualificatif de rareté tient plutôt au fait que leur extraction est difficile et coûteuse, et que le procédé de raffinage, nécessaire pour les rendre exploitables par l'industrie, est très polluant. Peu de pays acceptent donc de le faire. Ainsi, 63% du cobalt utilisé dans le monde est miné dans un seul pays, le Congo. La Chine, de son côté, détient un quasi-monopole sur le raffinage des terres rares : on comprend que Xi Jinping ait ramené Trump à la table des négociations en ciblant ces dernières… d'autant que les entreprises américaines n'ont qu'entre deux et trois mois de réserves devant elles, selon le Critical Minerals Security Program du Center for Strategic and International Studies, un laboratoire d'idées américain. La production de lithium est quant à elle concentrée sur quelques pays : la Chine, l'Australie, le Chili, l'Argentine et le Brésil.
Dans une tribune parue sur Les Echos, Gaspard Koenig émettait récemment une hypothèse : s'il ne s'intéresse nullement à l'enjeu climatique, Donald Trump a en revanche conscience que nous vivons dans un monde aux ressources finies, et toute sa diplomatie est orientée vers la captation de ces ressources, dont les minerais critiques.
C'est le cas du soutien militaire à l'Ukraine, contre lequel Trump a obtenu un accord visant à mettre la main sur les terres rares de l'Ukraine (en particulier le manganèse, le titane et le graphite). Mais aussi des vues du président américain sur le Groenland, dont le sol est riche en minerais critiques. Ou encore du soutien des Etats-Unis à la République démocratique du Congo dans sa lutte contre les rebelles du M23, conditionnée à un accord sur les abondantes réserves de cobalt, cuivre et lithium dont dispose le pays africain. Et, désormais, de l'accord commercial trouvé avec la Chine. C'est pourquoi le président américain voit le commerce international comme un jeu à somme nulle plutôt que comme un cercle vertueux qui profite à tous les participants : dans un monde aux ressources finies, le gain d'un pays est forcément la perte de l'autre.
Entre la Chine et les Etats-Unis, qui ont bien compris l'enjeu stratégique majeur que constituaient les minerais critiques, l'Europe s'efforce de sécuriser ses approvisionnements sans renier ses engagements en faveur de la transition énergétique. Deux objectifs qui vont parfois difficilement de pair. En début de semaine, plusieurs groupes industriels ont ainsi alerté la Commission européenne sur une nouvelle régulation visant à renforcer les standards environnementaux sur l'industrie chimique, affirmant qu'elle mettait en danger les efforts parallèles de l'Europe pour investir dans le minage et le raffinage des minerais critiques.