Comment le business de la musique pourrait se jouer des algorithmes

Comment le business de la musique pourrait se jouer des algorithmes La musique de demain sera sociale ou ne sera pas. C'est la conviction d'entrepreneurs français, qui préfèrent le partage aux robots du streaming pour relancer l'industrie.

Ils monopolisent les rayons des magasins, les salles de concert voire les affiches des festivals, jusqu'à ne plus laisser le moindre espace aux petits nouveaux. Les artistes à succès écrasent de tout leur poids commercial l'industrie musicale, mais c'est sans compter sur la volonté d'entrepreneurs français, bien décidés à bousculer le marché.

Leur idée ? Libérer les mélomanes de l'emprise des algorithmes des plateformes d'écoute en ligne, qui choisissent pour eux les artistes ou morceaux susceptibles de leur plaire. Leur solution ? La curation sociale, c'est-à-dire laisser les passionnés se conseiller entre eux leurs futurs coups de cœur musicaux.

Raviver la flamme des adeptes du streaming et leur redonner le goût de l'inconnu, c'est notamment l'ambition de l'application française The Best Song. Son pari : reprendre le modèle des applications de rencontres.

"C'est une vraie tendance : les gens veulent composer leurs propres albums avec leurs découvertes"

Ici, pas de visages ni de profils, mais des chansons. Le principe est simple : une fois l'application téléchargée, pour l'instant gratuitement, et le compte créé, un premier titre apparaît au hasard. En balayant vers la droite de l'écran du smartphone, l'utilisateur indique l'aimer et l'enregistre automatiquement dans sa playlist personnelle. Vers la gauche, il l'envoie aux oubliettes. Et plus il "swipe", plus les recommandations s'adapte à ses goûts.

Car cela n'a pas échappé à Adrien Moret, co-fondateur de l'application, le futur de la musique passera par le sur-mesure : "C'est une vraie tendance : les gens veulent composer leurs propres albums avec leurs découvertes."

Pour offrir le catalogue le plus large, The Best Song est directement connectée aux principales plateformes d'écoute en ligne : Soundcloud, Spotify et Deezer. "Notre but est que les utilisateurs découvrent de nouveaux sons sur The Best Song avant d'aller les écouter sur les sites de streaming, où ils pourront par exemple accéder aux albums entiers", explique Adrien Moret. Ils ont donc tout intérêt à ce que ce genre d'initiative se développe.

D'autant que l'application apporte une réelle plus-value en permettant de partager ses playlists personnalisées avec des utilisateurs aux goûts similaires. Plus un titre est apprécié, plus il grimpera au classement dressé par l'application.

"La curation robotique n'est pas satisfaisante. Elle ne met en avant que les artistes connus et populaires"

Et selon Adrien Moret, il y a une envie grandissante d'aborder autrement la musique loin des services de streaming traditionnels où les algorithmes mènent la danse : "La curation robotique n'est pas satisfaisante. Elle ne met en avant que les artistes connus et populaires. La curation sociale permet de s'ouvrir à de nouveaux artistes."

Un engouement également observé par Gwenhael Louise, fondateur de Louise, une application qui permet d'écouter de manière simultanée et géolocalisée la musique d'autres utilisateurs, et éventuellement interagir avec eux : "Dès son lancement en janvier 2015, Louise s'est retrouvée 16e de l'AppStore et même 3e de la catégorie musique sans que nous n'ayons besoin de communiquer."

Et avec déjà 650 000 utilisateurs actifs, selon Gwenhael Louise, son application n'a pas tardé à trouver son public : "Notre application répond à un manque d'interaction sur la musique. Il y a une réelle attente."

Résultat : dans le top 10 des titres préférés des 80 000 utilisateurs de The Best Song, seuls deux sont interprétés par des stars confirmées, Kanye West et Christine and The Queens.

"Ce système met tous les artistes sur un pied d'égalité : les suggestions ne sont pas basées sur leur puissance commerciale mais sur les choix de passionnés. Cela enlève toute suspicion de publicité", explique Adrien Moret.

"La curation sociale met tous les artistes sur un pied d'égalité : les suggestions ne sont pas basées sur leur puissance commerciale mais sur les choix de passionnés"

Cet ancien planneur stratégique, qui a tout quitté en 2014 pour se lancer dans le projet, met un point d'honneur à offrir le choix le plus large possible : "N'importe qui peut mettre sa chanson sur The Best Song et seul le public décide ou non de la placer parmi les meilleures des classements ", affirme-t-il.

Et selon lui, tout le monde aurait à y gagner, même les labels : "Nos données les intéressent beaucoup car ils peuvent savoir quelles chansons de quels artistes ont du succès et ainsi tester des singles avant de les intégrer ou non dans un album, par exemple."

Cette socialisation numérique de la musique aurait même de quoi relancer toute l'industrie musicale, selon Pierre Gochgarian, co-créateur de Prizm. Son lecteur intelligent, connectable à n'importe quelles enceintes et uniquement utilisable avec les plateformes de streaming, est capable de diffuser de la musique adaptée à son environnement, comme du Mozart au réveil et du Daft Punk en soirée, par exemple.

Il dispose aussi de deux boutons, une croix et un cœur, qui lui permettent de prendre en compte l'avis des invités sur chaque titre et ainsi d'adapter ses playlists en fonction des goûts de chacun.

"L'usage du streaming est aujourd'hui très individuel. Avec Prizm, nous nous basons sur le contexte et les personnes présentes dans la pièce pour créer de l'échange et engendrer de nouvelles découvertes", explique Pierre Gochgarian.

Un renouveau bienvenu pour l'industrie musicale : "C'est un vrai virage dans le business de la musique car cela permet de la faire entrer dans le quotidien des gens", affirme le jeune entrepreneur.

Le lecteur intelligent Prizm élabore des playlists en fonction des goûts des personnes présentes autour d'elle

"Les essais qui ont été réalisés auprès de quelques foyers tests nous ont montré que les utilisateurs de Prizm écoutent énormément plus de musique. Un des membres de notre équipe, par exemple, était abonné à Spotify mais il était las d'écouter toujours les mêmes artistes. Depuis qu'il a l'enceinte, il découvre une cinquantaine de titres par mois", se réjouit Pierre Gochgarian.

Si Prizm n'est pour l'instant disponible qu'en pré-commande, Amazon et Best Buy, pour les Etats-Unis, et la Fnac en France, le distribueront dans les prochains mois.

Entre l'investissement récent de Twitter dans le casque connecté Muzik et l'ambition visiblement sans limite de ces entrepreneurs, le marché de la musique a de quoi trouver un nouveau souffle.

"Les opportunités existent, il faut maintenant les saisir. Pourquoi ne pas créer une platine vinyle interactive, par exemple, où la musique lue serait partagée en ligne en temps réel ? Je suis même étonné qu'Apple n'ait jamais pensé à cela", s'étonne Gwenhael Louise. A bon entendeur…