Faillite d'un pays : le cas d'école de l'Argentine

Faillite d'un pays : le cas d'école de l'Argentine En 2002, l'Argentine entérinait le plus grand défaut de paiement de l'histoire vis-à-vis de créanciers privés. Retour sur le déroulement des faits et leurs conséquences.

En 2002, l'Argentine décidait de ne pas honorer 95 milliards de dollars de sa dette. Dix ans après, force est de constater que l'Argentine se porte plutôt bien. Sa situation est quasi normalisée sur le plan de la dette et la croissance est plus que jamais dynamique.

 

Les prémices de la crise

En 1991, l'Argentine décide de caler le cours de sa monnaie, le peso, sur le dollar. Une manœuvre efficace certes pour stopper une inflation galopante mais qui conduit à une "dollarisation" du pays et à une hausse des importations, leur coût étant réduit grâce à la nouvelle parité. A la fin des années 1990, 90% de la dette argentine est libellée en devises étrangères, principalement en dollars. L'Argentine souffre aussi de maux structurels tels qu'un système bancaire sous-développé (et donc une forte dépendance aux marchés financiers), ou des tensions politiques récurrentes.

En 1999, la brusque dévaluation du real brésilien et la montée constante du dollar provoquent un blocage des exportations, désormais moins compétitives. Le pays entre en récession et le taux de chômage progresse de 3 points en quelques mois. Fin 2001, la charge de la dette représente un cinquième des dépenses de l'Etat.

 

La faillite

Entre 1998 et 2001, pas moins de sept plans d'austérité vont se succéder, sur demande du FMI, qui apporte des fonds au pays : coupes dans les aides sociales, baisse des salaires... Une potion amère qui ne fait qu'empirer la situation : les ménages réduisent leur consommation et la croissance se bloque. Le 1er décembre 2001, alors que les Argentins se précipitent dans leurs banques pour retirer leur argent (8 milliards de dollars sont retirés en quelques jours), le gouvernement impose une limite de retrait de 250 dollars par personne et par semaine.

Les 9 et 10 décembre 2001, la crise dégénère : des émeutes violentes et des pillages font 39 morts à Buenos Aires. Le pays change 5 fois de président en quelques jours et sombre dans "l'enfer", comme le dira lui-même le président Nestor Kirchner au pouvoir à partir de 2003. Le 6 janvier 2002, le président Duhalde se résout à mettre fin à la parité peso-dollar et instaure un double taux de change : l'un officiel à 1,40 peso pour 1 dollar et l'autre libre.

Mais la crise s'aggrave encore : la production industrielle et la consommation s'effondrent, les rentrées fiscales fondent, l'inflation s'envole. Le 22 septembre, au bout du rouleau, le gouvernement annonce un plan de restructuration qui équivaudra une fois réalisée à une réduction de 75% du stock de sa dette et le non-remboursement des emprunts d'Etat contractés par des milliers d'épargnants étrangers.

 

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En 2002, le PIB argentin a chuté de 10,9% ; une récession catastrophique. © JDN

La purge sociale

En 2002, le PIB argentin dégringole de 10,9%. 57% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage dépasse les 20%. En un an, la dette publique passe de 63% à 135% du PIB. On voit apparaître dans les rues des "piqueteros", des pauvres et des chômeurs qui coupent les routes pour exiger du travail et du pain. Les Argentins doivent renoncer aux produits américains dont ils raffolaient en raison du coût exorbitant des biens importés.

 

Les négociations sur la dette

Plusieurs cycles de négociations seront nécessaires pour acter le défaut de paiement, en 2005 et en 2010. La dette publique argentine est en effet composée de 152 obligations distinctes, émises en 14 monnaies différentes et répondant à 8 législations. Tout en refusant de relever son offre vis-à-vis des créanciers privés, l'Argentine accepte en mars 2004 de payer l'échéance de 3,1 milliards de dollars qu'elle doit au FMI, évitant au pays d'entrer en défaut de paiement vis-à-vis de l'institution.

Le 25 février 2005, 76% des détenteurs d'obligations (essentiellement des petits épargnants) finissent par accepter d'être remboursés à un taux très faible (0,32 dollars pour 1 dollar prêté). Les banques, elles, ont limité la casse en transférant leurs avoirs avant la dépréciation massive des titres de dette. C'est en tous cas une victoire politique pour le président Nestor Kirchner et surtout pour son ministre de l'Economie Roberto Lavagna.

 

La relance de la croissance

Après avoir touché le fond, l'économie argentine repart très vite et de manière vigoureuse : 8,9% de croissance en 2003 et 9% en 2004. Le gouvernement prend alors le contrepied de toutes les politiques préconisées par le FMI : multiplication des aides sociales, relance des dépenses publiques... La dévaluation du peso lui permet de relancer ses exportations et de privilégier sa propre production.

L'Argentine a durant cette période bénéficié d'un contexte favorable, comme le boom des prix du soja (+150% entre 2003 et 2011), qui représente un quart de ses exportations en valeur, et le dynamisme du Brésil, son voisin direct.

 

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Le boom des prix du soja, qui représente un quart des exportations de l'Argentine, a largement favorisé la reprise économique. © gburba - Fotolia.com

Une crise qui a laissé des traces

Des années de crise, le pays garde une profonde aversion envers le FMI. Depuis qu'il lui a totalement remboursé sa dette (9,5 milliards de dollars) en 2006, il refuse que l'institution vienne mettre le nez dans ses comptes. Certains créanciers récalcitrants, dont le Club de Paris, mènent aujourd'hui encore une bataille judiciaire pour récupérer leurs titres, ce qui empêche l'Argentine de revenir sur les marchés financiers internationaux. Aujourd'hui, l'excédent commercial est donc la seule manière de générer des devises pour l'Argentine... avec la création de monnaie, ce qui est très risqué car générateur d'inflation. Mais ce dernier obstacle est en train d'être lui aussi levé : le Club de Paris a fini par accepter de négocier avec l'Argentine sans intervention du FMI, la condition étant jusqu'ici jugée indispensable.

L'Argentine peine également à restaurer une crédibilité économique. Les observateurs s'accordent à dire que les chiffres officiels de l'inflation et du chômage sont sous-évalués. Les grandes entreprises, comme Suez ou EDF, qui s'étaient précipitées pour y investir lors de la vague de privatisation des années 1990, ont presque tout perdu lors de la crise. De quoi refroidir les ardeurs des nouveaux investisseurs... même si ces derniers sont à nouveau alléchés par les taux de croissance impressionnants du pays.

Aujourd'hui, 10 millions de personnes vivraient encore sous le seuil de pauvreté, selon une étude de l'université catholique de Buenos Aires. La corruption et le travail au noir sont monnaie courante. Et les Argentins eux-mêmes restent méfiants vis-à-vis de leur devise : à chaque soubresaut politique, les plus aisés s'empressent de placer leur bas de laine à l'étranger. Sur les quatre dernières années, les économistes évaluent à près de 70 milliards de dollars la fuite de capitaux hors du pays.