Télémédecine : la crise comme accélérateur du changement 

Depuis le 17 mars 2020 à 12h, la France est officiellement entrée en crise sanitaire. Conséquence immédiate : l'accélération du changement vers une société plus connectée, malgré les réticences passées.

Alors que la France n’a plus le choix, elle est contrainte de basculer vers plus de digitalisation dans de nombreux secteurs et notamment celui de la santé. La télémédecine était avant tout un palliatif pour lutter contre les déserts médicaux français, elle est aujourd’hui une solution pour désengorger les hôpitaux et limiter l’expansion du virus.

C’est en 1989 que se déroula la première téléconsultation entre le CHU de Toulouse et le centre hospitalier de Rodez. Depuis, plusieurs textes législatifs sont venus encadrer la télémédecine en France. Un décret du 19 octobre 2010 définit les actes de télémédecine comme des actes médicaux, actuellement au nombre de 5 : la téléconsultation, la télé expertise, la télésurveillance, la téléassistance médicale et la régulation médicale.

Depuis ce décret, les limites à la télémédecine ont persisté durant 10 années. Malgré le frein technologique levé, les institutions, les modèles économiques mais aussi la culture ralentissaient considérablement l’adoption de cette innovation. En effet, alors que le besoin existait, le marché de la télémédecine ne décollait pas en France.

Les freins d’avant crise à la démocratisation de la télémédecine

Un des premiers freins était la réticence à l’adoption de l’innovation par les Français. Dans le cadre d’un lancement de service, comme c’est le cas pour la télémédecine, l’approche systémique est primordiale. Le modèle économique doit évoluer, pour que les professionnels s’adaptent et que finalement la culture soit bousculée.

Parlons donc dans un premier temps du modèle économique français. Celui-ci, toujours en faveur des consultations physiques, ne s’adaptait pas à la télémédecine. Récemment, pourtant, un premier pas avait été partiellement franchi. En effet, en novembre 2018, les téléconsultations sont remboursées par la sécurité sociale, pour autant, le nombre de consultations n’explosait pas. Après un premier bilan annuel en novembre 2019, et alors que le gouvernement prévoyait 500 000 consultations en 2019, l’Assurance Maladie n’en estimait que 60 000 selon un dossier de presse. Il faut dire que le remboursement s’inscrit uniquement dans un parcours de soins précis.

Ce manque d’engouement s’expliquait également lorsque l’on se tourne vers les professionnels de la santé eux-mêmes. Que ce soit les médecins, les pharmaciens ou les mutuelles, ils voyaient depuis longtemps émerger ces pratiques digitales mais ils n’arrivaient pas à s’y résoudre, à se projeter. Ainsi, la communication sur la possibilité de pratiquer la télémédecine était limitée envers les patients. Ces professionnels manquaient d’informations à ce sujet, notamment sur le caractère juridique, et parfois pas suffisamment équipés, ils étaient frileux à pratiquer la télémédecine malgré les avantages qu’ils ne niaient pas. Les patients, quant à eux, étaient pour la plupart méfiants, voyant notamment leur médecin peu enclin à cette pratique. Ainsi, ils résistaient au changement.

Le déclencheur du changement : la crise

Le décret du 9 mars d'Olivier Véran, Ministre de la Santé, a assoupli, pour la période de l'épidémie du Covid-19, les règles de la télémédecine. Ainsi, le cadre juridique a évolué et favorise désormais la téléconsultation, ce qui permet à toutes les ressources médicales de participer à l'effort de soin durant la crise sanitaire.

Depuis l’annonce officielle de la crise et de ses conséquences, la communication autour de la télémédecine a radicalement changé. En effet, alors que le cadre juridique est fixé, les mutuelles communiquent davantage sur la téléconsultation auprès de la population. Les plateformes de prise de rendez-vous en ligne, telles que Doctolib ou Allo Docteur, recommandent et incitent à la téléconsultation via des campagnes de communication auprès des utilisateurs. Les médecins, eux, s’équipent davantage pour s’adapter à ces nouvelles pratiques.

Les comportements ont eux aussi changé, que ce soit du côté des professionnels de santé ou celui des patients. Les pharmacies acceptent désormais plus facilement des prescriptions électroniques (et non plus uniquement manuscrites). Du côté des patients, cela leur permet de diminuer avant tout les risques de contagion. De plus, le remboursement est désormais effectif comme s’il s’agissait d’une consultation physique.

Cette crise permet d’éprouver enfin les plateformes de téléconsultation et d’en améliorer et le fonctionnement. Des services supplémentaires sont désormais disponibles pour les patients et les médecins, tels que la mise en ligne d’un arrêt de travail.

L’émergence d’autres changements "grâce" à la crise

La télémédecine n’est pas le seul changement qui a su s’imposer grâce à la crise : les professeurs et leurs élèves ont découvert dans l’urgence les cours en ligne ; les entreprises ont également dû s’adapter dans la précipitation, pour la plupart, mettant finalement en place le télétravail. Nombreux sont ceux qui ont vu un proche réaliser pour la première fois une réunion en ligne et dire "ça fonctionne là, vous m’entendez ?".

La crise est un réel déclencheur à l’adoption d’une innovation, mais généralement cela se fait dans l’urgence pour répondre rapidement à cette situation particulière. Alors, que se passe-t-il  après la crise ? Il semble que le retour en arrière soit difficile, notamment une fois le changement éprouvé, le fait d’avoir expérimenté la téléconsultation permet aux patients et aux professionnels d’évaluer concrètement la valeur ajoutée d’un tel service face aux craintes avant son utilisation, changeant profondément et durablement les comportements de chacun. Et ce changement qui était avant tout freiné par craintes deviendra tout à coup une routine sans même que l’on ne s’en aperçoive.