John Kwant (Ford) "Nous sommes en train de sortir d'un business model centenaire"

Le vice-président de Ford Smart Mobility revient sur ses efforts pour développer un véhicule autonome et de nouveaux services pour s'imposer dans les villes.

JDN. Vous avez conclu un partenariat avec Lyft, qui prépare une plateforme ouverte intégrant les véhicules autonomes conçus par d'autres entreprises à son service VTC. Avez-vous renoncé à développer votre propre service de véhicules autonomes à la demande ?

John Kwant est vice-président de Ford Smart Mobility, en charge des solutions pour la ville. © Ford

John Kwant (Ford). Nous ne nous fermons aucune porte pour l'instant. Nous voulons transporter des personnes mais aussi de la nourriture et des biens, car le marché de la livraison est énorme. Cela nécessitera des partenariats et des collaborations avec des experts de ces domaines : Lyft pour les personnes et par exemple Dominos, avec qui nous testons la livraison de pizzas par véhicule autonome, pour la nourriture. D'autres partenaires nous rejoindront au fur et à mesure.

Ford propose des services qui n'incitent pas à la possession de son propre véhicule, comme le covoiturage courte distance (Chariot), l'auto-partage et les vélos partagés. Avez-vous acté la fin du véhicule personnel en ville ?

La possession d'un véhicule a déjà commencé à baisser et cela va probablement continuer. Tout le monde ne peut pas continuer à posséder et conduire un véhicule en ville, car les elles ne cessent de croître. Imaginez la congestion totale si tout le monde avait une voiture dans une ville comme Londres. Pour que les villes puissent continuer à grandir, nous pensons qu'il faut augmenter la capacité de transport des véhicules. L'un des moyens d'y parvenir est d'augmenter l'usage partagé. Et comme nous construisons ces véhicules à partager, par exemple les vans de notre service de covoiturage Chariot, notre business de constructeur continuera d'exister.

"Tout le monde ne peut pas continuer à posséder et conduire un véhicule en ville."

Chariot va-t-il se transformer à terme en covoiturage sans chauffeur ?

Je ne pense pas. Il faut déjà habituer le public aux transports partagés. Le second enjeu sera la connectivité : les véhicules doivent être connectés entre eux, mais aussi à une infrastructure qu'une collectivité peut aider à gérer pour organiser la rencontre de l'offre et de la demande. Il faut travailler avec les municipalités, car on voit bien ce qu'il se passe lorsque l'on ne collabore pas avec elles (Uber s'est vu retirer sa licence d'exploitation à Londres le 22 septembre, ndlr). Si nous pouvons leur montrer que nous aidons à régler les problèmes de congestion, elles peuvent nous aider à réaliser nos projets. 

On dirait que vous tentez de contrôler toute la chaîne de valeur des mobilités : vous produisez des véhicules, auxquels vous intégrez vos technologies de conduite autonome, avant de les proposer sous forme de services…

C'est une énorme chaîne de valeur, nous ne pourrons pas y arriver seuls. Nous devons collaborer avec des partenaires industriels, les villes, des start-up dans lesquelles nous avons investi ou pas. Nous devons en effet gagner de l'argent en tirant profit de nouvelles parties de la chaîne de valeurs. Ford est en train de sortir d'un business model centenaire basé sur les produits et la possession. Désormais, nous devons nous demander comment adapter nos produits à un modèle de service et d'usage.

Où en êtes-vous dans le développement de vos véhicules autonomes ?

Nous nous attendons à être capables de déployer des services de véhicules à la demande et de livraisons autonomes de niveau 4 (haute autonomie, mais pas encore l'autonomie totale de niveau 5, ndlr) en 2021. Un véhicule autonome de niveau 4 peut rouler sans humain à bord dans une zone de geofencing cartographiée en haute définition.

Ford a investi dans deux start-up de la Silicon Valley et dans Argo AI, fondée par deux anciens de Google et Uber, noué des partenariats avec deux autres et ouvert un centre de R&D à Palo Alto. Est-ce qu'il faut devenir un peu comme la Silicon Valley pour la battre dans la course à la voiture autonome ?

Detroit et la Silicon Valley ont des compétences et une expérience qui doivent être réunies. Nous voulons créer une passerelle entre Motor City et la Silicon Valley, même si nous serons en concurrence dans certains domaines. Il y a des éléments de culture d'entreprise que nous voulons importer, comme la prise de décision plus rapide et les projets collaboratifs. Mais il n'y a pas que la Silicon Valley, il faut se nourrir de l'innovation qui vient de nombreux endroits. Nous avons par exemple ouvert des bureaux dédiés à la mobilité à Londres, où nous travaillons avec de plus en plus de jeunes pousses. Nous avons beaucoup à apprendre d'elles.