L’avenir de l’Europe se conjugue au numérique

Alors que la campagne pour les élections européennes est finie, beaucoup pourront regretter l’absence du numérique et de ses enjeux dans les projets proposés.

Un an après la mise en place d’un texte européen fondateur comme le RGPD. on aurait pu penser le sujet durablement installé. Pourtant peu, voire pas de mention du numérique européen dans les débats. Une question pourtant éminemment centrale à l’ère des GAFA. Une brèche semble avoir été ouverte avec la proposition de loi sur la taxation des géants du numérique, mais elle ne recueille pas l’ensemble des suffrages pour le moment. Face aux géants chinois et américains, quelle est la place de l’Europe ? Comment peut-elle asseoir sa différence et conquérir de nouvelles parts de marché ?

L’Europe du numérique, utopie ou réalité ?

Il est difficile de parler d’Europe du numérique à proprement parler, pour la simple est bonne raison qu’elle n’existe pas dans les faits. Les grands acteurs du monde du numérique qui ont réussi à émerger sont américains, chinois et indiens. Ils ont bâti leur légitimité sur un marché domestique local colossal qui leur a permis d’être ce qu’ils sont aujourd’hui. Le principal handicap de l’Europe est la dispersion des pouvoirs et des capacités d’investissements des marchés locaux qui ne permettent pas d’atteindre une taille critique. Là où les USA et la Chine ont su rendre leurs marchés flexibles pour s’ouvrir vers l’extérieur et conquérir de nouvelles parts de marché, les contraintes protectionnistes européennes ont empêché le développement.

Dans un contexte de mondialisation, l’Europe ne peut pas et ne doit pas se refermer sur elle-même. La question des données est par exemple centrale. Le RGPD est un premier élan important. Mais associer cette loi à chaque pays et ses spécificités est un contre-sens. Parler d’Europe du numérique, c’est avoir une approche universelle pour libérer les données et les énergies. Cette question des données est importante à plus d’un titre car elle sous-entend également la question de la mobilité. Aujourd’hui les millenials ont un système de valeurs complètement différent de celui de leurs aïeux. 

L’Europe et les entreprises qui la composent, doivent s’interroger sur comment attirer ces nouveaux talents et surtout les garder durablement. Citoyens du monde par excellence, ils n’ont pas de port d’attache et ne comprendraient pas, alors qu’ils sont en mesure de circuler librement, la contrainte dans l’utilisation des données. Le partage des données dans un contexte contrôlé correspond aux attentes des nouvelles générations. Il est vital pour l’Europe de ne pas passer à côté sous peine de rester derrière les USA et la Chine.

Quelle place pour la France ?

Si les citoyens ont du mal à constater et mesurer l’impact du numérique et des avantages offerts par l’Europe dans leur vie quotidienne, ils sont pourtant nombreux : connexion du territoire à la fibre, couverture 5G… Il y a là une véritable course aux enjeux pour améliorer la vie des citoyens. Mais de vraies disparités existent en Europe car il manque une vision fondamentalement globale du numérique.

Là où les pays de l’Est ont su se transformer et investir massivement, la France accuse un vrai retard notamment à cause de l’étendue de son territoire comparé à l’Estonie par exemple, pays aujourd’hui ultra-connecté. Les capacités d’investissement du gouvernement français actuel dans les nouvelles technologies restent à confirmer avec des budgets contraints par la pression fiscale, la dette… Les politiques ont raté une occasion unique il y a 10 ans et les chantiers sont aujourd’hui tellement colossaux qu’il est difficile de s’y attaquer. Une fois de plus des contraintes passées viennent contrevenir au futur.

Mais la peur du changement n’est pas du seul fait politique, elle est historique et culturelle. Quand, pour rattraper son retard en matière de fiscalité par exemple, la France a fait le choix du prélèvement de l’impôt à la source, les levées de boucliers ont été nombreuses. Non pas dans un esprit collectif. Mais bien pour des raisonnements personnels. C’est cette attitude de repli sur soi qui prime malheureusement aujourd’hui alors que faire le choix du collectif et de la collaboration, c’est aller dans le sens de l’histoire.

Collaborer pour réussir ?

Pour résister face à la concurrence, l’Europe doit s’ouvrir sur l’extérieur mais aussi sur elle-même. C’est en son sein que doivent naitre les géants de demain. C’est ce manque de géants numériques industriels européens qui fait défaut. La collaboration doit être transfrontalière et passer obligatoirement par les politiques et les gouvernements. Sans ce soutien, difficile de voir des Airbus du numérique émerger. Mutualiser Deutsche Telecom et Orange, qui ont la taille critique en local pour se compléter, pourrait être le genre d’opportunité à imaginer pour l’Europe de demain.

Sur la question du cloud par exemple, vouloir soutenir des initiatives souveraines n’apporte absolument aucun avantage. La France s’y étant par exemple déjà cassé les dents. Aujourd’hui tous les grands acteurs du cloud ouvrent des data centers dans tous les pays d’Europe pour être compatible avec les législateurs locaux. Si demain, l’Europe peut créer un fournisseur cloud avec des normes européennes de protection des données, elle sera en mesure de rivaliser avec les plus grands. Il est donc vital d’encourager les initiatives de collaboration au sein même de l’Union.

L’Europe a en son sein des fleurons de l’industrie mondiale, des acteurs majeurs qui auraient tout à gagner à collaborer plus intelligemment. Il s’y crée chaque année plus de startups qu’aux USA ou en Asie et c’est en France, à la Station F, que l’on trouve la plus grosse pépinière du monde. Le plan d’investissement de l’Union Européenne de 10 milliards d’euros d’investissements entre 2021 et 2027 pour un marché unique du numérique, doit être le catalyseur qui saura concrétiser les idées et soutenir les startups afin d’éviter qu’elle ne se délocalise dans la Silicon Valley. Sans réponse politique, ni collaboration il ne pourra pas y avoir d’Europe du numérique.