Identité numérique : concilier la prudence et l'innovation

Depuis la création de l'état civil en France, l'établissement, la gestion et la sécurisation de l'identité de ses citoyens est une prérogative régalienne.

C’est dans cette perspective que l’Etat français a amorcé depuis plusieurs années la modernisation de la carte d’identité nationale de ses ressortissants qui arrive aujourd’hui petit à petit dans nos portefeuilles.

En effet, être muni de systèmes d'identification stables est essentiel pour les gouvernements à plusieurs égards. L'identification officielle est nécessaire au développement social, économique et politique des Nations. Elle l’est aussi pour les populations, en leur permettant l’accès aux droits et aux services fondamentaux (éducation, emploi, vote, justice, propriété etc.), entrant ainsi dans le cadre de l’objectif 16 des Objectifs de développement durable de l’ONU. C’est aussi une priorité dans une tendance accrue au contrôle des flux migratoires internationaux et une mesure indispensable dans un monde hyperconnecté où les transactions sont désormais dématérialisées et doivent être authentifiées.

Prudence, prudence…

Afin de combler le “fossé identitaire” existant – rappelons qu’à l’échelle mondiale, selon l’ONU, un quart des enfants de moins de cinq ans n’ont jamais été enregistrés à la naissance, la tendance est à l’usage des nouvelles technologies, dont la biométrisation des identités qui a pour but de renforcer l’authenticité des documents d’identification. Avec la biométrie, les données enregistrées sont gages de haut niveau de sécurité et de fiabilité. La biométrie ouvre également un large champ de nouvelles fonctionnalités.

Cependant, et comme l’ont montré les nombreux débats autour de la nouvelle carte d’identité à l’Assemblée nationale - c’est un sujet qui s’apprivoise sur le long terme et avec prudence tellement il traite de grands enjeux tels que l’éthique, l’inclusion, la protection des droits, la sécurité et la confiance en les institutions. Au-delà des débats des parlementaires, la CNIL vient en France sécuriser le cadre, ayant adressé à plusieurs reprises des recommandations au gouvernement pour une gestion des données biométriques respectueuse du citoyen. Le débat autour du temps de conservation de ces données a notamment été vif. Clairement, avec la dématérialisation accélérée des formalités administratives et la croissance des outils numériques de démocratie participative, la gestion et la redéfinition de l’identité des citoyens sont de nouveau questionnées.

De plus, ces nouveaux documents d’identité peuvent parfois devenir source d’inquiétudes, en raison du caractère technique du sujet et de la gestion des informations personnelles d’identité. En conséquence, le rôle de l’Etat est également d’informer et de rassurer ses ressortissants, à la fois de la sécurité de ces nouveaux documents d’identités et de ses nouveaux usages numériques. Une véritable campagne de sensibilisation serait d’ailleurs sûrement bénéfique pour une meilleure compréhension de ce nouvel objet que posséderont bientôt tous les citoyens français.

…mais pas trop !

Certes, c’est un pas de géant que réalise l’Etat français en adoptant cette nouvelle carte d’identité biométrique, obligatoire à partir de 2031. La France suit enfin l’exemple de ses voisins européens (en Belgique, la carte électronique existe depuis 17 ans, au Portugal depuis 2007), en permettant à sa carte d'identité de retrouver sa valeur originelle reconnue à l’international.

Mais au-delà de la nouvelle carte en tant que telle, le développement des solutions d’identité biométriques permet de s’ouvrir à de nouvelles fonctionnalités et opérations. Déjà adoptée par la population belge pour se rendre à la pharmacie, louer un bien ou immatriculer sa voiture, la nouvelle carte d’identité française pourrait rendre accessibles de nombreux services comme l’inscription sur les listes électorales, les demandes d’aides sociales, la téléconsultation médicale etc. Ce progrès pourrait également concerner le secteur privé, comme l’ouverture d’un compte en banque, le suivi de ses assurances, une demande de crédit, comme c’est le cas pour la population monégasque qui peut depuis l’été 2021 utiliser sa nouvelle carte d’identité pour accéder non seulement à de nombreux services publics mais aussi à des services privés comme l’opérateur téléphonique ou la compagnie d’électricité de la Principauté.

A l’image des nouvelles fonctionnalités de la carte bancaire – comme le paiement sans contact qui a connu une accélération fulgurante pendant la crise sanitaire parce que les utilisateurs ont compris qu’ils en tiraient un bénéfice direct, à savoir la possibilité de ne pas toucher un terminal de paiement - le contexte sociétal assorti d’éducation, d’information et de démocratisation des nouveaux usages de la carte nationale d’identité sont des facteurs essentiels à son adoption par la population. Il paraît ainsi crucial de proposer rapidement des bénéfices directs sous forme de services supplémentaires. Or, ces derniers ne sont pas encore évoqués en France.

Il est aussi à noter qu’un décret autorisant la création d'un "moyen d'identification électronique" a été publié au Journal officiel le 26 avril dernier. Depuis mai 2022, une version bêta d’une application mobile développée par le gouvernement français rend possible de prouver son identité par l’intermédiaire de son téléphone portable. Ce moyen d’identification ne peut toutefois remplacer la carte physique puisque son objectif est principalement de générer un justificatif pour des services et organismes publics et privés en ligne.

Les nouvelles solutions d’identité technologiques, et plus largement ces nouvelles politiques d’identification des individus opposent prudence et innovation, perspectives de surveillance et celles de la reconnaissance. Bien que l’universalisation des droits humains par la technologie reste une illusion, l’accès à une identité pour certains, à de nouvelles fonctionnalités pour d’autres, sont des enjeux qu’il est urgent de considérer sans craindre la technologie.