Grandes manoeuvres dans les transports : UPS est à l'offensive et Sernam en plein désarroi
Le marché français du transport a été récemment marqué par deux événements majeurs : le redressement judiciaire de Sernam et les acquisitions menées par UPS coup sur coup : celle de Kiala et de TNT. Ces évènements ne reflètent-ils pas deux conceptions opposées ?
D’un côté une approche colbertiste et défensive, qui devrait aboutir au démantèlement de Sernam ; de l’autre, une approche pragmatique et offensive, qui va consolider la position d’UPS en France et témoigne qu’il est possible d’être en bonne santé financière dans le secteur du transport de nos jours.
Sernam : une disparition probable
Le redressement judiciaire de Sernam annoncé le 31 janvier 2012 marque un échec patent de la politique de soutien par l’Etat français
avant sa privatisation en 2005 : 642
millions d’euros de subvention versés entre 2001 à 2005, plus de deux fois le chiffre
d’affaires annuel de Sernam ! A quoi ont servi ces sommes ?
Difficile à dire, et c’est troublant. A rembourser des emprunts, à combler des
pertes ou à financer un plan de développement ? Peut-être les trois à la fois. Ce
qui semble certain c’est que ces
pratiques entretiennent inévitablement le concept très français d’Etat-providence.
Mais la surprise vient aussi de l’actionnaire, Butler Capital
Partners, dont on pensait qu’il sortirait la société par le haut. N’aurait-il pas sous-estimé
l’effet pervers d’une avance remboursable et disproportionnée ? Une telle
somme dissuade évidement tout repreneur. Seules des propositions de reprise hors
subventions sont viables. C’est d’ailleurs le sens de la proposition de reprise
de Geodis. Au bout du compte et c’est
sans doute ce qui va se produire si la Commission
européenne assouplit sa position, l’Etat va définitivement encaisser sa
perte alors qu’il aurait dû le faire il y a 10 ans.
Il y a un deuxième enseignement à cette disparition probable
de Sernam. L’incapacité pour certaines entreprises
de messagerie à s’adapter à la nouvelle donne sur le marché du colis. La
déferlante Internet a, depuis 10 ans, considérablement modifié les flux du
transport, mais surtout, a donné à tous ceux qui maitrisent les info-structures
un avantage compétitif extraordinaire sur ce marché. La livraison de colis
égrainée B to C, B to B se développe très
vite et la maîtrise de l’information, condition sine qua non à la qualité de service, devient de plus en plus
stratégique. Dès lors que le marché se rétracte, ce qui est le cas depuis un
an, la
dure loi naturelle prend le dessus : les acteurs le plus fragiles, ceux
qui sont les moins bien organisés pour maintenir leur part de marché,
disparaissent. Incriminer des prix trop bas, comme l’a souvent fait Sernam, n’est
pas une raison en soi mais une résultante qui traduit une position défensive.
UPS, une stratégie
conquérante face au groupe La Poste.
A l’inverse, l’acquisition de TNT par UPS reflète une
approche tournée vers l’extérieur et résolument offensive. UPS gagne et conserve ses clients par une organisation efficiente. Et
pour cela, l’intégrateur international allie des processus terrain efficaces à
un système d’information ultra performant, accompagnés d’une politique de prix compétitifs.
Résultat : UPS gagne des parts de marché et remplit son réseau de colis ;
son bénéfice en témoigne avec 3,8
milliards de dollars en 2011. En période de crise économique, cela lui donne un
avantage considérable sur ses concurrents. Fragilisée par une perte de 270
millions d’euros, TNT n’aura pas pu résister bien longtemps à son rachat. UPS
va renforcer son maillage du territoire et sa position sur le marché de la
livraison égrainés B to C, B to B et ainsi devenir le leader de l’express en France,
devant Chronopost du groupe La Poste.
De même, ce n’est pas
un hasard si UPS a acquis Kiala, qui possède une informatique robuste et fiable
de tout premier plan. Avec ce rachat, UPS confirme sa volonté de se
positionner sur le marché français face à La Poste, sur le B to C et le
e-commerce en pleine expansion.
Les deux réseaux de points de proximité nés du boom Internet
Pick-up Service et Kiala auront donc été en l’espace de 10 années absorbés l’un
par La Poste (2009) et l’autre par UPS (2012). Les deux autres réseaux, Mondial
Relay et Sogep/Relais Colis (30 ans d’âge), restent toujours indépendants… mais
jusqu’à quand ?
Pas de qualité de
service sans maîtrise de l’information (info-structure)
Les changements technologiques vont vite et la question de
la maitrise de l’information se pose de
plus en plus pour les transporteurs. On passe
progressivement de systèmes informatiques lourds, cloisonnés ou hétérogènes, à
des systèmes hébergés, intégrés, gratuits ou mutualisés. Aujourd’hui
la géolocalisation, la vidéo, les Web Services (API), le RFID, les
applications mobiles… sont autant d’avancées technologiques qui impactent toute
la chaine du transport. Or, nous savons qu’un bon pilotage des flux d’informations
détermine directement le pilotage des flux physiques et donc la qualité de
service.
Regardons de près une
prestation de transport : entre sa collecte et sa livraison, un colis passe
entre dix paires de mains différentes, est confié à 2 ou 3 transporteurs sous-traitants,
emprunte plusieurs tapis roulants en centres de tri, est flashé une dizaine de
fois, peut être entreposé momentanément dans 4 ou 5 lieux différents et enfin
prend 4 ou 5 véhicules différents avant d’être livré à son destinataire ; tout
cela en 24 ou 48 heures, de jour comme de nuit, et sous contraintes de délai, réglementaires ou douanières. Il suffit donc d’une défaillance, comme par exemple un oubli sur le quai de
chargement, une mauvaise circulation,
des intempéries, une personne absente, fatiguée ou peu précautionneuse, un
emballage négligé, une adresse erronée …
et la chaine logistique se rompt.
Au fond, le transport, c’est de l’horlogerie. Un seul grain
de sable et la chaine d’événements se trouve déstabilisée, au plus grand
mécontentement du client final.
Le transport exige l’excellence opérationnelle, socle
indispensable à la conquête de parts de marché par une politique de prix
compétitifs. UPS nous rappelle à quel
point, plus que jamais, il est important de maitriser l’info-structure, et nous démontre que politique tarifaire
agressive et rentabilité peuvent aller de pair dans le secteur du transport
aujourd’hui.