Yann Barbaux (Airbus) "Les robots collaboratifs pourraient être déployés d'ici 3 à 5 ans"

Le directeur de l'innovation d'Airbus détaille au JDN les projets sur lesquels l'avionneur planche.

Yann Barbaux pilote depuis plus d'un an la stratégie d'innovation chez Airbus. Au programme : usine du futur, motorisation électrique et partenariats avec des start-up qu'il compte bien séduire à l'Innovation Connecting Show.

barbaux yann airbus 2014
Yann Barbaux, directeur de l'innovation d'Airbus. © Airbus 2014

JDN. Quels sont les grands projets sur lesquels Airbus travaille aujourd'hui en matière d'innovation ?

Yann Barbaux. Il y a d'abord les projets liés à la réduction de l'empreinte environnementale et tout ce qui concerne la réduction de la consommation de carburant. Cela passe, par exemple, par de nouvelles motorisations, ou par le développement de l'electric taxiing : tant que l'avion est au sol, il n'est pas obligé d'utiliser les moteurs, donc si nous disposons de solutions électriques, c'est un levier pour réduire la consommation de carburant, les émissions de CO2 et également le bruit.

Autre axe important, celui de l'usine du futur. Comment utiliser la robotique et les TIC pour aller vers une usine sans papier et assurer une connexion fluide entre ce qui est développé, défini, au niveau du bureau d'études et ce qui est mis en œuvre dans l'usine ? C'est le lien entre la maquette numérique et les commandes numériques de machines, de robots... Il y a aussi tout un travail autour des robots collaboratifs, qui ne remplacent pas l'homme mais lui apportent un soutien et une aide.

"La certification de l'A350 est attendue dans quelques jours"

Justement, Airbus participe au programme européen Valeri. Une plateforme roulante, dotée d'un bras articulé, pourrait bientôt remplacer les ouvriers travaillant sur les tâches les plus pénibles. A quel horizon est-ce envisageable ?

Ce sont des choses qui sont actuellement testées dans certaines usines. Pour introduire ces technologies, il faut trouver les configurations et les business cases qui s'y prêtent. Nous pouvons imaginer qu'un déploiement assez important intervienne dans les usines d'ici 3 à 5 ans. L'idée est de décharger le compagnon des tâches pénibles, tenir des moyens de perçage par exemple, de façon à ce qu'il puisse se concentrer sur celles à valeur ajoutée, comme le contrôle de qualité. Nous sommes vraiment dans l'optique d'aider le compagnon et non dans celle de le remplacer. Les tâches qui peuvent être effectuées par les robots – il y a eu des choses de faites pour les assemblages de tronçon – sont relativement simples. Le travail intéressant, comme l'installation des systèmes, reste, compte tenu de la géométrie des avions, dans les mains des hommes.

Sur quels sites ces robots collaboratifs sont-ils en test ?

Nous avons des développements en Espagne – un projet qui s'appelle Futurassy, à Porto Real – ainsi qu'une plateforme développée dans le cadre de l'Institut de Recherche Technologique Jules Verne à Saint-Nazaire. Le cas est aussi à l'étude d'un point de vue business case à Broughton, en Angleterre, pour l'accès aux voilures, qui sont des zones qui sont très étroites, mais il n'y a pas encore d'expérimentation.

"L'effort de R&D est maintenu constant"

En février dernier, Les Echos écrivaient qu'Airbus prévoyait au cours des deux prochaines années de "réduire de 25 % son volume de R&D lié aux nouveaux programmes de développement externalisés auprès de sociétés d'ingénierie". Qu'en est-il ?

Je n'ai pas cet article en tête. L'effort de R&D est maintenu constant. Dans une société comme la nôtre, on ne peut pas se permettre de baisser la garde. Bien sûr, il y a des réorientations. Nous sortons d'une période durant laquelle nous avons développé trois gros programmes (A380, A400M, A350, NDLR), complètement nouveaux, en rupture par rapport à ce qui se faisait avant et qui nécessitaient des équipes très structurées pour mener à bien les développements dans un temps court. Maintenant que nous avons un portefeuille complet, avec la certification de l'A350 attendue dans quelques jours, nous poursuivons une stratégie d'amélioration permanente des produits. Cela ne veut pas dire que l'effort global de R&D diminue mais qu'il est reporté sur des sujets différents. C'est d'ailleurs ce qu'attendent de nous les compagnies aériennes : elles apprécient énormément l'A320 et l'A330 pour leur fiabilité et leur robustesse, mais ces avions méritent de recevoir des innovations, étant donné qu'un certain nombre d'éléments ont été conçus dans les années 1980 et 1990.

Depuis que vous avez pris vos fonctions chez Airbus, est-ce que vous avez déjà été contraint de stopper des travaux de recherche intéressants parce que trop chers et aux débouchés trop incertains ?

C'est le propre de la recherche. Dans la mesure où nous n'avons pas des ressources infinies, si nous voulons être efficaces, nous devons définir des priorités. Si nous voulons concentrer des ressources sur les sujets qui ont un impact fort et un bon niveau de faisabilité, il faut arrêter d'autres projets qui, eux, ont un impact plus limité et une probabilité de réussite plus faible.

Avez-vous des exemples ?

Je ne souhaite pas en donner. Je préfère communiquer sur ce que nous faisons plutôt que sur ce que nous arrêtons. Je sais que, pour l'innovation, il est important de communiquer aussi sur les abandons de projets ou les échecs – car on apprend toujours de ses échecs – mais nous n'avons pas encore réussi à intégrer la célébration de l'échec dans la culture d'entreprise. Je préfère donc m'abstenir plutôt que de risquer de blesser des personnes qui travaillent chez Airbus.

"Comac nous a rendu service : la compétition réveille les endormis"

Comment faites-vous pour innover à un rythme soutenu, ce que vous impose l'apparition continue de nouvelles technologies, alors que les temps de développement et de production dans l'aéronautique sont généralement longs ?

Il faut savoir se focaliser sur un petit nombre d'idées car en dispersant les ressources, on avance plus lentement. Il faut donc rapidement sélectionner celles qui présentent un intérêt en termes de faisabilité et d'impact sur notre business et accompagner les créateurs. Il faut également favoriser l'engagement des collaborateurs sur des projets personnels, en phase avec les objectifs de l'entreprise. Et être capable de capter les innovations développées dans d'autres secteurs industriels, en particulier par des petites entreprises, voire des start-up. C'est d'ailleurs une des raisons principales de notre présence à l'Innovation Connecting Show : nous voulons faire savoir que nous sommes en mesure de sécuriser la relation dissymétrique qui nous unit à ces petites entreprises. Il faut les rassurer face au "monstre" qu'est Airbus, avec ses 55 000 collaborateurs, en protégeant leurs intérêts, de sorte à vivre une histoire gagnant-gagnant jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à l'implémentation des technologies sur nos appareils. Nous nous inscrivons dans une démarche d'accompagnement de partenariat qui peut, à un moment donné, inclure la possibilité de mettre de l'argent au capital de l'entreprise, sans toutefois chercher à être majoritaire. Car le but du jeu n'est pas d'acquérir l'entreprise, mais bien de sécuriser la relation.

Actuellement, vous avez des projets de prise de participation ?

Pour l'instant, la question ne s'est pas posée. Cela fait simplement partie de l'éventail de possibilités qui s'offrent à nous. Pour l'heure, nous sommes sur des modèles de partenariats classiques, avec financement d'études sur la durée nécessaire au développement de la technologie. D'autres solutions existent : nous pouvons aussi orienter des investisseurs que nous connaissons vers une entreprise innovante.

"Il faut être capable de capter les innovations développées dans d'autres secteurs industriels, en particulier par des petites entreprises"

Quelles sont les entreprises qui vous inspirent en matière de politique d'innovation ?

Nous réalisons des benchmarks assez régulièrement sur des sujets précis. Nous en avons en cours sur la manière dont les entreprises accompagnent un changement de culture vers plus d'entreprenariat, à travers la politique de ressources humaines et la communication. Une société comme Poult, qui fabrique des gâteaux à Montauban, étonne par son approche RH de l'innovation. Elle a supprimé des bonus individuels pour créer des bonus collectifs afin de favoriser le travail en équipe. Je ne dis pas que c'est ce qu'il faut faire, mais c'est un sujet de réflexion intéressant. Il y a des choses assez intéressantes à récupérer et pas uniquement auprès des gros calibres comme Google, Apple et autres. Dans le domaine de l'automobile, Renault fait des choses intéressantes pour monter des équipes qui sont capables de développer rapidement un nouveau concept. Il y a aussi BMW, en Allemagne, et son compatriote SAP [un éditeur de logiciels, NDLR], auquel nous consacrons d'ailleurs un benchmark dans le domaine de l'innovation par le design thinking.

"Une société comme Poult, qui a supprimé des bonus individuels pour créer des bonus collectifs afin de favoriser le travail en équipe, étonne par son approche RH de l'innovation"

Quand vous regardez plus à l'Est, du côté du Chinois Comac et de son projet d'avion, n'avez-vous pas peur de payer les transferts de technologie acceptés par le passé ?

Le fait que nous ayons mis en place une chaine d'assemblage en Chine ne peut pas être assimilé à du transfert de technologies. Nous sommes très prudents dans ce que nous faisons. En un sens, Comac nous a rendu service : la compétition réveille les endormis. C'est vrai que Comac a cherché à récupérer un certain nombre de technologies auprès de nos fournisseurs – il y a d'ailleurs pas mal de nos fournisseurs qui vont être aussi fournisseurs de Comac – mais l'intelligence dans le design d'un avion, c'est l'architecture, c'est la façon dont on est capable d'associer différents équipements achetés à différents partenaires. Et il y a aussi la certification de l'appareil. Attention, il ne s'agit pas de nous endormir sur nos lauriers, mais l'expérience d'Airbus dans le domaine fait que nous savons comment certifier un avion et définir une architecture qui a plus de chances d'être certifiée qu'une autre. Donc il y a toute cette expertise qui nous protège et que nous évitons soigneusement de transférer. La mise en place d'une chaine d'assemblage ne représente que 5% de l'ensemble du processus industriel. Donc nous sommes loin du risque. Mais c'est bien d'avoir des gens qui nous chatouillent. C'est un vrai moteur pour l'innovation. Nous ne bénéficions pas, comme dans le domaine du spatial, de nouveaux entrants comme Space X qui sont capables de challenger les grandes entreprises sur leur cœur de métier. Dans le domaine de l'aéronautique, un nouvel entrant aurait du mal à en faire autant – on le voit avec les Chinois qui commencent par un avion plutôt de bas de créneau. Quelqu'un qui, aujourd'hui, fait des avions de 4 places ne saura pas faire des avions de 100 places demain.

"En matière de récupération de l'énergie au niveau des sièges, les technologies atteindront une maturité bien avant 2050"

En 2011, Airbus dévoilait sa vision de l'aéronef en 2050. Parmi les innovations imaginées il y a trois ans, lesquelles pourraient bientôt voir le jour ?

En ce qui concerne la récupération de l'énergie au niveau des sièges, les technologies atteindront une maturité bien avant 2050. Il y a déjà des choses qui sont expérimentées. En revanche, pour ce qui est du fuselage transparent, tous les spécialistes de matériaux vous diront que ce n'est pas possible. Mais donner cette impression de transparence aux passagers à bord, avec des systèmes de caméra et d'écrans OLED, c'est quelque chose qui pourrait être atteignable à des horizons de temps courts. Le vol en formation, qui apparaît aussi dans le film, est également étudié. Des questions se posent au niveau du business case : comment peut-on faire voler en formation des avions qui appartiendraient à des compagnies aériennes différentes et qui viendraient d'aéroports différents ? Mais nous avons démontré par des essais en vol que c'était possible et que nous pourrions obtenir un gain de consommation de carburant allant jusqu'à 10%. Cela passe par des équipements à bord pour permettre le vol à proximité et par les travaux réalisés dans le domaine du contrôle aérien, en particulier par notre filiale ProSky... Il y a un certain nombre de prérequis mais quand on parle de 10% de gain de carburant, cela vaut le coup de s'y intéresser.

L'Innovation Connecting Show, organisé par le groupe La Dépêche, se déroulera à Toulouse du 16 au 18 septembre prochain. Sur ce salon dédié à l'innovation, plus de 500 exposants, parmi lesquels des clusters, des start-up ou encore des grands groupes, issus de tous les secteurs, présenteront leurs dernières technologies.