Yan Hascoet (Chauffeur Privé) "Beaucoup de VTC vont disparaître d'ici la fin de l'année"

Discret depuis son rachat par Daimler, le PDG du VTC français évoque sa relation avec ses nouveaux actionnaires, ses ambitions européennes et l'état du marché français.

Yan Hascoet est le cofondateur et PDG de Chauffeur Privé. Il a revendu son entreprise de VTC au groupe automobile allemand Daimler. © Chauffeur Privé

JDN. Chauffeur Privé a été racheté par Daimler fin 2017, avant d'être transféré vers sa joint venture de services de mobilité, Car2Go-DriveNow, lancée en mars 2018 avec BMW. Comment vous intégrez-vous à la stratégie des deux constructeurs allemands ?

Yan Hascoet. Nous ne sommes intégrés ni dans un groupe ni dans l'autre d'un point de vue comptable, ce qui démontre notre indépendance. Daimler et BMW ont lié leurs forces dans les mobilités et nous sommes partie prenante de cette ambition, qui est colossale : ils comptent investir des centaines de millions d'euros dans cette co-entreprise, qui s'intéresse aussi aux taxis, à l'autopartage, aux réseaux de recharge électrique ou encore au stationnement. Nous allons progressivement céder le contrôle de la société dans un horizon de deux ans. Aujourd'hui, seul Daimler possède une partie de notre capital, mais d'ici la fin de l'année, nous aurons Daimler et BMW comme actionnaires à parts égales.

Pourquoi avoir choisi des constructeurs allemands ? N'avez-vous pas peur d'être à terme absorbé par ces groupes ?

Les fonds d'investissement possèdent des moyens moins importants. Et les constructeurs français, que nous avons rencontrés, n'ont pas la même ambition pour ce secteur. Le choix de Daimler s'est imposé, car le groupe a l'ambition technologique et les capacités financières pour préparer le véhicule autonome, qui va révolutionner les VTC.  A notre échelle, faire de l'autonome tout seul était parfaitement irréaliste alors que d'autres acteurs investissent des centaines de millions, voire des milliards d'euros. Il nous fallait trouver un partenaire. Les start-up réfléchissent à une échelle de deux à cinq ans. Mais pour les constructeurs, qui anticipent sur cinq à dix ans, la voiture autonome arrivera demain. Quant à l'intégration opérationnelle, elle est impossible puisque le VTC est un métier que personne ne maîtrise chez Daimler ou BMW. C'est bien pour cela qu'ils nous ont racheté.

Six ans après son lancement, Chauffeur Privé n'est présent que dans trois agglomérations françaises (Ile-de-France, Lyon, Côte d'Azur). Où en est votre expansion internationale ?

"Nous nous lancerons dans une dizaine de villes européennes d'ici 12 à 18 mois, avec une première installation avant la fin de l'année"

C'est clairement la priorité pour les deux années à venir. Nous nous lancerons dans une dizaine de villes européennes d'ici 12 à 18 mois, avec une première installation avant la fin de l'année. Cela implique de nombreux enjeux. D'abord un changement profond d'organisation : nous devons nous transformer pour passer d'une société qui gère un pays et trois villes à une entreprise internationale capable de gérer le puzzle réglementaire européen et de développer une compréhension granulaire des marchés, afin de choisir les villes dans lesquelles nous allons nous lancer.

La plupart des VTC français se concentrent sur l'Hexagone, estimant qu'il est trop tard pour aller chercher de nouveaux marchés dans ce business qui est une course de vitesse. Pas vous ?

Ne pas aller à l'international n'était pas un choix de notre part, mais un manque de moyens. Je pense que c'est pareil pour les autres VTC. Le fait que d'autres marchés attractifs existent en Europe est partagé par tous, mais la capacité de s'y lancer ne l'est pas.

Votre arrivée dans de nouveaux pays pourrait-elle se faire par le biais d'acquisitions ?

Je n'exclus aucune possibilité. Cela dit, au regard du marché en Europe, il existe peu d'opportunités d'acquisition. Il est donc plus probable que nous nous développions exclusivement de manière organique.

Taxify, un VTC estonien déjà présent dans de nombreux pays européens, souhaite lui aussi s'imposer comme le numéro deux sur le continent, derrière Uber. Comment allez-vous faire pour rattraper votre retard ?

"Le marché des VTC va révolutionner la mobilité et se développer sur les 10, 20, 30 prochaines années. Nous n'en sommes qu'au tout début"

Taxify a débuté son développement international il y a 12-18 mois. La vision que nous partageons avec nos actionnaires est qu'il s'agit d'un marché qui va révolutionner la mobilité et se développer sur les 10, 20, 30 prochaines années. Nous ne sommes donc qu'au tout début du développement de ce marché. La réglementation va continuer à évoluer, les villes vont énormément changer, la voiture autonome va bouleverser les dynamiques... Se lancer 12 ou 18 mois après quelqu'un d'autre ne change pas grand-chose. Il existe de nombreux exemples de services qui ont débuté bien après d'autres. Le plus connu étant Facebook, arrivé un an après Myspace. Mais quelqu'un connaît-il Myspace aujourd'hui ?

Votre actionnaire Daimler a participé à la levée de fonds de 175 millions de dollars de Taxify, annoncée le 30 mai. N'est-il pas en train de vous compliquer la tâche ?

Cette opération ne change rien. Nous restons au cœur des priorités de Daimler et demeurons sa seule participation opérationnelle de développement.

Faut-il y voir un début de rapprochement entre Chauffeur Privé et Taxify ?

Ce n'est pas du tout à l'ordre du jour.

Excluez-vous de nouveaux lancements dans des villes françaises ?

"La loi Grandguillaume entrée en vigueur le 1er janvier est parfaitement ubuesque et hypocrite"

Je pense qu'il y a plus de villes intéressantes en dehors de France qu'en France. Pour des raisons de masse critique, mais aussi de réglementation. La loi Grandguillaume entrée en vigueur le 1er janvier est parfaitement ubuesque et hypocrite. Dire que le statut LOTI est suffisant pour garantir la sécurité des citoyens, mais seulement s'ils sont conduits dans une zone de moins de 100 000 habitants est absurde. Et regardez la difficulté de l'examen qui a été mis en place pour devenir chauffeur VTC : seuls 14% des candidats ont réussi l'épreuve !

Justement, quelle est votre analyse du marché français : avec la pénurie de chauffeurs entrainée par la nouvelle réglementation et l'arrivée de Taxify, est-ce plus difficile qu'avant ?

Certainement, et c'est presque entièrement dû à la nouvelle réglementation. Elle a compliqué les choses et beaucoup de chauffeurs ont abandonné le métier ou ne peuvent pas y accéder. Conséquence : les prix et le temps d'attente sont en hausse. Pour maintenir notre croissance, nous devons investir beaucoup plus. D'autres acteurs qui n'ont pas les mêmes moyens financiers souffrent énormément. Si la situation perdure, je suis convaincu que beaucoup d'acteurs vont disparaître d'ici la fin de l'année.

Ne serait-ce pas une bonne chose pour vous de voir ces acteurs disparaître ?

(Hésitation, rires). Cela pourrait être une façon de voir les choses . Mais je préférerais que le secteur continue à se développer plutôt que de manigancer pour faire en sorte qu'un petit concurrent disparaisse. La multiplicité des offres est une bonne chose : elle crée de la concurrence et offre des choix différents pour le client.